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Parmi les filles éparses, s'il s'en trouve qui n'ont pas leur domicile régulier à Bruxelles, et dont l'état sanitaire est signalé comme douteux par les médecins du dispensaire, elles ont à choisir entre leur retour dans leur commune, ou le dépôt de mendicité. Elles deviennent vagabondes si elles ne rentrent pas chez elles ou ne travaillent pas. « Nous sommes parvenus, m'écrit M. le Bourgmestre, à retenir un assez grand nombre de filles qui travaillaient le jour et se prostituaient le soir. Elles ont compris que les amendes et les frais de justice emportaient au delà des bénéfices de la nuit. >>

Il existe également des maisons clandestines où la prostitution s'exerce dans l'ombre. Lorsque ces faits parviennent à la connaissance de la police, celle-ci sévit contre elles avec tous les moyens dont elle dispose. Malheureusement la loi ne l'arme pas suffisamment pour réprimer de tels abus: la pénalité est si minime qu'on ne craint pas de l'affronter.

Néanmoins, les mesures de police, toujours exécutées rigoureusement, ont diminué considérablement la prostitution clandestine dans l'intérieur de la capitale. Mais, il faut le dire, les efforts de nos magistrats pour purger cette lèpre dégoûtante, sont paralysés par l'incurie ou l'insouciance des administrations des communes limitrophes, qui constituent les faubourgs. L'action de la police ne s'étendant pas au delà des murs qui limitent l'enceinte de la ville, et les faubourgs, à l'exception d'un seul, tolérant la prostitution avec une nonchalance coupable, les femmes qui se livrent à la prostitution clandestine, les vagabondes, toutes celles, en un mot, qui ont intérêt à se soustraire aux visites sanitaires et à la surveillance de l'autorité, se sont réfugiées dans ces quartiers, et particulièrement dans le faubourg de Cologne, voisin de la gare du chemin de fer du Nord, qui en regorge. Là, la prostitution s'exerce impunément, les promenades du soir dans les rues, les provocations à la débauche se font avec un cynisme révoltant, et ces femmes, auxquelles le vice a ôté toute pudeur, reçoivent librement des hommes chez elles. C'est là l'asile du vice, de la débauche et de la syphilis qui s'y développe et grandit en toute liberté.

Les communes qui avoisinent la capitale, où se commet ce dangereux abus, ont arrêté des règlements sur la prostitution, calqués sur ceux en vigueur à Bruxelles; mais ils n'ont jamais été exécutés, à l'exception cependant de la commune de Molen

beek-Saint-Jean, forte de 18,121 âmes, où l'on comptait au 1er janvier 1857, une maison de débauche, trois maisons de passe et neuf prostituées inscrites, dont cinq en maisons et quatre éparses, qui subissent la visite sanitaire deux fois par semaine!.....

Mais que peut faire la police de ce faubourg, surtout lorsque la prostitution descend dans la rue et alors que les prostituées, qui, elles aussi, ont l'œil vigilant, n'ont qu'à franchir un pont pour se trouver sur le territoire de la commune voisine où leurs promenades ne sont pas dérangées? Saint-Josse-ten-Noode, la commune dont nous voulons parler, dont la population est à peu près de 20,000 habitants, est, par son voisinage du chemin de fer, la plus fréquentée: c'est aussi le lieu de prédilection, l'asile des prostituées de toutes les conditions et où viennent même exercer, le soir, les grisettes de la ville non-inscrites. D'après nos informations, une dizaine au plus de femmes y sont inscrites à la police comme se livrant à la prostitution, alors qu'il est de notoriété publique que le nombre en est effrayant. Elles ne sont soumises à aucun contrôle, à aucune visite.

La raison de cette absence de mesures administratives et hygiéniques, est, nous dit-on, dans les dépenses qu'elles entraîneraient et que la commune ne peut supporter. Si la commune ordonnait les visites sanitaires, ajoute-t-on, elle devrait envoyer à l'hôpital les femmes trouvées atteintes du mal vénérien, et comme, d'après la loi, c'est la commune où la femme a son domicile qui doit payer les frais de séjour et de traitement, ces frais incomberaient à sa charge et elle a intérêt à les éviter.

Comme on le voit, les mesures que l'administration municipale de Bruxelles poursuit avec une persévérance digne d'éloges, ne peuvent atteindre complétement le but que se sont proposé les magistrats, celui de soumettre toutes les prostituées à l'action régulière de la police sanitaire et d'arriver ainsi, sinon à anéantir le mal vénérien, du moins à en arrêter, autant que possible, la propagation. Pour arriver à un semblable résultat, il faudrait que la police pût comprendre à la fois les prostituées de la ville et de ses faubourgs, et exercer librement et activement son action salutaire d'une manière générale, ou au moins, comme le Congrès général d'hygiène l'a exprimé en 1852, qu'il y eût une action simultanée et uniforme entre la capitale et les communes limitrophes pour tout ce qui touche à la prostitution,

C'est, nous l'espérons, ce que l'on finira par comprendre, et le temps n'est peut-être pas éloigné où une loi règlera cet objet d'une si haute importance pour la santé publique et les mœurs.

