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société outragée, mais deviennent à leurs yeux de véri

tables tyrans.

Si donc le tread-mill est appliqué à la punition des prostituées, qu'on ait soin d'appliquer à quelque chose d'utile la somme de force qu'elles produiront, on ne manquera pas d'entrepreneurs pour en tirer parti; si ces entrepreneurs ne se présentaient pas, je me servirais du travail des détenues pour faire arriver dans la prison actuelle une masse considérable d'eau, dont on manque absolument. Croirait-on que dans l'infirmerie de SaintLazare, où se trouvent 200 malades, on ne peut, faute d'eau, donner des bains que deux ou trois fois par semaine ; or quelle maladie en réclame davantage que la syphilis et les diverses maladies de la peau qu'on remarque chez les filles publiques; faire servir la punition des détenues au bien-être des malades, est encore un moyen d'agir moralement sur l'esprit de cette population et de faire impression sur elle.

Je termine cette longue et importante digression sur le tread-mill par une observation: Comment, diront quelques personnes, si tout ce qui se fait à l'époque actuelle pour la répression de la prostitution n'est qu'une suite d'actes arbitraires; si l'on peut, jusqu'à un certain point, contester au préfet de police le droit d'incarcérer les filles, et si cette incarcération, suivant quelques personnes, est un véritable attentat à la liberté individuelle; comment lui conseiller d'ajouter arbitrairement à cet attentat une peine corporelle ? La réponse à cette objection se trouvera dans le chapitre où je traiterai en détail tout ce qui a quelque rapport à la légis– lation des prostituées et à la répression du scandale occasionné par la prostitution.

Il me reste encore quelques observations à faire sur la prison des filles publiques; je vais les traiter successivement, en commençant par certaines habitudes qui sont particulières à ces filles dans leur état de captivité.

§ 6. — De quelques habitudes particulières aux prostituées pendant leur détention.

Nom particulier qu'elles donnent à leur incarcération. Elles vendent leurs vêtements en entrant dans la prison. Pourquoi elles se défont de ces

Des associations qui

vêtements. Prêts usuraires faits par quelques prisonnières aux autres détenues. Inconvénient grave qui en résulte. s'établissent entre elles pour prendre leurs repas. des effets fâcheux. Nécessité de divisions particulières.

- La prison a sur elles

Les prostituées ont un terme particulier pour exprimer le temps qu'elles passent en prison; elles lui donnent le nom de police. Ainsi, pour elles, cette expression « Je viens de faire quinze jours, deux mois de police, » répond à cette autre : « Je viens d'être renfermée pendant quinze jours, deux mois. >>

Si elles ne doivent rester que très peu de jours en prison, elles gardent les vêtements qu'elles ont sur elles; mais si leur détention doit se prolonger pendant six semaines ou plus longtemps, elles sont dans l'usage de vendre ce qu'elles ont de propre ou de le prêter à celles qui vont sortir elles calculent que le tiers du produit de leur travail, qui leur est donné en masse à la fin de leur détention, leur suffira pour se procurer de nouveaux vêtements; mais le plus souvent le résultat ne répond pas à leur prévision.

De graves inconvénients sont la suite inévitable de cette habitude; je dois les relater, car ils sont dignes d'une véritable attention.

Pour la plupart, cette vente de vêtements n'a lieu

que pour se procurer de quoi boire et manger pendant les premiers jours; pour quelques autres, elle leur procure les premiers fonds d'une spéculation fort lucrative que voici: elles prêtent à leurs camarades de petites sommes, et en exigent un intérêt exorbitant. Ainsi celle qui emprunte 10 sous en rendra 15 après quinze jours; celle qui a besoin de 1 franc remboursera 30 sous après le même espace de temps. Si celle qui emprunte est mise en liberté, deux jours après avoir emprunté, elle doit rendre la somme représentée par le capital et l'intérêt; en général, cet argent est rendu très exactement sur ce que produit le travail, à la fin de chaque semaine. De tout temps il y a eu dans la prison de ces femmes connues par leur habileté en fait d'opérations financières; on en a vu quelques-unes faire produire de cette manière 15 ou 20 francs à une somme de 250 francs, et cela dans l'espace d'un petit nombre de mois: suivant les renseignements que j'ai pris, on peut assurer que sur 600 prostituées prisonnières, on trouvera dix ou douze banquières de premier ordre et une vingtaine d'un ordre inférieur.

