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l'avant-veille, le même souverain adressait au roi de Prusse une dépêche pour provoquer l'intervention armée de l'Europe! Il se perdait lui-même et perdait la royauté par ces perfidies, n'ayant pas le courage de s'armer d'une vraie franchise qui eût tout sauvé.

Le décret du 27 novembre 1790, dont nous venons de parler, enjoignait, sous peine de déchéance, à tous les fonctionnaires ecclésiastiques salariés par l'Etat (évêques, curés, vicaires), de prêter, dans la huitaine, le serment de maintenir de tout leur pouvoir la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le roi.

Le délai de huit jours comptait du moment de la publication du décret dans chaque localité, ou mieux de la notification de son texte aux intéressés, par l'autorité locale.

C'est dans ces dispositions qu'on procéda à la nouvelle organisation épiscopale et paroissiale. Nous donnerons quelques exemples, afin de familiariser l'esprit du lecteur avec ces essais de transformations religieuses.

Il va sans dire que la suppression d'un grand nombre d'évêchés donna d'abord lieu aux protestations des anciens titulaires et des membres des chapitres supprimés. La résistance ou l'opposition déclarée de ces chefs ecclésiastiques mit les Directoires en demeure de faire respecter les lois. C'est ce qui arriva, par exemple, à Saint-Pol-de-Léon (Bretagne), dont le siège avait été occupé par M. de la Marche. Ce prélat

retiré, avec les prêtres de l'ancien chapitre, chez de riches familles nobles de l'endroit, persistait à remplir les fonctions d'évêque dans la cathédrale, secondé et encouragé par les chanoines, comme si l'évêché eût conservé sa pleine vie politique, religieuse et légale. Les actes de ce clergé rebelle rendaient le pays ingouvernable. L'autorité se vit obligée de faire venir des secours d'hommes de Brest et de Morlaix, et l'évêque fut déféré au tribunal de ce dernier district. Comme il ne s'y rendait pas, l'ordre de l'arrêter fut délivré le 8 janvier 1791. Un lieutenant de gendarmerie et vingt hommes, dépêchés pour remplir cette mission, arrivèrent promptement à la porte de l'ancien évêque, et le lieutenant s'étant présenté, lui intima l'ordre de le suivre.

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Volontiers, Monsieur, répondit M. de la Marche, qui était dans sa chambre; mais vous me permettrez de passer dans le cabinet voisin pour faire ma toilette.

Et le lieutenant, ayant examiné la pièce et ne voyant sur le pourtour que des rayons de bibliothèques chargés de livres, resta à la porte et l'attendit... Mais la toilette ne finissait pas.

Le lieutenent se décida à ouvrir. .

Plus de M. de la Marche !...

Il s'était évadé par une porte secrète que les dispositions de la bibliothèque masquaient complètement. On le chercha en vain. Ses partisans, qui avaient tout préparé avec une rare sollicitude, l'enlevèrent preste

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ment et l'on apprit bientôt qu'il avait gagné l'Angleterre, d'où il ne cessa d'inonder son ancien diocèse et la Bretagne de ses instructions, de ses pastorales, de ses mandements imprimés, qui furent autant d'ardents manifestes contre-révolutionnaires

Pendant ce temps, l'évêque de Quimper, Conen de Saint-Luc, était au lit de mort. Ses prêtres l'entouraient, édifiés de ses vertus, de ses labeurs qui contrastaient avec l'oisiveté et les vices de tant de prélats; mais le vieil évêque, qui déjà avait refusé des chants religieux aux fédérés, regardait la Révolution du même œil que ses collègues de Tréguier, de Léon et de Vannes, c'est-à-dire comme une œuvre diabolique.

Autour de lui, la lutte était vivement engagée. Le chapitre, bien que n'ayant plus d'existence légale, se disposait à nommer les curés comme autrefois, faisant abstraction de la Constitution civile et de toutes les prescriptions nouvelles.

De son côté, l'administration départementale s'occupait de faire appliquer les lois, les décrets qui soumettaient ces prêtres au serment, leur enlevaient l'ancienne prééminence, le droit de nomination aux charges ecclésiastiques, supprimaient les chapitres, les chanteries et les canonicats, chassaient les bénéficiaires des prébendes et mettaient en vente tous ces biens dont la nation allait disposer.

Se pouvait-il que de si grands changements s'accomplissent ? Le clergé de la cathédrale n'en croyait rien,

lorsque, le 25 septembre 1790, au moment où il venait de délibérer sur ces choses dans la salle capitulaire, il vit les échelles de la commune dressées contre les murs du palais épiscopal, et des maçons qui piquaient et faisaient disparaître les armoiries de la seigneurie ecclésiastique.

C'était l'antique puissance temporelle, celle de l'évêque et du chapitre, qui tombait en poussière sous les marteaux de la nation.

Enfièvrés à cette vue, les chanoines se portent au chevet de l'évêque mourant, essayant de galvaniser ce corps à son dernier souffle, pour lui arracher une protestation indignée, ou mieux encore une excommunication en règle.

Il était trop tard. Le prélat n'avait plus ni force ni pensée; il n'eût pu prononcer un discours ni donner une signature.

Les chanoines, obligés d'agir par eux-mêmes, s'inscrivent contre la dissolution de leur corps, contre la suppression de ce qu'ils appellent leurs droits, déclarant qu'ils ne 'cèdent qu'à la force et qu'ils reprendront, en des temps plus heureux, ce qu'elle leur enlève aujourd'hui.

L'évêque Conen mourait le soir du 30 septembre. Il n'eut pas même connaissance de ces choses; mais les chanoines n'en répandirent qu'avec plus d'ardeur, dans les campagnes, la nouvelle controuvée que les notifications officielles hâtèrent sa fin, et qu'il retrouva, à l'instant d'expirer, tous ses sens pour confier aux

II

Les choses se passèrent de la même manière à Nantes, mais avec plus d'éclat. L'ancien évêque, M. de la Laurencie, ayant refusé le serment, les électeurs des neuf districts se réunirent le dimanche 13 mars 1791, au couvent des Dominicains, et de là ils se rendirent à la cathédrale, pour entendre en commun la messe obligatoire. Le citoyen Anne-Pierre Coustard, aidé des scrutateurs, dirigea les opérations électorales. Le lendemain, 14, l'appel nominal donna 321 électeurs, et, pour élu, Julien Minée, ancien curé de deux paroisses de Paris.

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Citoyens, s'écria le représentant Coustard, nous avons choisi pour évêque celui qui nous en a paru le plus digne. C'est Julien Minée, curé de Saint-Denis. C'est un ministre de ce Dieu qui a rompu vos fers, qui a confondu vos tyrans, de ce Dieu qui reçoit avec bonté l'hommage de l'homme libre, qui écoute avec complaisance l'hymne de la liberté. Il ne tira point du chaos ce vaste univers pour en faire la propriété des

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