X. COUVENT des filles repENTIES.

On connaît sous ce nom, à Bruxelles, un établissement tenu par des religieuses, où l'on admet les filles publiques qui, fatiguées du vice et de la débauche, témoignent le désir de rentrer dans la vie privée et de corriger leurs mœurs par un profond et sincère repentir. Là on les moralise et on les emploie à la couture et aux soins du ménage. Elles n'en sortent que quand on les croit suffisamment corrigées et décidées à se conduire honnêtement. Malheureusement, il n'en est pas toujours ainsi; beaucoup de ces filles, après un séjour plus ou moins long au couvent, trouvent plus commode et plus lucratif de se livrer de nouveau au funeste penchant qui les avait d'abord corrompues, et elles viennent de nouveau figurer sur les registres de la prostitution.

L'établissement dont il s'agit manque son but, en n'admettant que la prostituée déjà souillée par le vice et qui peut difficilement abandonner sa honteuse profession pour gagner sa vie par le travail de ses mains ou de la domesticité. Il en serait tout autrement si ceux qui patronnent et dirigent l'institution, cherchaient à recueillir les jeunes filles que le besoin et la misère seulement entraînent, presque malgré elles, à la séduction et à la débauche, et si, dès le premier pas qu'elles font dans cette fatale voie, elles trouvaient asile, protection et conseils près des religieuses vouées à ces soins charitables.

XII

DE LA PROSTITUTION A CHRISTIANIA,

RÉDIGÉ SUR DES DOCUMENTS TRANSMIS

Par M. le docteur W. BOECK,

Professeur de la Faculté de médecine

à Christiania.

Christiania, ville maritime de la Norwége dont elle est la capitale, contient une population mêlée, dont le chiffre s'élève à 38,000 âmes. Son port est le rendez-vous d'un grand nombre de navires marchands, ce qui fait que les ouvriers et les matelots y forment la grande majorité de la population. On s'explique alors le développement qu'a pris dans cette ville la prostitution. Aussi le gouvernement, qui se montre, en Norwége, soucieux de tout ce qui importe à l'hygiène publique, a-t-il compris la nécessité d'établir des règlements spéciaux sur l'exercice de la prostitution, cette plaie irrémédiable de tous les grands centres de population. Une commission a été instituée dans ce but, sous le nom de: Commission établie pour remédier à la propagation de la contagion syphilitique (1).

Des dispensaires sont établis pour la visite des prostituées. Les personnes qui sont soupçonnées d'être atteintes d'affections syphilitiques sont également visitées d'office.

La surveillance de la prostitution est réglée par des ordonnances de police, qui se sont complétées successivement. Les prostituées sont astreintes à l'observation d'un règlement sé

vère.

Toutes les prostituées (offentlige tolererede fruentimmer) doivent être inscrites sur les registres des bureaux de santé et munies d'un livret ; il contient le numéro d'ordre, les nom et prénoms, l'âge et le signalement de la prostituée à laquelle il a été délivré. Celle-ci est tenue de l'exhiber toutes les fois qu'elle se présente à la visite ou au bureau de police. Il est absolument défendu aux femmes publiques de fixer leur demeure dans certaines parties de la ville, ou à proximité d'établissements publics. Elles sont obligées en outre, toutes les fois qu'elles changent de

(1) Comissionen, angaaende Foranstaltninger mod den veneriske smittes Udbredelse,

demeure, d'en faire la déclaration à la police sanitaire. En cas de contravention, le livret, et par conséquent la tolérance, leur est retiré, et suivant les circonstances elles sont placées dans une maison de travail (forcé) ou punies conformément aux lois.

L'instruction pour les médecins des dispensaires, du 10 novembre 1840, leur impose des obligations assez étendues.

Ils sont tenus de visiter les prostituées soumises à leur surveillance, tous les huit jours; ils peuvent procéder à des visites extraordinaires s'ils le jugent convenable.

La visite terminée, ils indiquent à la prostituée le jour auquel elle a à se présenter pour être visitée de nouveau. Le médecin lui délivre, sur sa demande, gratuitement un certificat de santé.

Toute femme reconnue atteinte de maladie contagieuse est envoyée du dispensaire devant le physicien (médecin) de la ville, qui provoque son admission immédiate à l'hôpital.

Il est du devoir des médecins du dispensaire, de s'efforcer de découvrir les personnes atteintes de maladie syphilitique ou soupçonnées de l'être. Ils doivent signaler ces personnes à la police sanitaire, qui veille à ce qu'elles se rendent au bureau de santé pour y être visitées, et le cas échéant être mises en traitement.

Le médecin visitant est chargé d'inscrire la date de la visite sur le livret de la prostituée et sur un registre ouvert à cet effet. Ce registre contient le numéro d'ordre donné à la prostituée visitée, son nom, son âge, sa demeure, le résultat de la visite et le jour fixé pour la visite prochaine. Une colonne est ouverte aux remarques particulières jugées nécessaires.

Il existe en outre un registre des filles publiques admises à l'hôpital, et de celles qui ont obtenu la permission de se faire soigner chez elles; de plus, des listes donnant par ordre alphabétique et de numéro les filles inscrites. Les médecins du dispensaire rédigent, à chaque fin d'année, un compte rendu sommaire du mouvement du bureau de santé, du nombre mensuel des malades, avec l'indication des accidents syphilitiques de toute l'année et l'adressent à la commission sanitaire (1).

Le médecin attaché au dispensaire doit faire connaître à la police sanitaire les heures de sa présence pour le service. Il ne doit pas s'absenter de la ville sans la permission préalable du physicien (médecin) de la ville. Si une maladie ou une autre

(1) Le Journal hebdomadairė (Ugeskrift), t. 1, p. 183, et t. II, reproduit ces rapports.

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