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T.-S. Holland, le nombre de ces femmes ne dépasserait pas 700 (1)

Voici, sur ce sujet, le résultat des informations prises par M. Guerry à Manchester, avec une population de 330 690 habitants (1855), le nombre des maisons de prostitution n'a jamais été de plus de 366 depuis 1843, année à laquelle remontent les premiers relevés. Ce chiffre comprend, dans la proportion d'environ 4 pour 100, les maisons où les prostituées ne demeurent pas habituellement. Une réduction considérable avait eu lieu immédiatement après l'établissement de la nouvelle police, en 1840. Le dernier rapport adressé au Watch committee de cette ville par le Chief constable, M. Ed. Willis (19 juin 1856), porte aujourd'hui le nombre de ces maisons à 263, et celui des prostituées à 615.

Pour les sept années 1843-1849, le nombre moyen des maisons était de 322, celui des prostituées de 714.

Pour les six années suivantes (1850-1855), le nombre moyen des maisons n'était plus que de 279, et celui des prostituées de 675, malgré l'accroissement considérable de la population, qui, pendant cette période, s'est élevée de 235 507 (1841) à 330 690 (1855). Nous trouvons donc ici une progression décroissante.

D'après les relevés d'une période de six années (1846-50), à Liverpool (375955 habitants, 1851), le nombre des maisons excéderait des deux tiers seulement celui de Manchester, tandis que le nombre des prostituées y serait relativement à celui de cette dernière ville dans le rapport de 247 à 100.

Ce n'est pas un fait peu digne d'intérêt que cette différence si tranchée qui s'observe entre deux villes rapprochées comme le sont Liverpool et Manchester. C'est que la destinée, la mission, l'existence de l'une de ces deux cités ne ressemblent en rien à la destinée, à la mission, à l'existence de l'autre. Les éléments de la vie générale n'y sont pas les mêmes; tout s'en ressent, même la prostitution.

Manchester est, par-dessus tout, une ville d'affaires et de travail; rien n'y rappelle le mouvement de Liverpool ni celui de la métropole. Quand l'industrie est prospère, la population entière, hommes, femmes, enfants, tout y est occupé. Il y a peu de place pour la débauche.

D'ailleurs, la corruption qui s'exerce à prix d'argent doit y être peu active, à cause de l'absence des classes supérieures. La nouvelle aristocratie elle-même n'habite pas Manchester. « Les

(1) The Brit. and for. med. chir. rev., 1854, t. XIII, p. 457.

marchands et les manufacturiers font leur résidence hors des faubourgs, dans des villas qu'entoure un parc ou un jardin (1).» Il faut tenir compte aussi du soin que les prêtres catholiques irlandais mettent à surveiller et à protéger les jeunes sujets. << Dans cette ville, où les enfants en bas âge, livrés à eux-mêmes, courent les rues pieds-nus et en haillons, pendant que leurs parents s'enivrent, et où la police en a recueilli jusqu'à 5000 par an égarés sur la voie publique, les prêtres catholiques tiennent le soir les chapelles ouvertes, comme une espèce d'asile où les jeunes filles et les jeunes garçons passent le temps à chanter des cantiques et à écouter la parole de leur pasteur (2). »

La prostitution se façonne, en général, à l'image du personnel qui la fréquente. A Liverpool, les filles publiques sont plus spécialement consacrées aux étrangers, aux matelots; à Manchester, ce sont plutôt des hommes de bonne compagnie qui vont demander à ces femmes la satisfaction de leurs sens. Cette particularité explique en grande partie pourquoi, dans cette dernière ville, la prostitution a des formes plus décentes.

Toutefois, il ne faudrait pas conclure de ce qui précède que Manchester se fait remarquer par sa moralité. Il n'en est rien.

Le mélange des sexes et des âges dans les manufactures est une cause effroyable de démoralisation. A Manchester, cette démoralisation est excessive; mais elle s'y accomplit, dans les conditions générales ordinaires, au profit du concubinage, et non au profit de la prostitution. En outre, rien n'égale l'abus qui se fait des liqueurs enivrantes à Manchester. Ce ne sont pas seulement les hommes, mais aussi les femmes et les enfants, qui sont adonnés à l'ivrognerie.

Degré d'instruction des femmes arrêtées pour infractions de toute nature. Moyennes de 15 années, de 1840 à 1855 (1844 manque).

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A Manchester, l'instruction des fenimes arrêtées par la polis (tot. 32276) est, comme on le voit ici, très inférieure à celle de femmes arrêtées à Londres (tableau B). Mais dans ces deux villes. c'est parmi les prostituées que se trouve le plus grand nombre de délinquantes ayant reçu quelque instruction.

L'absence de moralité que je viens de signaler, produit un fait très digne d'attention parce qu'il met en lumière une des causes les plus puissantes de prostitution au sein des populations sans pri cipes et sans éducation, c'est une variation considérable dans le nombre des prostituées de Manchester, selon que l'industrie est à l'état de crise ou en voie de prospérité. On lit dans le livre de Léon Faucher des renseignements très précis sur ce point (1): « Pendant la dernière crise, le nombre des prostituées s'accrut dans une proportion énorme. Quand on habite Manchester, on ne peut pas ignorer que la cause de cet accroissement était l'effrayante misère qui existait alors. Aux époques de prospérité, la débauche n'est l'industrie que des prostituées de profession, que l'on distingue aisément à leur mise et à leur tenue. Mais aux époques de détresse, les manières simples et la contenance timide de la plupart d'entre elles prouvent, d'une manière non équivoque, que celles qui augmentent le nombre des prostituées sont des malheureuses que la nécessité de vivre a réduites à battre le pavé. Je ne crois pas que la pauvreté produise néces sairement la prostitution; mais lorsque l'atmosphère morale est empoisonnée, comme il arrive à Manchester, où même les écoles du dimanche, les églises et les chapelles présentent des exemples fréquents d'impudicité, le sentiment moral s'affaiblit, et un degré relativement léger de privation suffit pour conduire au vice. >>

