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ment assez complétement l'ensemble des dispositions qui régissent aujourd'hui la prostitution à Alger. Nous croyons ne pouvoir mieux faire que de reproduire textuellement ces deux pièces.

A.

POLICE DES FILLES PUBLIQUES.

ARRÊTÉ DU 25 NOVEMBRE 1852.

Nous, maire de la ville d'Alger, etc. . . . Vu. . . Considérant. . .

Arrêtons :

Art. 4. Le nombre des filles qui peuvent être admises dans les maisons de tolérance ne pourra jamais dépasser le chiffre des chambres existantes dans le local occupé.

Art. 2. Il est défendu aux matrones de loger des filles en nombre plus considérable que celui autorisé, et d'en admettre qui ne seraient pas munies de cartes sanitaires.

Art. 3. Les matrones tiendront un registre coté et paraphé par le commissaire du dispensaire. Ce registre, qui devra être constamment à jour, indiquera, pour chaque fille qui loge dans la maison, ou qui n'y aurait même passé qu'une nuit: 4° la date de son entrée, 2° ses nom et prénoms, 3o le numéro de sa carte d'inscription; et, lors de sa sortie, le registre en indiquera: 4° la date, 2° le motif, 3° autant que possible, le lieu où elle s'est retirée.

Art. 4. Les matrones devront exiger des filles publiques qu'elles recevront dans leur maison, la représentation de leurs cartes d'inscription. Elles devront également s'assurer, dans les vingt-quatre heures, qu'elles y ont fait annoter par le commissaire du dispensaire la mention de leur nouvelle demeure, et si ces filles n'étaient pas munies de cartes d'inscription, en faire, par elles-mêmes, dans la journée, la déclaration au bureau de police.

Art. 5. L'arrivée ou le départ, quelle qu'en soit la cause, d'une fille admise sera, le soir même, à la diligence des matrones, signalé au bureau de police du dispensaire.

Art. 6. Les matrones conduiront aux visites sanitaires les filles admises dans leur maison; elles veilleront avec soin à ce que, en y allant et en venant, elles ne portent pas, par gestes ou par paroles, atteinte aux mœurs ou à la décence.

Art. 7. Les filles publiques devront être continuellement pourvues de leur carte de visite, et elles seront tenues de la représenter à toutes réquisitions, tant des commissaires que des inspecteurs de police. Celles qui ne pourront produire cette carte, ou qui, sur son exhibition, seront considérées comme malades et conduites au dispensaire, où elles auront été reconnues n'avoir pas subi les visites périodiques auxquelles elles sont astreintes, resteront tenues en état d'observation pendant le temps nécessaire pour s'assurer de leur état sanitaire.

Art. 8. Il reste expressément défendu à toute personne tenant maison de débauche, ainsi qu'aux logeurs de femmes prostituées, d'avoir cabaret dans leur domicile ou d'y donner à boire.

Il est également défendu à tout cabaretier et cafetier de recevoir

dans leurs établissements des filles publiques, et à celles-ci de s'y introduire.

Art. 9. Aucune fille publique ne pourra circuler dans les rues ou sur les places publiques après huit heures du soir, à moins d'une permission spéciale du maire, laquelle sera visée par le commissaire central de police.

Art. 10. Aucune fille publique ne pourra, pendant le jour, aller et venir dans les rues, sur les places et marchés, ni y stationner, ni s'adresser aux passants par gestes ou par paroles, afin de les attirer et de se faire suivre par eux.

Art. 44. Toute fille publique qui se livrera dans son domicile à des actes de débauche ou de prostitution, de manière à être vue de personnes logées en face ou dans le voisinage, sera immédiatement arrêtée et mise à la disposition du parquet, pour être poursuivie et punie conformément au Code pénal.

Art. 42. Il est fait défense aux filles publiques de se tenir à leurs fenêtres ou sur leurs portes, de se présenter aux casernes ou devant les corps-de-garde, d'accoster les militaires dans les lieux publics, et de les recevoir chez elles après l'heure de la retraite.

