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de la campagne. On a vu, dit le docteur Tait, des familles entières arriver à Édimbourg et s'y livrer à la prostitution.

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Art. 7. Des relations de la prostitution avec le vol, à Édimbourg.

La prostitution d'Édimbourg, à proprement parler, n'a que peu ou point de relations avec le crime. Si les filles publiques de bas étage sont toutes des voleuses, elles constituent une minorité peu considérable, qui est pour les autres prostituées un objet de mépris et de dégoût.

Ces femmes ignobles se tiennent ordinairement par groupes, à l'entrée de leurs repaires, d'où elles guettent les passants. Lorsqu'un homme, qui ne les connaît pas, a l'imprudence de répondre à leurs interpellations et de lier conversation avec elles, elles l'entourent et l'engagent à boire, au cabaret voisin, un petit verre de whisky, qu'elles offrent souvent de payer elles-mêmes. Chemin faisant, elles le pressent, le harcèlent, fouillent ses poches avec adresse, et finalement l'abandonnent quand elles lui ont enlevé ce qu'il avait sur lui. C'est surtout sur les hommes qui passent à leur portée, dans un état plus ou moins avancé d'ivresse, qu'elles se livrent avec succès à cette manœuvre. Ceux qui se laissent attirer dans l'intérieur du bouge sont, à l'instant même, complétement dépouillés par elles.

Parmi ces filles publiques de bas étage, ou voleuses, il en est qui ont été élevées dans cette condition dès leur plus tendre enfance, et qui, jeunes encore, ont de la fraîcheur et de la beauté; elles constituent une catégorie fort dangereuse. Nu-tête et les cheveux arrangés avec beaucoup d'art, elles se promènent dans les rues, cherchant des dupes. Leur jeunesse et leur jolie figure écartent le soupçon et la défiance. Combien de jeunes commis et de jeunes ouvriers se laissent prendre à leur piége! Soit qu'elles les conduisent à une taverne, soit qu'elles les attirent dans leur repaire, le résultat est le même; car ce sont d'habiles voleuses.

La prostitution, à Édimbourg, favorise encore le vol, mais d'une manière entièrement différente. Les jeunes domestiques qui provoquent les passants et les reçoivent dans les maisons où elles sont en service, s'adressent de préférence à des hommes qu'elles ne connaissent en aucune façon, afin d'éviter plus sûre

ment d'être découvertes. Souvent alors, sans s'en douter, elles donnent accès, chez leurs maîtres, à des voleurs, qui profitent de l'occasion. Cette espèce de prostitution donne lieu quelquefois à des vols importants.

CONCLUSION.

Telle est la prostitution anglaise, étudiée dans la métropole, dans les ports de mer, dans les villes de manufactures et jusque dans la capitale de l'Écosse, où elle présente un intérêt spécial et considérable. S'il fallait caractériser par un mot cette prostitution dans chacune des conditions particulières où nous venons de la voir, on pourrait dire qu'à Londres c'est le déchaînement de la prostitution; à Liverpool, la prostitution de la violence; à Manchester, la prostitution de la misère; à Édimbourg, la prostitution comme il faut.

Cette dernière, ainsi que celle de Londres, mais en sens inverse, présente un spectacle bien fait pour fixer les regards. Comme si elle avait la conscience de sa supériorité, elle s'avance de toutes parts dans les rangs de la société normale, s'exhausse jusqu'à elle, fait des efforts étranges pour s'y accoler et s'y fondre; c'est comme un assaut des classes inférieures contre les classes élevées, dans lequel les assaillantes jettent une lueur et succombent. Pauvres exilées, qui entrevoient leur place au soleil de la civilisation et ne peuvent y atteindre!

A Londres, la masse de la prostitution est plongée dans les plus épaisses ténèbres de l'ignorance; à Édimbourg, au contraire, l'instruction y domine. Est-ce à cette cause qu'il faut attribuer le peu de participation de la prostitution écossaise aux délits et aux crimes?

On dira avec raison qu'il y a quelque chose de révoltant dans ce calcul froid et éclairé qui, à Édimbourg, porte les femmes à se prostituer. Cela dénote, en effet, une déplorable absence du sens moral. La malheureuse qui, privée de toute lumière, est entraînée dans la voie de l'infamie ou s'y précipite sans savoir ce qu'elle fait, pour ainsi dire, est moins coupable sans doute aux yeux de la morale privée.

Mais, pour apprécier de pareils faits, c'est à un point de vue plus général qu'il faut se placer. A Londres, la prostitution est une double calamité sociale on y trouve l'abrutissement et le

défaut de sens moral, le crime et l'immoralité. A Édimbourg, l'immoralité reste seule; la sécurité publique est sauvegardée. On ne peut nier que ce ne soit un progrès véritable.