Peut-on tolérer un pareil ordre de choses dans une maison de correction? Je ne pense pas que personne puisse s'en déclarer le protecteur; car ces usurières épuisent les autres prisonnières et les mettent dans l'impossibilité de racheter des vêtements au moment de leur sortie de là vient le dénûment complet de beaucoup de filles au moment de leur mise en liberté, dénůment qui va presque à la nudité, et les met quelquefois dans la nécessité de faire de nouveaux emprunts pour avoir une robe quelconque et une vieille paire de souliers, à moins toutefois que la dame de maison chez

laquelle elle doit entrer ne lui envoie des vêtements convenables.

Je crois pouvoir rapporter à la gourmandise, et par suite à la cantine, un ordre de choses, suivant moi, intolérable. Si les filles ne pouvaient rien acheter pendant leur détention, elles n'emprunteraient pas, et les banquières cesseraient leur métier : nouvelle raison pour apporter dans le régime de la prison une réforme dont j'ai montré plus haut l'indispensable nécessité; je voudrais voir les filles publiques vêtues comme les autres détenues, d'une manière grossière et uniforme, aux frais de l'administration, et leurs vêtements mis en dépôt, pour leur être rendus lors de leur sortie.

J'ai parlé des associations qui s'établissent entre deux filles pour manger dans la même écuelle et mettre en commun tout ce qui sert à leur repas. Le plus ordinairement ces liaisons de table n'ont rien de criminel; on voit même certaines filles qui s'associent à de plus malheureuses qu'elles, uniquement par esprit de commisération; mais il n'en est pas toujours ainsi : la mangeuse d'une fille, pour me servir de leur langage, a eu où doit avoir plus tard avec elle des rapports coupables, et qu'il serait bien important d'interdire.

Une opinion généralement admise parmi ceux qui ont été à même d'étudier les prostituées, c'est qu'elles contractent dans la prison et dans l'hôpital les vices affreux qu'on leur connaît, et qu'elles en sortent toujours plus libertines et plus dégoûtantes sous ce rapport qu'elles n'y étaient entrées. Je le répète, cette opinion est unanime; elle m'a frappé, et m'a fait souvent réfléchir sur la question de savoir si des perfectionnements n'étaient pas nécessaires dans la distribution et le régime

intérieur de la prison. J'ai parlé du régime intérieur, je dois dire deux mots de la distribution des bâtiments.

Il y faut nécessairement, comme dans l'hôpital, quelques divisions particulières pour que les jeunes et les débutantes dans le métier ne se trouvent pas confondues avec ces misérables ordurières qui ne pourraient que mettre le comble à l'infamie des autres, et ajouter encore à leur dégradation. Pénétrons-nous bien d'une vérité : c'est que la prostitution, pour la majeure partie de celles qui s'y adounent, n'est qu'un état de transition; qu'après l'avoir exercé pendant deux ans, une année, six mois, et souvent pendant un temps plus court encore, elles rentrent dans la société et s'y trouvent confondues avec le reste de la population; il faut donc, dans l'intérêt de cette population, soigner la morale des prostituées; il faut faire en sorte que lorsqu'elles rentreront dans le monde, elles n'y propagent pas la corruption et les vices contre nature. Nous devons considérer le temps qu'elles passent dans l'exercice de la prostitution comme une période de maladie dans leur vie tout entière; et comme ceux qui sont affectés de maladies qui ne doivent durer qu'un temps limité verraient leur état s'aggraver et même devenir mortel si on les abandonnait au milieu des incurables, des gangrenés et des pestiférés, de même nous verrions les filles publiques se pervertir davantage par leur contact continuel avec quelques femmes, et devenir, après un certain âge, plus pernicieuses pour leur sexe qu'elles ne l'ont été pour l'autre lorsqu'elles étaient plus jeunes.

C'est donc avec un sentiment de peine que j'ai entendu dire à plusieurs personnes que ces soins et ces distinctions à établir entre les prostituées ne signifient

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