Art. 43. Les filles publiques ne pourront refuser de laisser pénétrer dans leur domicile, à quelque heure que ce soit, les officiers et agents de police.

Art. 14. Les contraventions aux dispositions du présent arrêté seront punies de la fermeture de l'établissement, s'il y a lieu, et de peines disciplinaires qui pourront être infligées administrativement, sans préjudice des peines plus graves qui seraient encourues pour délits et crimes définis par le Code pénal.

Art. 15. La police et la gendarmerie restent chargées, chacune en ce qui la concerne, de l'exécution des dispositions du présent arrêté.

B. EXTRAIT DES DÉLIBÉRATIONS DE LA COMMISSION MUNICIpale d'alger, LE 30 JUIN 1853.

Toute femme ayant reçu la carte de fille soumise devra payer une somme de 9 francs par mois. Ce paiement aura lieu par tiers dans le courant de chaque mois.

Lorsqu'une fille soumise demandera que la carte lui soit retirée, et que la demande sera accueillie favorablement, elle devra préalablement payer une somme de 30 francs pour le retrait de sa carte.

Tout renouvellement de carte donnera lieu à un paiement de 2 francs, quelle que soit la cause qui l'aura motivé.

Les filles soumises retenues au dispensaire pour leur guérison, ne paieront pas la rétribution de 9 francs par mois, pendant le temps de leur traitement dans l'établissement.

Toute fille soumise qui voudra s'absenter d'Alger pendant quelques temps devra payer une somme de 40 francs, lorsque cette permission lui sera accordée.

Les femmes qui seront amenées au dispensaire, et qui, ayant été

reconnues malades, y seront traitées pour leur guérison, devront payer, avant leur sortie, une somme de 4 franc par jour, pour dépense de nourriture et traitement. Si la carte de fille soumise ne leur est point donnée au moment de la sortie, et si elles justifient de l'impossibilité de s'acquitter des frais de traitement, elles en seront exonérées.

ART. III. APERÇU DE LA PROSTITUTION SUR DIVERS POINTS DE LA

COLONIE.

De quelque manière que notre occupation ait procédé dans le nord de l'Afrique, soit en s'emparant de villes habitées par les indigènes, soit en érigeant des postes sur de nouveaux points stratégiques, partout elle a dû compter avec la prostitution. Dans les cités prises de vive force, les Mauresques se gardèrent bien de suivre l'émigration des habitants, retenues par l'appât du lucre à prélever sur une nombreuse garnison française. Autour des camps et dans nos villages improvisés, l'intronisation de la cantine, cette lèpre si fatalement attachée à chaque pas de la conquête, n'a manqué nulle part de traîner derrière elle l'autre. plaie non moins redoutable de la fille publique.

Dès le début de l'installation, les commandants de place cumulèrent généralement, avec d'autres attributions, la surveillance de la débauche; mais, peu à peu, les proportions du mal excédèrent les moyens d'action d'une autorité peu préparée, il faut en convenir, aux exigences de ce genre de répression, et l'institution des dispensaires tendit à se généraliser.

A CONSTANTINE, peu de jours après la reddition de la place, on dut aviser à des mesures pour garantir nos soldats d'une contagion vénérienne pour ainsi dire endémique, si l'on en juge par l'immense quantité d'affections syphilitiques constitutionnelles et héréditaires que nos confrères de l'armée furent appelés à traiter dans la population indigène. En 1838, M. Deleau, chirurgien en chef de l'hôpital militaire, frappé, comme ses prédécesseurs, de l'insuffisance des soins donnés à domicile aux femmes infectées qu'il était chargé de visiter, proposa à l'intendance un nouveau mode curatif et prophylactique à la fois. Il consistait à faire payer aux filles infectées une somme dont l'emploi devait servir à l'entretien d'un dispensaire. A cette époque. remonte véritablement la première ébauche d'un établissement où les victimes de la syphilis se sont trouvées logées, alimentées et traitées, sans autre rétribution, sous la surveillance d'une di

rectrice. On y affecta un local salubre. Les malades commencèrent par apporter chacune une natte et quelques Haïk pour se coucher; on régla la nourriture selon les habitudes indigènes et la médication conformément aux principes de notre thérapeu tique. En 1840, sur 50 filles inscrites, le dispensaire avait en traitement, terme moyen, 7 femmes par jour.

