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despotes. Il ne forma point à son image l'homme pour être flétri du sceau de l'esclavage. Peuples, joignezvous donc à nous pour rendre des actions de grâces à l'Eternel, qui s'est laissé fléchir après tant de siècles de calamités. Entonnons tous avec transport ce cantique saint qui fut si souvent profané pour célébrer les victoires de ces brigands couronnés qui ont dévasté la terre... Ils osent, les hypocrites, traiter d'impie l'élection que nous venons de faire, tandis que nous sommes seulement rentrés dans un droit dont jouissaient les fidèles dans les premiers siècles. Veulent-ils donc, ces lâches chrétiens, que le pasteur des âmes soit encore choisi par un ministre corrompu, soit encore le protégé d'une favorite? Veulent-ils donc que l'élection de l'homme qui doit sans cesse lever ses mains pures vers le ciel, soit encore le résultat d'un trafic honteux entre une femme sans mœurs et un prêtre sans pudeur? Assez longtemps cette abomination a porté le scandale dans la maison du Seigneur... >>

Coustard énumère ensuite les titres, alors incontestables, du curé Minée à la haute situation qui lui était faite. Ensuite, un autre député, M. Français (de Nantes), exalte, dans cette cérémonie, la majesté de la religion s'unissant, aux pieds des autels, à la souveraineté du peuple. Ces idées de démocratie religieuse, si naïves qu'elles nous paraissent, étaient alors fort bien acceptées, et ouvraient au culte une voie nouvelle qu'on eût pu rectifier ou surveiller sans rejeter,

comme on l'a fait, le catholicisme dans le courant des vieilles tyrannies de l'esprit, tout au moins dans l'immobilité sociale qui fait obstrusion à tous les progrès, et que l'on a eu tort de confondre avec l'immutabilité des dogmes.

III

Dans Maine-et-Loire, l'évêque Lorry (1) dont la conduite et les écrits avaient d'abord donné des gages aux patriotes, leur inspirait maintenant les plus vives inquiétudes. En effet, le délai légal était écoulé, et le prélat ni ses vicaires n'avaient point prêté serment. Mandat fut donné au procureur syndic de convoquer les électeurs. Ceux-ci tinrent leur réunion préparatoire le 5 février 1791, dans la salle du département. L'élection eut lieu le lendemain, à la cathédrale, où une messe solennelle fut d'abord chantée. Le procureur

(1) Le dernier évêque d'Angers, Jacques de Grasse, affiché à Paris par de nombreux scandales, y était mort laissant, malgré les 80,000 livres de rentes de son évêché et les revenus de deux riches abbayes, une succession insolvable. Son frère intervint auprès du chapitre de la cathédrale pour qu'il ne fût célébré en son honneur aucun service! Et son successeur, l'évêque Couët du Vivier de Lorry revenait à peine en 1789 de Paris, perdu de dettes et obligé, par économie, de s'interner dans un petit appartement du grand sé ninaire. (La Vendée Angevine, par Célestin Port, membre de l'Institut, archiviste de Mine-et-Loire, Ier volume, page 62.)

syndic Delaunay, président élu, reçut le serment des assistants électeurs et procéda au vote. La majorité des voix (248 sur 477 bulletins), se porta sur l'abbé Pelletier, prieur curé de Beaufort-en-Vallée, dont l'extrême modestie redoutait fort cette charge.

Le candidat exprime tous ses regrets de ne pas voir l'ancien pasteur conserver ce poste. Les applaudissements couvrent sa voix. Alors il se résigne. L'artillerie gronde, les cloches sonnent à toute volée, la foule envahit l'église et fait fête à l'élu.

Le maire est venu des premiers remercier les électeurs du choix d'un homme aussi recommandable par ses lumières, par ses vertus. L'évêque nommé par le peuple est reconduit triomphalement, au milieu des rangs pressés de la population, escorté de la garde nationale, de l'armée et des électeurs, musique en tête, jusqu'à son hôtel, en dehors de la ville. La multitude applaudit avec ivresse, car elle considère cette installation comme le présage d'une longue paix.

Ainsi la Révolution voulait être religieuse; ce fut sa grande naïveté, son erreur amère, son crime en présence de la vieille société intrigante et corrompue qui plaçait et place encore l'avenir en arrière. La Révolution entourait de tous les honneurs civils et militaires les prélats catholiques nommés par voie de suffrages; elle faisait, elle fit jusqu'au dernier jour les avances et les frais de la conciliation.

IV

L'abbé Grégoire fut élu dans deux évêchés, Eureet-Loire, Loir-et-Cher. Il opta pour celui-ci, parce que le courrier de Blois fut plus prompt que celui de Chartres à lui annoncer le succès de sa candidature dans la première de ces villes. Elu le 14 février 1791, sacré le 14 mars suivant, il adressa le 24 au pape, << comme au chef visible de l'Eglise universelle, en témoignage de l'unité de foi et de la communion qu'il devait entretenir avec lui », la lettre à laquelle tout évêque constitutionnel était tenu. Installé le dimanche 26, il faisait son entrée solennelle à Blois le mercredi suivant, au bruit de douze coups de canon, aux cris de joie de la grande majorité des habitants et de tous les fonctionnaires, jaloux de célébrer en sa personne l'alliance de l'Eglise et de la Révolution. Lillustre curé citoyen, qui était en même temps. président de l'Assemblée nationale, eut à lutter contre une réaction acharnée, à la tête de laquelle marchait l'ancien titulaire diocésain, M. de Thémines, lequel

avait fort accrédité le dicton relatif aux évêques de l'ancien régime, à savoir qu'ils avaient réduit les sacrements de sept à six. En effet, Thémines resta plus de douze ans sans donner la confirmation aux fidèles des campagnes de son modeste diocèse de Blois. Son successeur les visitait avec un zèle apostolique admirable << pour donner une impulsion générale et simultanée, éclairer les peuples, épurer les mœurs et faire fleurir la religion... »

Unissant aux fonctions d'évêque la qualité de président du conseil général, Grégoire venait en aide aux administrations civiles, en publiant et faisant lire dans les chaires une lettre pastorale sur le paiement des contributions publiques, que les manœuvres et les mensonges de la réaction voulaient arrêter dans les mains des propriétaires et des paysans, pour le besoin des prochaines guerres civiles (1).

Ce prélat démocrate, instruit, affable, conquit vite la confiance de ses ouailles. « Je vous parlerai toujours, leur disait-il, le langage austère de la religion, le langage fier de la liberté, le seul qui convienne à des chrétiens, à des Français.

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Comme son collègue de Tulle, il dut chercher à faire un nouveau clergé, un clergé sur qui repose les mœurs, et, par une suite nécessaire, le bonheur d'un peuple entier... « Les mœurs d'un prêtre doivent

(1) M. Le Vasseur, curé de Péronne, engageait le peuple à s'armer contre la perception des impôts, à massacrer les commis de perception, et promettait de marcher à la tête des révoltés.

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