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CHAPITRE XXI.

DE LA POLICE PARTICULIÈRE APPLICABLE AUX DAMES DE MAISONS, ET DE LA LÉGALITÉ DES punitions qu'on peut LEUR IMPOSER.

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Les dames de maisons ont un grand intérêt à enfreindre les règlements. Ce qui rendait leur punition difficile. Raisons alléguées par ceux qui assimilent les dames de maisons aux prostituées ordinaires. · Motifs sur lesquels se fondent ceux qui sont d'une opinion contraire. Cette question restée indécise. Il est avantageux pour l'ordre public et pour les dames de maisons elles-mêmes qu'elles soient assimilées au commun des prostituées. Démonstration de cette vérité. Inconvénient des lois répressives trop sévères. Combien il serait avantageux pour l'administration de pouvoir graduer les peines. Les crimes et les délits ne peuvent pas être envisagés de la même manière par la justice et par l'administration, - Tableau des principaux cas qui aggravent ou atténuent les délits dont se rendent coupables les dames de maisons. La législation est insuffisante pour les besoins de la société à l'époque actuelle.

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Les dames de maisons mises à la tête de leurs établissements ont à remplir des devoirs qui leur sont imposés par l'administration; mais ces devoirs étant contraires à leurs intérêts, elles ont un penchant irrésistible à s'y soustraire, et elles ne manquent pas de le faire chaque fois qu'elles sont sûres de n'être ni surprises ni découvertes. La crainte seule pouvait retenir des êtres de cette espèce, on l'a mise en usage; mais l'application des punitions a soulevé des questions auxquelles le défaut de législation spéciale sur la prostitution a donné une certaine gravité.

On ne connaît que trois manières d'atteindre et de punir les dames de maisons:

1° L'amende,

2o La perte de la liberté,

3° La clôture de l'établissement.

Sous l'empire, la police employait sans difficulté ces différentes punitions, et les distribuait suivant qu'elle les jugeait meilleures; mais, après la restauration, le respect dû à la liberté individuelle fit faire des réflexions, et rendit bien plus scrupuleux tous les administrateurs qui se sont succédé à la Préfecture de police; chacun d'eux, envisageant la question suivant ses vues, ses opinions et ses préjugés, a varié de conduite sans s'astreindre aux antécédents légués par ses prédécesseurs, ce qui fait que nous nous trouvons aujourd'hui dans un vague aussi complet que celui où nous étions il y a quelques années.

D'où vient ce vague et d'où naît cette incertitude? Leur source est évidemment dans la manière d'envisager la position sociale d'une dame de maison: les uns l'assimilent aux prostituées; les autres, la rangent dans la classe de tous ceux qui exercent une industrie, et ils pensent qu'elles ne sortent pas de la loi commune, quelle que soit cette industrie, et qu'elles peuvent de cette manière réclamer tous les droits et tous les priviléges dont jouit chacun des membres de la société.

Ceux qui soutiennent la première opinion s'appuient sur les considérations suivantes :

Les dames de maisons ne sont, de fait, que des prostituées qui en réunissent d'autres; si elles n'appartiennent pas à la classe des prostituées lorsqu'elles demandent leur livret, la demande de ce livret équivaut

à un véritable enregistrement parmi les prostituées. Si elles allèguent que, pour tenir des prostituées, elles ne se prostituent pas elles-mêmes, quelle garantie peut donner de cette allégation l'état auquel elles se vouent? Il y a faculté implicite pour elles de tirer partie de leur personne, comme elles le font des femmes qu'elles régissent, sans qu'elles puissent donner aucune garantie du contraire. Tous les peuples civilisés ont d'un commun accord placé les prostituées en dehors de la loi commune. Mais quelle est la plus coupable de celle qui se prostitue pour ne pas mourir de faim, ou de celle qui, par calcul, par avarice, prostitue les autres, et emploie pour cela les moyens les plus iniques, les plus immoraux, les plus infâmes, ceux enfin qui répugnent le plus aux règles de ce sentiment intérieur que la nature place dans le cœur de tous les hommes? Que l'on consulte à cet égard l'opinion du public, et l'on verra que s'il y a une différence entre une dame de maison et ses tristes victimes dans le mépris qu'il leur porte, l'avantage ne se trouve pas du côté de la première. Or, en cela comme dans beaucoup d'autres choses, le jugement du public doit être notre règle. J'ai sondé à ce sujet l'opinion de ceux qui ont étudié ce qui regarde la prostitution, et j'ai trouvé, dans tous, un mépris profond pour les dames de maisons, et un mépris adouci par la commisération pour les prostituées.

