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On connaît, a cette heure, en partie du moins, les dangers, les suites déplorables de la prostitution.

Les maux qu'elle engendre frappent toutes les classes indistinctement, ils sont redoutables surtout pour la population ouvrière.

Tout en admettant que les dispositions adoptées par le pouvoir administratif sont bien entendues dans leur ensemble, nous croyons qu'en pareil cas, l'application, l'exécution des moyens étant difficiles, les secours restent impuissants, sont illusoires même, s'ils ne sont pas très abondants, très largement distribués.

Pour la surveillance, malgré leur bon vouloir, que peuvent six ou sept agents de police dont l'action se dissémine sur une ville de 300,000 âmes?

Il a bien été arrêté que les filles publiques ne circuleront plus dans les rues, provoquant au libertinage par leur présence et leurs signes; mais cette défense est loin de recevoir son entière exécution.

Le bureau des mœurs demanderait un personnel plus nombreux. Son organisation, celle du dispensaire médical qui en dépend, gagneraient si le système parisien était suivi plus complétement.

Les inspections médicales, qui ne se renouvellent que tous les dix jours, devraient être plus rapprochées. M. Trébuchet a dit avec raison: « Plus on cernera la syphilis chez les filles publiques, où il est permis de la poursuivre à outrance, plus elle diminuera, par contre-coup, dans les autres classes de personnes qu'elle a coutume d'affecter (1) »

Les demi-mesures non-seulement sont stériles, mais elles font naître une fausse sécurité, toujours pernicieuse. Une preuve de l'urgence de multiplier les visites sanitaires, c'est la quantité prodigieuse de maladies vénériennes parmi les soldats de la garnison: cinq fois sur six au moins c'est dans leurs rapports avec les prostituées que les militaires puisent le principe syphilitique.

A l'Antiquaille, 230 lits affectés aux maladies vénériennes peuvent-ils être suffisants pour une ville comme Lyon, qui compte une population flottante si considérable?...

Que l'hospice reste établissement communal, mais que

(1) Annales d'hygiène publique, Paris, 1836, t. XVI, p. 284.

les obstacles, que les difficultés qui s'opposent à l'admission des malades soient simplifiées!... Que le nombre des lits soit accru pour l'extension des secours, aussi bien que pour un classement des malades, plus sage et mieux entendu!... La santé publique, d'une part, les convenances et la morale, de l'autre, y gagneront. Si l'étroitesse du local empêche que ces modifications s'opèrent aujourd'hui, nous avons motif de croire, et surtout d'espérer, que le transfert du dépôt de mendicité hors de la ville, qui a été résolu, permettra de remédier bientôt à un vice que tout le monde avoue, et donnera à l'Antiquaille un développement indispensable.

Alors les jeunes ouvrières, les prostituées clandestines, les filles malheureuses ne craindront plus de se présenter; alors aussi la surveillance, l'action de l'autorité seront plus efficaces; le but qu'on se propose sera plus sûrement atteint.

L'hygiène et la morale sont solidaires l'une de l'autre : d'une existence irrégulière à une vie déréglée il n'y a qu'un pas. Journellement de pauvres filles arrêtées déclarent n'être tombées dans la débauche que poussées par le besoin suivant le témoignage de l'inspecteur du bureau des mœurs, elles n'ont pas perdu tous les bons sentiments, la plupart demandent ou accepteraient volontiers une occupation honnête, une position transitoire qui les aideraient à sortir de la voie honteuse dans laquelle l'indigence les a engagées. En attendant un avenir meilleur (si une autre organisation du travail doit le réaliser jamais), il est une fondation d'utilité publique, essentielle surtout à Lyon, que l'autorité supérieure devrait créer pour la classe ouvrière c'est une maison ordonnée sur une large base, un atelier de travail, où seraient reçues sur leur désir, ou bien envoyées d'office par l'administration, les femmes, les filles mineures que la misère entraîne à leur perte. Un refuge semblable rendrait d'immenses services dans les moments de crises commerciales. La société trouverait là une compensation réelle à ses sacrifices pécuniaires. Divers essais de cette nature ont été tentés; l'impulsion est venue de l'esprit religieux, qui a donné l'exemple aux économistes en commençant une œuvre dont nos gouvernants se sont contentés de louer les avantages. Ces efforts partiels, isolés, nobles par la pensée qui les inspire, mais trop limités dans leurs ressources, et par conséquent dans leurs effets, ne peuvent exercer leur influence que sur quelques

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individus, et jamais sur les masses. Ces ateliers, en même temps qu'ils feraient éclater l'intérêt que les classes laborieuses inspirent à l'administration, agiraient très heureusement sur l'ordre et la moralité de la population lyonnaise. Les secours qui préservent doivent obtenir la préférence sur ceux qui remédient.

