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dans l'ordre actuel de notre société, rendent de véritables services, l'administration ferme les yeux sur certains délits, et ne punit que dans les cas où, poussée dans ses derniers retranchements, elle ne peut pas se dispenser de le faire.

Supposons maintenant que cette administration soit libre d'imposer à son gré une amende ou un emprisonnement plus ou moins long: elle peut proportionner la punition à tous les genres de délits, à leur gravité, à tous les cas de récidive; elle peut attaquer chaque femme par son faible, et ne laisser aucune faute impunie. Quelle est la dame de maison qui ne préférera pas une amende, même forte, à la clôture momentanée de son établissement? En supposant qu'une punition pécuniaire ne soit pas suffisante et qu'il faille recourir à l'emprisonnement, ne serait-il pas libre à l'administration de laisser subsister l'établissement en permettant à la maîtresse de se faire remplacer par une seconde? Elle accorde tous les jours ces permissions pour des raisons de santé, ou pour des voyages nécessités par des affaires de famille; cette permission n'aurait pas plus d'inconvénient dans un cas que dans un autre.

Un des délits les plus graves dont les dames de maisons puissent se rendre coupables, est la prostitution des mineures; on ne peut, dans ce cas, les atteindre qu'en les livrant au procureur du roi, qui les poursuit en vertu de l'article 334 du Code pénal; mais il faut à la justice tant de preuves, et des preuves d'une telle évidence, qu'il est rare de pouvoir les fournir aussi, à l'époque actuelle, l'impunité est-elle la suite presque constante de ce grave délit. Quelle efficacité n'auraient donc pas alors des corrections administratives, qui, pour être

arbitraires et sans appel, n'en seraient pas moins légi

times!

Les crimes et les délits ne peuvent pas être envisagés de la même manière par la justice et l'administration. Dans la prostitution d'une mineure, la justice n'aura qu'une peine à infliger; mais si cette mineure est recherchée par ses parents, si on la cache depuis longtemps, si elle est infectée, si elle a pu communiquer cette infection à un grand nombre d'individus, s'il y a une ou plusieurs récidives, l'administration verra dans ce cas des degrés de culpabilité que la justice, malgré sa rigueur excessive, ne pourra jamais atteindre.

Les dames de maisons ne doivent pas garder une fille chez elles sans venir la faire inscrire, et ne peuvent pas y conserver vingt-quatre heures celle qui aura été reconnue malade par le médecin du dispensaire; elles doivent avoir pour les médecins et les employés tous les égards possibles, et ne jamais insulter les agents auxquels la surveillance est confiée; il leur est enjoint de dépolir leurs carreaux, de cadenasser leurs fenêtres, d'empêcher les filles de les tenir ouvertes, de paraître au dehors dans un costume indécent; elles ne doivent pas se battre entre elles, et encore moins maltraiter les étrangers, etc. Or, que de nuances peuvent atténuer ou aggraver chacune de ces infractions! Une femme, par exemple, aura mis un ou deux jours de retard dans l'inscription d'une fille le délit est grave, mais il est plus grave si cette fille est infectée, et plus grave encore s'il peut être prouvé qu'elle l'a fait communiquer avec des hommes; elle méritera le maximum de la peine applicable en cette circonstance si elle livre une fille que les médecins viennent à l'instant de déclarer

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malade et qu'elle doit soigneusement séquestrer. Parlerai-je des injures, du manque d'égards pour les médecins et les employés? Je n'en finirais pas s'il fallait entrer dans plus de détails.

Il est des devoirs de circonstance imposés aux dames. de maisons, par exemple, à l'occasion d'une fête, d'une cérémonie publique; il en est d'autres qui dépendent du caprice ou des vues particulières d'un préfet nouvellement en place: comment empêcher dans ces différents cas les infractions fréquentes.

Les inspecteurs qui font des visites nocturnes dans les maisons de prostitution ont soin de noter et de mettre au rang des infractions d'avoir trouvé la dame de maison couchée avec un étranger ou même avec une de ses filles dans le premier cas, elle est censée se livrer à la prostitution; dans le second, de favoriser ce vice infâme que n'osent avouer et défendre les gens les plus immoraux. Comment atteindre de tels délits, et par quels moyens les punir !

Il reste prouvé par tout ce qui précède, que le système qui consiste à séparer les dames de maisons du commun des prostituées assure à ces dames une impunité certaine pour la plupart des infractions aux règlements qui les gênent, et que ce n'est pas sans raison que ceux qui ont fait des prostituées et de la prostitution une étude spéciale, tout en approuvant la réserve de l'administration, désirent vivement une législation mieux appropriée aux besoins de notre société actuelle.

Au reste, la magistrature qui, par sa position, est appelée à maintenir les principes sur lesquels repose la société, a souvent prouvé par ses jugements sous quel point de vue elle considère les êtres ignobles qui font

de la prostitution un moyen de fortune, et par un arrêt rendu le 29 décembre 1835, la deuxième chambre de la Cour royale de Paris a décidé qu'une femme qui tient une maison de tolérance ne peut, à raison de l'industrie honteuse qu'elle exerce, être considérée comme commerçante, et que les billets souscrits par elle ne peuvent être regardés comme des actes de commerce. Dans une courte plaidoirie, l'avocat général, M. Pécourt, a fait ressortir avec dignité ce qu'il y avait d'injurieux pour le commerce à lui assimiler une industrie de cette espèce.

[Depuis longtemps déjà l'amende et la prison n'étaient plus infligées aux maitresses de maisons pour infraction aux obligations qui leur sont imposées, quand Parent a écrit cet ouvrage. La fermeture temporaire ou définitive de leur maison, telle est la seule mesure répressive que l'administration emploie à leur égard. Le minimum de ces punitions est de vingt-quatre heures de fermeture, le maximum le retrait définitif du livre. Il est arrivé qu'une maîtresse de maison a été expulsée du département, par application de la loi du 9 juillet 1852, pour avoir recélé un mineur et lui avoir fait dépenser en orgies de tous genres une somme importante qu'il avait dérobée à son patron, lequel n'a pas voulu porter plainte en justice.

Mais pour tout ce qui a le caractère d'un délit, l'administration laisse aux tribunaux à prononcer.

Il semblerait résulter, de ce que dit Parent, que l'administration ferme les yeux sur certains faits graves, parce qu'elle appréhende trop ou trop peu de la justice, et que les maisons de tolérance sont d'une nécessité indispensable pour la répression de la prostitution.

L'administration n'a jamais eu une condescendance semblable; elle se montre, au contraire, impitoyable pour les maîtresses de maisons qui abusent de sa confiance ou se montrent incapables, et les oblige à se démettre de leur exercice sous peine de retrait du livre.]

CHAPITRE XXII.

DE LA LÉGISLATIon des filles publiques, et de la légalitÉ DES MESURES ADOPTÉES EN DIFFÉRENTS TEMPS CONTRE LES DÉSORDRES QUI RÉSULTENT DE LA PROSTITUTION.

On a dû remarquer dans les chapitres précédents qu'on y parle à chaque instant d'arrestations, d'inscriptions, de taxes, d'amendes, de prison, d'expulsions de Paris, de peines de différents genres, etc., etc. Tout cela suppose une autorité confiée à quelqu'un, et une étendue presque illimitée des pouvoirs les plus grands. Comme cette autorité, à l'époque actuelle de notre société, ne peut s'exercer sans une loi, je me trouve naturellement amené à traiter cet article d'une si haute importance, et à examiner en détail tout ce qui regarde la législation des prostituées, et la légalité des mesures qui ont été prises à leur égard en différents temps et en différentes circonstances.

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