Les personnes d'une opinion contraire se fondent sur ce raisonnement:

Un grand nombre de ces femmes, quoique nées hors de Paris, y sont domiciliées depuis quinze, vingt et vingtcinq ans ; les unes sont principales locataires, les autres même propriétaires; elles font des baux de deux, six,

huit et dix mille francs; elles paient des contributions plus ou moins fortes, et jouissent de la protection des lois comme tous les autres domiciliés. Peut-on assimiler à des vagabondes et à des personnes hors de la loi commune celles qui se trouvent dans cette position? Dans l'état actuel de notre législation, leur réclamation ne pourrait être que très embarrassante, et leur résistance plus embarrassante encore.

Toutes ces raisons, discutées en différents temps par les commissions permanentes et temporaires chargées d'examiner les améliorations dont était susceptible le régime des prostituées, ont laissé jusqu'ici la question indécise; dans toutes les circonstances les opinions se sont trouvées partagées.

Au milieu de cette incertitude on voit constamment l'administration montrer sa manière de voir à l'égard des dames de maisons, et prouver qu'elle les regarde comme de véritables prostituées; dans tous les projets de règlements dressés et présentés depuis vingt ans, on met toujours au rang des moyens coercitifs proposés contre les dames de maisons, l'amende, l'envoi dans la prison pendant six mois, la détention dans le dépôt de mendicité de Saint-Denis, le renvoi de Paris, et la fermeture temporaire ou permanente de la maison.

Si une dame de maison n'est pas assimilée à une prostituée; si, par le livret qu'elle prend, elle ne demande pas elle-même son inscription et son admission dans cette classe, il est évident qu'on ne peut lui imposer de punition pécuniaire, véritables amendes que les tribunaux seuls peuvent appliquer; on ne peut pas non plus l'expulser de Paris et la priver de sa liberté, de toutes les prérogatives celle que l'on doit le plus respecter.

Il faut louer l'administration de la réserve qu'elle met dans l'usage de la force qui lui est confiée, du respect qu'elle porte aux droits d'un peuple libre, et du soin qu'elle a d'éviter jusqu'au soupçon d'arbitraire; mais avec un peu de réflexion on reconnaîtra que cet ordre de choses est aussi nuisible à l'ordre public qu'aux dames de maisons elles-mêmes, et qu'on ne leur rend pas un service en les séparant de la classe des prostituées.

Aujourd'hui, l'administration n'a qu'un moyen de les punir, c'est de leur retirer le livret de tolérance pendant un temps plus ou moins long, ou d'ordonner la clôture définitive de leur établissement. Dans l'un et l'autre cas, la peine est extrême et n'est pas toujours proportionnée à la gravité du délit.

Supposons qu'une dame de maison soit condamnée à la peine la plus légère qu'on puisse lui imposer par exemple, la clôture pendant huit jours de son établissement; non-seulement son loyer courra pendant ce temps qu'elle ne gagne rien, mais elle ne pourra conserver chez elle aucune fille, car l'administration les expulse toutes en fermant la maison, et celles-ci, pour ne pas mourir de faim, sont obligées de se placer ailleurs; il faut donc, à la fin des huit jours, que la dame de maison s'occupe de recruter son monde, de réhabiliter sa maison, et d'y faire revenir le public. La perte est bien plus grande, si la clôture se prolonge pendant un mois; elle équivaut à une ruine totale, si elle doit durer davantage.

On retrouve ici l'inconvénient des lois criminelles trop sévères on cesse de les appliquer, et par la force des choses elles tombent en désuétude. Pour ne point diminuer le nombre des maisons de prostitution, qui,

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