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ma conviction intime, conviction que tout individu qui ouvrira mon livre partagera certainement.

Je me suis souvent demandé, au commencement de mes recherches, ce que faisait l'administration lorsqu'une prostituée,venant à perdre son père et sa mère, se trouvait par le fait même de cette mort chargée des soins que peuvent réclamer des frères et sœurs mineurs. Je croyais qu'à l'imitation de ce qui se pratiquait dans Rome ancienne on leur ôtait la tutelle et la surveillance de ces enfants; les personnes que j'ai interrogées à ce sujet m'ont répondu que nos lois et nos mœurs actuelles rendaient inapplicable chez nous la législation des Romains; que, si les prostituées sont mises hors de la loi commune, c'est seulement pour ce qui concerne la prostitution, mais qu'elles rentrent sous cette loi dans toutes les circonstances de la vie ordinaire et jouissent de tous les avantages qui y sont attachés.

Malheur aux enfants qui tombent en de pareilles mains! nous ne pouvons que les plaindre, car nous n'avons aucun moyen de les soustraire à la corruption dont ils sont entourés.

[On a vu (t. I, p. 24) que le Conseil des Cinq-Cents n'avait pas reconnu la nécessité d'une loi répressive de la prostitution et des filles prostituées, cette matière étant suffisamment réglée par les anciennes ordon

nances.

Les tribunaux, de leur côté, loin de contrôler l'usage que fait de ces anciens règlements l'autorité administrative, ont reconnu que les maisons de débauche et les prostituées exigent des dispositions particulières toutes spéciales. Ceci résulte, en effet, des termes de plusieurs jugements et arrêts dont voici les considérants:

Jugement du tribunal correctionnel du 30 décembre 1845:

Le tribunal, en ce qui touche la prétendue abrogation de l'ordonñance de 1778; attendu que cette ordonnance n'a été abrogée par aucun acte législatif, et que, aux termes de l'article 484 du Code pénal, dans toutes les matières qui n'ont pas été réglées par ledit Code pénal, et qui sont régies par des lois et règlements particuliers, les tribunaux doivent continuer à les observer;

Attendu que les matières réglées par ladite ordonnance de 1778 n'ont été l'objet d'aucune disposition législative subséquente; que cette ordonnance a donc conservé force légale, et doit continuer à être appliquée;

Attendu d'ailleurs que ladite ordonnance, émanant du lieutenant général de police, n'est que la reproduction d'anciennes ordonnances royales qui édictaient des peines dont celles prononcées par l'ordon nance dont il s'agit ne sont que le rappel;

Sans s'arrêter au moyen de droit tiré de la non-applicabilité de ladite ordonnance et statuant au fond; attendu que les faits sont constants, condamne *** à 50 francs d'amende et aux dépens.

Sur appel, la Cour, le 18 février 1846,

La Cour, en ce qui touche la question d'abrogation de l'ordonnance du 6 novembre 1778, adoptant les motifs des premiers juges, met l'appellation au néant.

Jugement de la 7 chambre correctionnelle du 10 janvier 1846:

Attendu que l'ordonnance du 6 novembre 1778 n'est pas un simple règlement de police; qu'il résulte en effet de son préambule qu'elle n'a été portée que pour rappeler et maintenir en vigueur les prohibitions et peines plus anciennement édictées par des ordonnances royales ayant la force et l'autorité de la loi;

Attendu que les lois des 16-24 août 1790, 19-22 juillet 1791, et 'article 471, § 15, du Code pénal, sont sans application à l'espèce, puisqu'il ne s'agit pas de l'un des objets confiés spécialement à la vigilance et à l'autorité des corps municipaux par l'article 3, titre 2 de ladite loi des 16-24 août 1790;

Attendu que les anciennes lois rappelées par l'ordonnance de 1778, non plus que ladite ordonnance elle-même, n'ont été abrogées ni expressément ni tacitement par aucune disposition législative; que, loin de là, elles ont été explicitement confirmées par l'article 484 du Code pénal qui prescrit aux tribunaux d'observer, dans les matières non réglées par le Code, les anciennes lois et règlements particuliers;

que l'obligation imposée à l'autorité judiciaire dans des termes absolus et sans distinction, doit s'entendre non-seulement des prohibitions et prescriptions, mais encore de la pénalité portée par lesdites anciennes lois et règlements, pourvu toutefois que cette pénalité soit conciliable avec la législation actuelle ;

Attendu en fait que le Code pénal ne contient aucune disposition relative aux femmes de mauvaise vie et aux lieux de débauche clandestins, d'où la conséquence que, pour réprimer des infractions de la nature de celle reprochée à ***, il faut nécessairement recourir à l'ordonnance de 1778;

Et attendu qu'il résulte, tant du procès-verbal dressé et des débats que, etc., etc., condamne à 400 francs d'amende.