L'instruction ne suffit point à l'établissement des bonnes mœurs, d'autres éléments sociaux sont nécessaires; mais l'instruction prépare le terrain. Le premier et rude défrichement, qui est à faire à Londres, est fait à Édimbourg, comme dans tous les pays où l'instruction est le plus répandue. Que la bonne semence y soit versée, le bien naîtra.

NOTICE

SUR LA PROSTITUTION A BERLIN,

D'après le docteur Fr. J. BEHREND (1),

COMPLÉTÉE PAR LES DÉCRETS, Ordonnances et RÈGLEMENTS DE POLICE.

I. DE LA PROSTITUTION PUBLIQUE.

Berlin, la ville la plus importante et la plus riche de l'Alle magne du Nord, compte plus de 300,000 habitants.

Une industrie puissante, une université très fréquentée, une garnison nombreuse, des habitudes de luxe, les contrastes de la richesse et de la pauvreté; tous les éléments qui sont considérés comme les causes de la prostitution se trouvent réunis à Berlin ; aussi, peu de villes fournissent-elles un plus large tribut à ce fléau. Historique. A Berlin, dès le moyen âge le besoin se fit sentir de limiter et de surveiller la prostitution. Des documents constatent que dès cette époque on confina les prostituées dans des rues et des maisons spéciales, et les astreignit à porter un costume particulier. Elles furent mises hors du droit commun et soumises à la surveillance et à la juridiction du bourreau, fait qui caractérise l'esprit de cette époque. La première maison de joie dont il ait été question, remonte à la fin du xv siècle, elle était privilégiée par la commune et lui payait un impôt.

Les prostituées qui se rendaient coupables d'infractions contre le règlement qui leur était imposé étaient fouettées et expulsées de la ville, mais aussi se trouvaient-elles sous la protection de l'autorité, et les considérait-on, en quelque sorte, comme la pro

(1) C'est à la demande du gouvernement prussien que M. le docteur Behrend, de Berlin, entreprit en 1850 d'intéressantes recherches historiques sur la prostitution, ses caractères, sa règlementation à Berliu jusqu'en 1846, sur les conséquences de la fermeture des maisons de tolérance en décembre 1845. Les résultats de ses investigations ont été consignées, par cet honorable médecin, dans un ouvrage publié en 1850 sous le titre de Die Prostitution in Berlin. Nous en avons fait extraire un résumé aussi substantiel que possible par M. Paul Duca, et nous avons complété notre travail par les mesures de police et instructions sanitaires en vigueur depuis la réouverture des maisons de tolérance en 1850. Ces derniers documents sont tirés du Preussisches Polizei-Lezicon, Berlin, 1856, t. V, art. PROSTITUTION, p. 41 à 82, (Les Éditeurs.)

priété de la ville; quiconque maltraitait une courtisane soumise à la surveillance était puni comme perturbateur du repos public. On poursuivait la prostitution clandestine, c'est-à-dire celle exercée par des femmes n'appartenant point à la classe des courtisanes, avec une rigueur extrême, et sans avoir égard au rang et à la position des personnes.

Les maisons de baius, introduites à Berlin par les croisés, et qui étaient en plus grand nombre à l'époque dont nous parlons, furent souvent l'objet des investigations de l'autorité. Elles étaient le rendez-vous des libertins des classes riches et élevées, et des femmes équivoques qui s'y livraient à la débauche. De temps en temps des femmes, jusqu'alors réputées honnêtes, y étaient arrêtées, et, sur la preuve ou même sur le simple soupçon de s'être adonnées à la prostitution, étaient punies et bannies de la ville. La chronique raconte que, en 1322, un ambassadeur de l'archevêque de Mayence fut tué par les bourgeois de Berlin, pour avoir proposé à une bourgeoise de l'accompagner au bain.

Le concubinage était considéré comme une prostitution vulgaire et absolument défendu. Une loi portait que les personnes vivant ensemble, sans être unies par les liens de l'Église, devaient être expulsées de Berlin.

Outre les prostituées soumises à la surveillance de l'autorité, lesquelles portaient le nom de demoiselles de la ville, il en existait encore d'autres, c'étaient les femmes errantes ou ambulantes. Elles étaient également notées d'infamie et placées sous la protection de la ville. Elles allaient de foire en foire se livrer à la prostitution,

La Réformation apporta de grands changements à cet état de choses. Des principes de morale plus sévères se firent jour parmi la population. Un rigorisme religieux commença à frapper ce qui jusqu'alors avait été regardé avec indulgence. On alla même jusqu'à considérer le célibat comme un vice, et on crut pouvoir contraindre les célibataires au mariage en éloignant toute occasion de débauche. Une sorte de proscription fut organisée contre les prostituées et les femmes débauchées. Bientôt la ville en fut purgée presque entièrement. Les suites de ce puritanisme, louable sans doute sous le point de vue purement moral, mais peu en accord avec les conditions d'être de notre société, ne se firent pas attendre longtemps: la multiplicité des avortements volon

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