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sait dix-huit mois, deux ans et quelquefois davantage, avant qu'ils reçussent les premiers secours; on admettait cependant d'urgence les nourrices, pour lesquelles le lieutenant de police payait quelquefois une somme, et ceux qui étaient apportés sur des brancards, à cause de la gravité de leur maladie.

Comme on transportait de la même manière à l'HôtelDieu ceux qui tombaient gravement malades dans les salles de Bicêtre, la route en était toujours couverte, ce qui faisait un spectacle pénible à voir et quelquefois hideux; car les brancardiers, sous le prétexte de réclamer des secours pour les malades, découvraient les plaies de ces malheureux, et, s'arrêtant à chaque pas, les exposaient dans cet état aux regards des passants.

Les salles étaient très basses, encombrées de lits qui devaient servir à huit malades: et comme on ne pouvait pas les aérer, il y existait en permanence une odeur d'une incroyable fétidité.

Le traitement, qui était le même pour tous, devait durer six semaines, ni plus ni moins, c'était la règle; ce temps expiré, les malades étaient obligés de sortir : guéris ou non guéris, ils ne pouvaient plus rien réclamer.

Lorsque le nombre des expectants était trop considérable, ou lorsque les plaintes devenaient graves, voici ce qui arrivait on accordait aux malades dix, douze ou quinze jours de traitement, on les renvoyait ensuite pour en recevoir d'autres qu'on traitait de la même manière; ils n'étaient admis de nouveau qu'après huit ou dix mois, mais dans ce nouveau traitement on avait bien soin de défalquer, sur les six semaines qu'on leur devait, les journées qui leur avaient été accordées

pour leur traitement provisoire, et qu'on appelait le blanchiment.

Il est difficile de se faire une idée de la gravité des affections traitées dans cette division de Bicêtre; aussi la mortalité y était-elle très grande on peut évaluer à plus de cent par année la perte des femmes, et à soixante celle des hommes.

La place de chirurgien à Bicêtre était très recherchée, car, outre les priviléges qu'elle accordait, elle était une source inévitable de fortune par la réputation qu'elle donnait dans la ville, pour le traitement des affections vénériennes, et par la rétribution de trois louis exigée de tous ceux qui voulaient jouir de la faveur d'être plns tôt guéris, et pour cela d'être admis avant tous les autres.

A cet état de choses, succéda un homme qu'on peut à juste titre regarder comme le plus probe, le plus honnête, le plus humain et en même temps le plus instruit de tous les chirurgiens qui l'avaient précédé dans son service cet homme est Michel Cullerier.

Ici commence une ère toute nouvelle pour les soins que réclament les malheureux attaqués de la syphilis; nous allons voir des abus monstrueux, existant depuis trois siècles, attaqués sans relâche par celui-là même qui avait le plus d'intérêt à les perpétuer; nous allons voir s'établir un ordre de choses, non parfait sans doute, et dont je signalerai bientôt les inconvénients, mais que notre génération n'a pas assez apprécié, parce qu'elle ignorait ce qui se passait avant elle, et parce que rien ne pouvait lui faire connaître l'espace immense qu'il avait fallu franchir pour passer subite

ment, et presque sans transition, de la barbarie à un état satisfaisant.

Ce fut en 1787 que Cullerier obtint par la voie du concours, qu'il avait demandé lui-même, la place de chirurgien dans la division des syphilitiques à Bicêtre; ne pouvant supporter le spectacle qu'il avait sous les yeux, il fatigua par ses mémoires et par ses représentations l'administration de cette époque, mais ce fut sans succès; la formule ordinaire des réponses faites à ses observations était néant au mémoire.

Enfin Cullerier trouva dans M. Desyeux, qui venait d'être nommé administrateur de Bicêtre, un homme capable de comprendre ses projets et d'apprécier l'excellence de ses vues; dans l'espace de quelques mois on enleva les ordures qui dataient de plus d'un siècle; on arrêta le gaspillage, on améliora le régime, tous les malades furent admis indistinctement, on leur donna des couvertures; on perça des croisées, et ce département, quoique bien hideux encore, devint moins insalubre.