Cependant, parmi les victimes que la prostitution conduit à l'Antiquaille, toutes ne sont pas perdues sans retour; durant leur passage à l'hospice, on ne s'occupe pas exclusivement de la santé du corps; la religion s'applique à réveiller chez ces êtres faibles, égarés ou ignorants, les sentiments de vertu et les idées de réforme. La charité chrétienne a suggéré l'institution d'un lieu de convalescence morale. Un asile dit de Notre-Dame de Compassion, a été ouvert en 1827 c'est une voie qui ramène dans le monde, qui sert à réhabiliter les malades guéries à l'Antiquaille. Dans cette maison, l'esprit et le cœur trouvent des forces, des consolations, des préservatifs que de simples conseils ou des exhortations passagères n'auraient pu donner à ces femmes déchues.

Rappeler à une vie normale la créature dépravée ou séduite, c'est arrêter à la fois dans son principe, la contagion du vice et de la maladie.

Dans ce refuge, 120 à 130 filles sont instruites de leurs devoirs, se livrent à l'apprentissage, à la pratique de métiers divers, qni plus tard pourront les nourrir. Toutes les années, 35 à 40 filles sont enlevées ainsi à la débauche une moitié environ sort de l'Antiquaille, les autres viennent du dehors, sont arrachées directement à la prostitution clandestine.

Maintenant que nous croyons être arrivé à la fin d'un travail forcément resserré dans d'étroites limites, nous sommes en droit de le résumer par les propositions suivantes, corollaires de ce qui précède :

1o La prostitution clandestine ou publique est très répandue dans la ville de Lyon.

2o Elle y trouve soit des conditions particulières, soit des éléments généraux puissants pour exister et s'accroître.

3o Son influence corruptrice est double: elle se révèle par des désordres physiques et moraux.

4° Elle nuit au bien-être général de la population, en perver tissant les habitudes de la classe ouvrière, en détruisant l'esprit de conduite, en provoquant, en multipliant des accidents spéci

fiques, contagieux, des maladies graves qui portent une atteinte profonde à l'organisme vivant.

5o Dans tous les temps, le pouvoir qui a compris les immenses dangers de ce fléau, s'est efforcé de le combattre énergiquement, ne pouvant le détruire dans son principe.

6o Des précautions, des mesures très diverses, ont été proposées ou admises dans l'intérêt de la société sur laquelle il pèse, non pas seulement par la suspension ou la diminution du travail, mais encore par un accroissement de dépenses improductives.

7° Les moyens employés à Lyon pour lutter contre la prostitution et ses conséquences, bien qu'ils soient rationnels, sagement compris, nous paraissent insuffisants dans les circonstances actuelles; ils ne répondent pas, à notre avis, à la gravité du mal, et ne sont pas mieux susceptibles de l'arrêter dans ses effets que dans ses causes.

IV

COUP D'OEIL

SUR LA PROSTITUTION A MARSEILLE,

Par le docteur Melchior ROBERT,
Chirurgien-adjoint de l'Hôtel-Dieu de Marseille.

Marseille, ville éminemment commerciale, attire dans son sein un nombre infini de spéculateurs de toutes les contrées. Cette affluence d'étrangers généralement haut placés dans les affaires est pour notre cité la cause d'une prospérité toujours croissante, aussi la richesse et la population augmentent-elles chaque année. Mais dans un pays où la science et l'art ne figurent qu'au dernier plan, les moments de loisir deviendraient à charge si l'on ne trouvait dans d'autres occupations le moyen de les employer; la table, les promenades, les exhibitions de toilettes fantastiques, les parties carrées, le luxe en tout et pour tout, en voilà plus qu'il ne faut pour séduire une femme peu disposée au travail, et dont les goûts exigent des dépenses au-dessus de ses moyens pécu naires. Eh bien ! tout cela est réuni a Marseille et peut à bon droit entrer en ligne de compte dans les causes de la prostitution.

Si l'existence des mauvais lieux a de tout temps été une triste nécessité à Marseille, l'administration n'a rien négligé pour opposer une barrière à l'extension de ce commerce honteux. C'est ainsi que les Ribaudes ne pouvaient autrefois avoir leur résidence que dans certains quartiers, dans certaines rues généralement éloignées des asiles religieux; il leur était également interdit de porter des habits riches à couleurs éclatantes, et de se couvrir de pierreries, pour qu'on pût les distinguer des femmes honnêtes. Des amendes, des peines infamantes, le fouet même étaient les punitions destinées aux contrevenantes. On voit déjà dans cette sévérité une tendance à réglementer la débauche et à réunir ses éléments dans quelques foyers faciles à surveiller.

Bien qu'une des villes les plus corrompues à cette époque, Marseille, moins civilisée en cela que Toulouse, Nîmes et surtout Avignon, n'avait pas encore essayé d'établir la tolérance des mauvais lieux en créant des règlements administratifs, en systématisant officiellement la pratique de la prostitution; c'est ce qu'elle tenta à plusieurs reprises, mais longtemps sans résultat.

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