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Si les cérémonies du culte religieux peuvent se faire dans la prison ou dans l'hôpital, faut-il forcer les prostituées à y assister? Je répondrai à cette question par ce que j'ai vu, et je la résoudrai par l'expérience.

J'ai vu dans une prison les prostituées obligées d'aller à la chapelle pendant qu'on y célébrait la messe, et j'ai été scandalisé de la manière dont elles s'y comportaient; j'ai vu, à l'hospice des Vénériens, la chapelle ouverte à celles qui voulaient y entrer, et j'ai été édifié du maintien plein de décence de celles qui s'y trouvaient. En fait de religion, comme en beaucoup d'autres choses, la contrainte fait plus de mal que de bien; la liberté seule attire par elle-même, et repousse les hypocrites. En voici une nouvelle preuve. Avant la révolution de 1830, tous les détenus de la Conciergerie étaient forcés d'assister à la messe. Tous les gardiens les y accompagnaient; le directeur s'y trouvait avec eux. Mais parce que cette assistance à l'office divin leur était imposée, l'ennui et la contrainte se montraient sur tous les visages. Les détenus affectaient de tousser, de cracher et d'éternuer sans raison; ils remuaient sans cesse les pieds, et ne s'arrêtaient qu'au point nécessaire pour n'être pas punis. Depuis 1830, les prisonniers font ce qu'ils veulent lorsque la chapelle est ouverte; plus de contrainte à cet égard: cependant tous s'y rendent; et bien que les gardiens ne les y accompagnent plus, ils s'y tiennent en silence; leur conduite y est des plus décentes, et fait l'étonnement des gardiens et de l'aumônier lui-même. Je viens de lire dans un livre remarquable, récemment publié, que, dans la maison pénitentiaire de Boston, la liberté accordée aux prisonniers

de ne pas venir à l'école rend beaucoup plus zélés et plus dociles ceux qui s'y rendent volontairement (1). Ainsi donc pas de bien à espérer par le moyen de la contrainte cette vérité est de tous les temps et de tous

les lieux.

J'ai dit, en parlant de l'hôpital, que les prostituées qui s'y trouvent renfermées avaient un goût particulier pour les cantiques; qu'elles se rendaient toutes à la chapelle de l'établissement lorsque ces chants religieux y avaient lieu, et que ce moyen semblait surtout efficace pour charmer leur ennui et fixer leur esprit pendant un certain temps. Partant de cette donnée, pourquoi l'aumônier ne profiterait-il pas de ce moyen pour les attirer dans le seul lieu où il peut se trouver sans inconvénient avec elles? Pourquoi n'entremêlerait-il pas ces chants de quelques instructions familières, appropriées à l'auditoire, et dont le principal mérite serait la brièveté; car on doit se rappeler qu'un des caractères particuliers de l'esprit des prostituées est la légèreté et l'impossibilité de suivre un raisonnement pendant plus de quelques minutes? Pourquoi enfin ne composerait-on pas pour ces malheureuses des cantiques dans lesquels elles trouveraient des avis salutaires, et qui leur seraient plus utiles que des chants qui ne sont destinés qu'aux personnes éminemment religieuses, qui ont une instruction profonde, et qu'un abîme immense sépare, sous tous les rapports, des femmes dont nous nous occupons?

Parmi les moyens de s'insinuer dans l'esprit des prostituées et de gagner leur confiance, il n'en est pas de plus efficace que de les relever à leurs propres yeux, de

(1) Du système pénitentiaire aux États-Unis, par MM. G. de Beaumont et de Tocqueville. Paris, 1834, in-8, p. 90.

ranimer leur confiance, et de leur persuader que la porte de l'honneur n'est pas entièrement fermée pour elles. Lorsqu'elles sont réunies en grand nombre devant nous, rejetons la pensée que nous n'avons sous les yeux que des criminelles, indignes de toute commisération, et que la société doit poursuivre de ses vengeances; figurons-nous plutôt que nous sommes dans une maison d'aliénées, dont un grand nombre sont incurables, il est vrai, mais parmi lesquelles il s'en trouve qui offrent des chances de guérison, et sur lesquelles on ne peut agir que par des moyens moraux sagement et habilement conduits.

