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dans la Constitution qui puisse blesser les vérités saintes que nous devons croire et enseigner.

Ce serait injurier, calomnier l'Assemblée nationale, que de lui supposer le projet de mettre la main à l'encensoir. A la face de la France, de l'univers, elle a manifesté solennellement son profond respect pour la religion catholique, apostolique et romaine. Jamais elle n'a voulu priver les fidèles d'aucun moyen de salut; jamais elle n'a voulu porter la moindre atteinte aux dogmes, à la hiérarchie, à l'autorité spirituelle du chef de l'Eglise ; elle reconnaît que ces objets sont hors de son domaine.

>> Dans la nouvelle circonscription des diocèses, elle a voulu seulement déterminer des formes politiques plus avantageuses aux fidèles et à l'Etat. Le titre seul de Constitution civile du clergé, énonce suffisamment l'intention de l'Assemblée nationale: nulle considération ne peut donc suspendre l'émission de notre serment. Nous formons les vœux les plus ardents pour que, dans toute l'étendue de l'empire, nos confrères, calmant leurs inquiétudes, s'empressent de remplir un devoir de patriotisme si propre à porter la paix dans le royaume et à cimenter l'union entre les pasteurs et les ouailles. »

Grégoire prononça ensuite la formule prescrite :

« Je jure de veiller avec soin sur les fidèles qui me sont confiés, d'être fidèle à la nation, à la loi et au roi, de maintenir de tout mon pouvoir la constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le roi. »

Dans les séances des 28 et 31 décembre, dans celle du 3 janvier 1791, plusieurs évêques ou ecclésiastiques députés, au nombre d'une soixantaine, prêtèrent le même serment et furent bientôt suivis d'une quarantaine d'autres.

II

Comme le délai assigné pour la prestation expirait le 4, le président procéda, par voie d'interpellation, près des ecclésiastiques membre de l'Assemblée, et revêtus de fonctions publiques, qui, jusque-là, étaient restés silencieux sur leurs bancs.

L'évêque de Clermont, de Bonnal, montant le premier à la tribune, protesta contre les exigences de la loi, qu'il jugeait contraire à la Déclaration des Droits de l'homme, puisqu'elle osait, au dire de l'orateur, empiéter sur le domaine de la conscience.

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Voulez-vous prêter un serment pur et simple ? lui fait demander Treilhard. L'évêque veut continuer de motiver son refus, comme Grégoire a motivé son acceptation, mais ce système eût recommencé, de part et d'autres, le débat sur la constitution civile.

L'Assemblée passe outre,

Le président annonce qu'il va procéder par voie d'interpellation et par baillage.

L'évêque d'Agen est le premier appelé, et il sait que sa réponse négative va emporter sa situation.

« Je ne donne, dit-il, aucun regret à ma place, aucun regret à ma fortune. J'en donnerais à la perte de votre estime, que je veux mériter. Je vous prie donc d'agréer le témoignage de la peine que je ressens de ne pouvoir prêter le serment. »

L'abbé Fournès, du même diocèse, est appelé après lui.

Je dirai, avec la simplicité des premiers chrétiens, répond-il: Je me fais gloire et honneur de suivre mon évêque, comme Laurent suivit son pasteur. »

Les belles paroles continuent d'honorer les « refu sants », aux applaudissements de la droite et au désespoir de la majorité. L'appel nominal est interrompu. Le président invite collectivement les évêques, les curés, les prêtres qui n'ont point encore parlé, à venir prêter serment.

Après un silence, l'évêque de Poitiers se lève.

« J'ai soixante-dix ans, dit-il ; j'en ai passé trentecinq dans l'épiscopat, où j'ai fait tout le bien que je pouvais faire. Accablé d'années et d'études, je ne veux pas déshonorer ma vieillesse, je ne veux pas prêter un serment qui... >> Les murmures couvrent sa voix. Dès que le bruit cesse, l'invitation collective est renouvelée, mais elle est accueillie par un profond silence. L'Assemblée décréte que les évêques, membres

de la Constituante, qui n'ont pas obéi à la loi, sont déchus de leurs sièges, et le roi est prié de leur faire donner des successeurs.

III

On s'est fort édifié de l'héroïsme des dignitaires ecclésiastiques qui surent, dans cette séance, se donner le beau rôle. La plupart, tous peut-être, appartenaient à de grandes familles où les sentiments chevaleresques étaient classiques et le langage en harmonie avec ces sentiments. Au reste, on les mettait en vue de la France, de l'Europe. Ce coup de théâtre ne leur déplaisait pas.

Parlant de cette séance du 4 janvier, l'archevêque de Narbonne disait plus tard: « Nous nous sommes conduits en vrais gentilshommes, car on ne peut pas dire de la plupart d'entre nous que ce fùt par religion.

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Mais les curés, dont on attendait une obéissance absolue aux décrets, en raison de leur récente attitude envers le clergé féodal et de leur amour pour la Révolution, étonnèrent les gouvernants par une volteface inattendue. Les gouvernants ne s'aperçurent pas

qu'ils avaient eux-mêmes tout changé, que la situation était maintenant renversée, parce que les curés, délivrés de l'ancienne tyrannie épiscopale, croyaient se trouver, par le fait même de la Constitution civile, atteints et persécutés dans leur foi, et que l'autorité spirituelle les berçait dans cette conviction. Donc la grande portion, presque l'universalité du clergé utile et laborieux, allait se soulever contre le serment et refaire l'unité catholique au profit de la contre-révolution. De ce jour, en effet, il n'y eut plus ni haut ni bas clergé. Une instruction secrète, envoyée aux diocèses, traça le plan, détermina l'étendue et indiqua les formes de la lutte que les évêques et les curés furent chargés de soutenir. Tout autel, toute sacristie, tout confessionnal devint un camp pour la révolte. Les innombrables dissidents se trouvèrent ou se dirent réunis sur le terrain de la foi, et tous les éléments d'opposition s'y groupèrent à l'envi, avec une puissance plus ou moins considérable, selon les régions.

M. Thiers prétend que l'insurrection du clergé n'a pas augmenté les embarras de la Révolution (1). Cette erreur capitale accuse, chez son auteur, la méconnaissance du sentiment religieux et le mépris de l'opinion populaire, qui lui firent commettre, dans ses diverses carrières politiques, de si énormes fautes. La résistance du clergé qu'on appelait autrefois secon

(1) Histoire de la Révolution Française, livre quatrième, Constitution de 1791.

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