A BLIDAH, un peu plus tard, pareille création fut inaugurée par le docteur Finot, avec la pensée d'y rattacher l'hospitalisation d'autres malades arabes et quelques essais de vaccination indigène. Comme moyen de transaction avec l'ancien état de choses, le Mézouar devint l'économe de ce dispensaire, et moyennant une redevance personnelle de 12 fr. par mois, il se chargea de nourrir ses pensionnaires.

Blidah comptait alors 37 filles inscrites, savoir:

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72 affections vénériennes qui y furent observées se décomposent ainsi :

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Comme il était facile de le prévoir, le temps consacra l'utilité de cette fondation provisoire, et Blidah eut un dispensaire régulier, administré par un économe assisté d'un médecin civil.

La même marche suivie ailleurs a déjà doté d'établissements pareils, ORAN, MOSTAGANEM, BÔNe, Philippeville, etc.

Sur bon nombre d'autres points de l'Algérie la prophylaxie de la syphilis n'est point aussi avancée. Partout où la médecine coloniale a un représentant, il visite les femmes publiques one fois tous les 8 ou 10 jours. C'est un officier de santé militaire qui le supplée, si la localité ne compte pas un médecin de dis trict. A défaut d'hôpital civil, l'hôpital militaire reçoit les fenmes reconnues infectées. Ainsi se sont longtemps passées et se passent sans doute encore aujourd'hui les choses, à Cherchell, TENĖS, ORLEANSVILLE, BATNA, SÉTIF, etc. J'ai été à même d'ob

server dans cette dernière ville, en 1852-1853, les inconvénients de toute sorte d'un pareil système. L'introduction des prostituées dans l'hôpital militaire y est une cause incessante de désordre. L'unique, mais considérable, maison de tolérance de la localité, avait en moyenne 2 femmes en traitement daus mon service; leur isolement complet des autres salles présentait de très grandes difficultés, et si pénible était la charge de les surveiller, par rapport aux malades et aux infirmiers mêmes préposés à leur assistance, que nous nous trouvions presque toujours forcés de renvoyer ces créatures turbulentes et éhontées avant leur entière guérison. On s'est même vu contraint d'en faire conduire quelques-unes de brigade en brigade, par la gendarmerie, jusqu'au dispensaire de Constantine.

Faute d'une surveillance administrative suffisante, le dénombrement exact des prostituées n'est pas assez exactement établi pour permettre d'étudier leur rapport proportionnel avec une population qui manque elle-même de recensement précis.

La moyenne des filles publiques visitées à SETIF en 1852, variait de 4 à 8 d'un mois à un autre; elle était généralement basée sur l'importance d'une garnison, portée, suivant les circonstances de guerre, au triple et au quadruple de l'élément civil. Ces 8 femmes ont donné, pour une période de 8 mois, de septembre 1852 à avril 1853, 14 entrées à l'hôpital, 7 pour écoulements simples, et 7 pour affections virulentes.

A mesure qu'elle s'éloigne du littoral, la prostitution devient de plus en plus dangereuse, et par la dégradation progressive des sujets qui la servent, et par l'imperfection toujours croissante de la surveillance. Peu de maisons de tolérance de l'intérieur peuvent s'approvisionner en France, au prix de voyages et de transports dispendieux. Force leur est donc de se recruter des rebuts du littoral.

La même dépréciation s'applique à la prostitution clandestine, et pourtant elle n'en est pour cela ni moins achalandée ni moins surveillée!

On peut juger, d'après ces détails, si imparfaits qu'il m'a été permis de les recueillir, combien, sur toute la surface de l'Algérie et principalement à l'intérieur, dans nos villes naissantes, peuplées de garnisons nombreuses, aux points de contact de notre civilisation conservatrice avec le fatalisme indifférent des indigènes en matière d'hygiène publique, il importe hautement que

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