Le célibat auquel sont assujettis les ministres catholiques, leur ôte un puissant moyen d'action sur l'esprit des prostituées, qu'ils sont, dans quelques circonstances, appelés à conduire; on peut leur appliquer ce que j'ai dit précédemment des religieuses et des dames de charité. Mais comment remédier à cet inconvénient? Je n'en verrais qu'un seul ce serait de confier de préfé rence les places d'aumônier à un homme qui, avant de recevoir les ordres, aurait été engagé dans les liens du mariage. S'il était père de famille, s'il avait lui-même des filles, quelles sources d'allusions heureuses et irrésistibles pour son auditoire ! quel moyen de s'attirer le respect! quelle énergie enfin ne gagneraient pas ses instructions et ses discours, par la possibilité d'une liberté plus grande dans le langage et d'une retenue moins affectée !

Je viens d'indiquer quelques-unes des qualités qui me semblent essentielles dans un ecclésiastique placé comme aumônier à la tête d'une prison destinée à la correction des prostituées; mais où trouver cet homme précieux? Fassc le ciel que mes vœux ne restent pas

stériles! Puisse-t-il inspirer à quelques-uns de ces hommes instruits et d'une trempe d'esprit supérieure la vertu nécessaire pour renoncer aux places brillantes, et le courage indispensable pour se livrer dans l'obscurité aux fonctions les plus repoussantes, mais aussi les plus utiles de son ministère!

$8.

Du parloir et des lettres écrites dans la prison ou qui y sont admises du dehors; des livres et des jeux qu'on y peut tolérer.

Scandale offert par l'ancien parloir de la prison. Moyens mis en usage pour y remédier. - Quelles sont les personnes qui peuvent communiquer avec les prostituées détenues. Bon résultat des mesures actuellement en usage. — Ce qu'elles nous indiquent relativement à la position des prostituées à l'égard de leurs familles. Activité de la correspondance avec le dehors de la prison. — Objets de cette correspondance. — Il serait avantageux de la supprimer. Les livres d'histoire recherchés par les prostituées. — Elles n'ont pas de goût pour ceux qui traitent de sujets obscènes. -Jeux auxquels elles se livrent dans la prison.

Les communications plus ou moins faciles avec les gens du dehors, ou, pour parler autrement, les visites que peuvent recevoir les détenues étant d'une importance très grande dans toute maison de correction, on a dù s'en occuper chaque fois qu'il a été question d'améliorer les moyens répressifs des désordres occasionnés par la prostitution.

Avant 1816, le parloir de la prison offrait le scandale que présente aujourd'hui celui de l'hospice des Vénériens on n'y voyait que les souteneurs des filles et toute espèce de mauvais sujets des deux sexes; on n'y entendait que des rires indécents et des provocations ordurières; on s'y concertait sur les lieux les plus convenables pour se retrouver au moment de la mise en liberté.

Pendant les deux années suivantes, on tâcha de remédier à ce désordre par quelques règlements insignifiants; ce ne fut qu'en 1818, qu'un arrêté du préfet de police décida que dorénavant les prostituées déte– nues ne seraient plus visitées que par leurs pères et mères et leurs plus proches parents du sexe féminin, et que ces parents, pour être admis au parloir de la prison, devraient se munir d'une permission particulière, fournie par les bureaux de la Préfecture de police. Cette permission, outre le nom de la personne détenue, que l'on voulait voir, devait contenir le nom, et de plus la demeure de la personne à laquelle elle était donnée; plus tard, on accorda aux frères et aux oncles des détenues la même permission, qu'on ne refusait pas non plus à leurs sœurs; mais dans tout état de choses, on prenait des renseignements pour savoir si la personne n'était pas en état de nuire à la fille enfermée. La carte délivrée en cette circonstance n'était valable que pour un temps; le porteur devait la laisser entre les mains du concierge, qui la lui rendait à sa sortie.

L'expérience a démontré l'efficacité de cette mesure. Depuis qu'on la met en pratique, le parloir est désert; rien de plus rare que la demande des permissions nécessaires pour y arriver: preuve évidente que la majeure partie des filles qui se livrent à la prostitution sont abandonnées de leurs familles, quelque corrompues que soient elles-mêmes ces familles. Très peu de pères et de mères profitent de ces permissions pour voir leurs enfants; car c'est à peine si cinq ou six les réclament, dans le courant d'une année: on pourrait dire que les sœurs des détenues sont les seules qui en fassent usage; car il est d'observation qu'un certain nombre de prosti

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