Beaucoup de détenus dans la prison de Bicêtre, ayant été mis en liberté après les événements du 14 juillet 1789, et la surveillance ne s'exerçant plus sur les malfaiteurs et sur les prostituées, l'espace devint plus que suffisant, soit dans l'hôpital, soit dans la prison qui se trouvait à côté de l'hospice, ce qui permit à Cullerier de disposer les malades et d'en admettre au traitement un bien plus grand nombre qu'auparavant. Le sort des vénériens s'améliora, mais, quoique amélioré, il parut si horrible aux membres de l'Assemblée constituante qui visitèrent Bicêtre, qu'il fut décidé

qu'on les transporterait dans le nouvel hôpital des Capucins du faubourg Saint-Jacques (hôpital du Midi), ce qui eut lieu le 12 mars 1792.

ARTICLE III.

DES HÔPITAUX CONSACRÉS AU TRAITEMENT DES MALADIES VÉNÉRIENNES
DE 1792 A 1834.

Conditions avantageuses que réunit l'hôpital du Midi.

Combien la morta

lité y est faible. Imperfection du service jusqu'en 1811. — M. Pasquier le régularise et le crée en quelque sorte. — Cullerier, chirurgien du nouvel hôpital. Expériences comparatives sur différents modes de traitement.

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L'administration des hôpitaux fait des démarches pour n'être pas chargée du traitement des prostituées malades. Embarras que cause l'invasion de 1815. — Réclamations de l'administration des hôpitaux.-Traitement des prostituées organisé à la Pitié. — Inconvénient que leur présence détermine dans un hôpital qui ne leur est pas spécialement consacré. Elles sont de nouveau dirigées sur l'hospice du Midi.

Nous venons de voir, dans le paragraphe précédent, les membres de l'Assemblée constituante, indignés de l'état dans lequel se trouvait à Bicêtre la division consacrée aux syphilitiques, obtenir que ces malades fussent transportés dans un lieu plus convenable que laissait disponible la suppression des ordres monastiques récemment décrétée; nous allons suivre ces malades dans le nouvel hôpital, et en ne nous occupant que des prostituées, faire connaître les embarras qu'elles occasionnèrent pendant longtemps à l'administration.

Tous ceux qui ont vu l'hôpital des Capucins connaissent sa situation avantageuse et salubre, la propreté et l'aérage des salles, les promenades qui en dépendent, les bains qui y sont et toutes les commodités qu'on a su y réunir; on peut y classer les malades par séries, et jusqu'à un certain point par catégories; la nourriture

y est bonne, le linge en abondance et d'une propreté parfaite, le service de santé régulier et confié à des gens de savoir et de probité. On donne des consultations et on soigne gratuitement ceux des malades du dehors qui ont quelques ressources, on admet tous les autres, de sorte qu'on peut dire qu'à l'époque actuelle il n'existe pas de malades qui restent sans secours ; enfin la mortalité n'a été que de 1 sur 47 malades, tandis que si nous nous en rapportons aux témoignages des anciens employés, elle devait être à Bicêtre d'un sur 10 ou 12.

Dans les premières années qui suivirent la fondation de cet hôpital, les prostituées étaient admises indistinctement dans la division des femmes avec toutes les autres malades de leur sexe; à cette époque où régnaient encore le désordre et l'anarchie, elles se présentaient d'elles-mêmes comme par le passé, lorsque la violence des maux, dont elles étaient attaquées, devenait insupportable; plus tard, sous M. Dubois, on en fit entrer quelques-unes de force, en leur donnant un billet de recommandation, sur la présentation duquel les hôpitaux les envoyaient dans celui de leurs établissements qui leur était consacré.

Ce ne fut qu'en 1811, pendant l'administration de M. Pasquier, que l'on attribua aux prostituées une division spéciale dans l'hospice du Midi; tous ceux que j'ai questionnés pour avoir des renseignements sur l'histoire de cet hôpital, et en particulier les médecins et les chirurgiens, ne m'ont jamais parlé qu'avec enthousiasme du service que M. Pasquier avait rendu, soit aux mœurs, soit au bon ordre intérieur de l'hôpital, en obtenant cette séparation.

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