Je terminerai ce court aperçu de la prostitution de Manchester dit par une anecdote tout à fait caractéristique. « La licence, Léon Faucher (2), qui règne dans les rangs épais de cette population, est arrivée à un degré tel, que la statistique est ici impuissante, et que l'observation personnelle, sans mesurer le mal dans toute son étendue, peut seule en donner une idée. Voici du moins un fait qui m'a vivement frappé, comme attestant cette froide régularité dans la débauche, qui suppose l'absence du sens moral. En pénétrant dans un bouge du dernier ordre, j'aperçus une jeune fille d'une tenue assez décente, qui parais

(1) Loc. cit., p. 277.

(2) Ibid., p. 278.

sait être employée au service de la maison. Son maintien présentait un si grand contraste avec les façons cavalières des habituées, que je voulus savoir ce qui avait pu la jeter dans un pareil lieu. Le surintendant de la police ayant eu la bonté de poser les questions pour moi, nous apprîmes, à n'en pouvoir pas douter, que cette jeune ouvrière, après avoir travaillé pendant treize heures dans une fabrique, venait chaque soir aider la maîtresse à faire disparaître les traces de l'orgie de la veille, et suppléer ensuite, quand il le fallait, dans leur noble métier, les messalines de l'endroit.

» Les habitudes de travail jointes à celles de la débauche! L'ordre et, en quelque sorte, la retenue dans le vice le plus abject! Le calcul faisant faire ce qu'excuserait à peine la passion! Il faut bien que ce soit là un trait de mœurs dans les pays de manufactures, car M. Villermé a observé les mêmes symptômes à Reims et à Sedan. »>

En parcourant le chapitre suivant, on verra que ce froid calcul est loin d'être limité aux cités manufacturières.

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La prostitution anglaise contemporaine ne serait pas connue sous tous ses aspects et avec toutes ses nuances, si, après l'avoir décrite dans son foyer principal, à Londres, on se bornait à la suivre dans les ports de mer et dans les villes de manufac tures. Pour compléter le tableau, il faut aussi l'observer dans un autre milieu, à Édimbourg par exemple, qui, malgré son importance (66 734 habitants, 1851), est loin de présenter l'inextricable chaos de la métropole de l'Angleterre, et qui ne participe en rien des villes de commerce et d'industrie. Là, sans doute, c'est toujours, au fond, la même prostitution, fille de la licence; mais des conditions sociales différentes lui impriment un cachet particulier et lui donnent une forme nouvelle. Cette forme, il importe de la connaître et de l'étudier dans ses causes et dans ses résultats. Pour cette partie de mon travail, j'ai puisé les renseignements qui m'ont servi de guide, dans le livre consciencieux du docteur Tait, ancien chirurgien résidant du Lock Hospital d'Édimbourg (1).

(1) An inquiry into the extent, causes, and consequences of prostitution in Edinburgh, by William Tait, etc., 2d ed. Edinburgh, 1842.

Art. 1. Du nombre des prostituées à Edimbourg.

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Il n'est pas plus facile à Édimbourg qu'à Londres de connaître le nombre des femmes qui vivent de la prostitution. L'administration publique n'a fait aucune tentative pour arriver à cette connaissance, et les documents officiels font entièrement défaut. Les officiers de la police eux-mêmes ne paraissent pas avoir sur ce sujet la moindre notion. Dans cette pénurie de renseignements propres à guider l'observateur, les évaluations se sont égarées entre 300 et 6000, deux nombres extrêmes, aussi peu fondés et aussi invraisemblables l'un que l'autre.

Un seul fonctionnaire, le trésorier du Magdalen Asylum d'Édimbourg, a pu donner au docteur Tait un chiffre qui semblât se rapprocher de la vérité. Ce fonctionnaire estime à 800, en moyenne, le nombre des filles publiques que renferme la capitale de l'Écosse. L'opinion publique, dans le Royaume-Uni, paraît avoir adopté cette estimation, qui a été admise par le docteur T.S-. Holland (1).

Toutefois, ainsi que le docteur Tait le fait remarquer, ce chiffre de 800 prostituées n'est exact qu'autant qu'il est considéré seulement comme représentant le nombre des femmes qui se livrent exclusivement et ouvertement à la prostitution. A Edimbourg, ville où les principes de moralité ont peu de force, et, en même temps, ville de décorum, un grand nombre de jeunes filles et de jeunes femmes, appartenant à diverses professions, ne craignent pas de demander à la prostitution, tantôt une partie, tantôt même la totalité de leurs moyens d'existence; mais cette prostitution se cache, en général, aux regards du monde. C'est la prostitution secrète d'Édimbourg; celle qui, dans cette ville, a le plus d'importance, et dont l'étude offre le plus d'intérêt au point de vue de l'avenir de la société.

Le docteur Tait, qui a fait de nombreuses recherches sur ce sujet, et qui, dans sa position de chirurgien du Lock Hospital d'Édimbourg, a pu diriger ses recherches dans la voie la plus sûre et la plus fructueuse, affirme que le tiers des jeunes personnes qui travaillent à Édimbourg, soit comme ouvrières, soit comme domestiques, se livrent au commerce de la prostitution. Pour les unes, c'est un métier habituel, une partie de leurs occupations; d'autres y ont recours toutes les fois que l'ouvrage

(1) The brit. and for. medico-ch. review, 1854, t. XIII, p. 457.

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