Arrêt de la Cour d'appel du 3 avril 1846 :

En ce qui touche l'exception tirée de l'abrogation, soit en ce qui concerne les prescriptions, soit en ce qui concerne les dispositions pénales du règlement du 6 novembre 1778;

Adoptant les motifs des premiers juges au fond, met l'appellation au néant.

Deux arrêts de cassation, en date des 3 décembre 1847 et 28 septembre 1849, appuient les considérations invoquées par la Cour d'appel.

Cependant on n'a pas été sans contester à l'autorité administrative le droit de faire usage de la pénalité que prononcent ces anciens règlements et d'édicter d'autres peines que celle prononcée par l'article 471, no 15, prétendant « que les infractions à ces règlements doivent se poursuivre par les articles 330 et 471 du Code pénal; que l'article 484 ne saurait faire revivre une législation qui n'est plus compatible avec nos mœurs et qui a été abrogée par la législation nouvelle. »

La prostitution, les femmes qui s'y livrent, les maisons où elle se cache, constituent des outrages à la morale, mais qui ne rentrent pas dans la définition de l'article 330, qui, comme condition nécessaire de l'infraction punissable, exige la publicité.

Est-ce au moyen de l'article 471, qui prononce,

comme maximum, cinq jours de prison et 15 francs d'amende, qu'on réprimera ces outrages? On a vu par ce qui précède que la prison n'est pas toujours efficace pour la répression des scandales qui ne tombent pas sous l'application de la loi. A quelle licence effrénée ne se livreraient pas les 4 à 5,000 filles inscrites à Paris si jamais elles pouvaient être assimilées, pour les infractions aux règlements, à tous ceux qui, libres de leurs actions, ne sont passibles que des tribunaux ordinaires!

Et comment admettre que le Code pénal, dans son système complet de répression, n'ait pas prévu, n'ait pas puni ce qui se rattache à la prostitution, à cette cause de désordres si graves, ce fait qui attaque la société dans ses intérêts les plus vrais, et que le Code semble ainsi légitimer les actes les plus dangereux par l'oubli dont il les couvre?

C'est que le législateur a pensé sans doute que la prostitution, ne pouvant être interdite, devait être réglementée; qu'elle ne pouvait l'être par une loi dans laquelle serait écrit que la prostitution est une profession, et par cette dernière raison que l'administration. qui y avait suffisamment pourvu saurait y pourvoir à l'avenir.

Voilà qui est écrit formellement dans l'article 484 du Code pénal, qui, dans les matières non réglées par le Code et régies par des lois et règlements particuliers, veut que l'observation en soit continuée.

Et, pour établir que telle a été la véritable pensée du

législateur, nous dirons qu'il suffirait de recourir à l'orateur du gouvernement qui a présenté la loi, et qui, en énumérant le grand nombre de matières non régies par le Code et dont les règlements spéciaux doivent

pros

toujours recevoir leur exécution, s'explique sur la titution en signalant les maisons de débauche où elle s'exerce.

A l'appui de cette opinion, nous invoquerons un arrêt de la Cour du 3 octobre 1823 (Bulletin des lois, n° 138).

Il s'agissait de l'infraction à un ancien règlement et de troubles dans une maison de débauche.

Attendu (porte l'arrêt) qu'aux termes de l'article 484 du Code pénal, les faits poursuivis sont punissables comme étant prévus par l'ancien règlement et parlement de Bretagne du 29 juillet 1786, casse.

CHAPITRE XXIII.

LES PROSTITUÉES SONT-ELLES NÉCESSAIRES?

Si l'on ouvre les ouvrages qui traitent de la police et des mœurs, si l'on écoute ce qui se dit dans le public et dans toutes les classes de la société, on verra partout dominer cette opinion, que les prostituées sont nécessaires, et qu'elles contribuent au maintien de l'ordre et de la tranquillité dans la société.

Sans blâmer cette manière d'envisager un grand fait, j'aime mieux me ranger de l'avis de ceux qui les regardent comme inséparables d'une nombreuse population réunie sur un même point. Sous des formes qui varient, suivant les climats, les mœurs nationales, la prostitution reste inhérente aux grandes populations; 3 Edit., T. II.

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