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GIFT OF

MRS. PARKER POTTER

SEP 2 1939

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En apprenant

§ I. HENRI IV ET CHARLES X, ROIs de France.· la mort de Henri III, Paris éclata de joie, et poussa l'égarement Jusqu'à honorer le meurtrier comme martyr. Toutes les églises retentirent des éloges de Jacques Clément; son portrait fut placé sur les autels; l'ambassadeur d'Espagne écrivait à son maître que « c'était à la main seule du Très-Haut qu'on était redevable de cet heureux événement (1), » et le pape n'eut pas honte de comparer la mort de l'assassin à la passion du Sauveur.

(1) Archives de Simancas, d'après Capefigue, la Réforms, la Ligue et le Règne de Henri IV, t. v, p. 290.

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Cependant l'extinction de la race des Valois plaçait la Ligue sur un terrain tout nouveau, en mettant en scène la grande question de la succession au trône. Henri de Bourbon étant doublement étranger à la France comme roi de Navarre et comme chef des calvinistes, il semblait que la nation dût rentrer pleinement dans son droit de se choisir un souverain de sa religion, de sa langue et de ses lois. L'occasion était venue pour la maison de Guise, si populaire et si catholique, de monter sur le trône; mais le Balafré était mort; son fils, qui n'avait rien des vertus de ses pères, était prisonnier du Béarnais; son frère, le duc de Mayenne, devenu le chef de la Ligue plutôt par la force des circonstances que par ambition, était un homme intelligent et tenace, mais modéré, nonchalant, sans inspiration et sans audace. Celui-ci chercha à gagner du temps par un moyen terme qui, en remplissant le trône, laissât pourtant le champ libre à ses prétentions, et il se hâta de faire proclamer le cardinal de Bourbon sous le nom de Charles X [7 août 1589]. C'était une grande faute et la négation même des projets de la maison de Guise le nouveau roi, prisonnier du Béarnais, ne donnait, il est vrai, que son nom à Mayenne, qui gardait tout le pouvoir; mais son élévation était une reconnaissance formelle de la légitimité des Bourbons, et par là, ainsi que le désiraient Villeroy, Jeannin et les politiques qui poussaient à cette mesure, on préparait les voies à Henri de Navarre. Charles X fut reconnu sans obstacle par toutes les villes de l'Union et par les puissances catholiques; Mayenne garda le gouvernement comme lieutenant général de l'État et couronne de France.

Dans le camp de Saint-Cloud, le Béarnais avait pris le titre de roi de France et le nom de HENRI IV; mais autour de lui étaient de grandes divisions. Les seigneurs protestants voyaient que leur parti restait sans tête et sans avenir si leur chef était mis sur le trône, car Henri devait infailliblement se faire catholique; alors il travaillerait à rétablir l'unité monarchique, et combattrait les prétentions aristocratiques et féodales de ses anciens compagnons. Nonobstant, les gentilshommes gascons, qui avaient suivi le brave Béarnais, n'ayant devant les yeux que la gloire de donner à la France un roi de leur pays et l'espoir d'élever leur fortune sur la sienne, reconnurent Henri, et ce fut un suicide pour le parti protestant.

Mais le camp de Saint-Cloud comptait à peine trois à quatre

mile calvinistes sur quarante mille hommes: le reste était composé de catholiques amenés à Henri III par les ducs de Longueville, de Montpensier, d'Épernon, d'Aumont, de Biron, d'O, etc., quitous n'avaient qu'un sentiment, ne pas obéir à un roi hérétique. On voyait ces orgueilleux seigneurs, en présence de Henri et devant le cadavre de son prédécesseur, « comme gens forcenés, enfonçant leurs chapeaux, les jetant par terre, fermant les poings, complotant, se touchant la main, formant des vœux et des promesses dont on oyoit pour conclusion: plutôt mourir, de mille morts (1)! » Ils se rassemblèrent tous, et déclarèrent solennellement à Henri qu'il lui fallait choisir entre rester roi de Navarre et protestant, ou devenir roi de France et catholique. Le Béarnais pâlit de crainte, mais montra de la fierté : « Me prendre à la gorge, leur dit-il, sur le premier pas de mon avénement et à une heure si dangereuse! auriez-vous donc plus agréable un roi sans Dieu ? J'appelle de vos jugements à vousmêmes, messieurs; et ceux qui ne pourront prendre une plus mûre délibération, je leur baille congé librement pour aller chercher leur salaire sous des maîtres insolents. J'aurai parmi les catholiques ceux qui aiment la France et l'honneur (). » Puis, se tournant vers le maréchal de Biron, réputé le plus habile des généraux catholiques : « C'est à cette heure, dit-il, qu'il faut que vous mettiez la main droite à ma couronne; venez-moi servir de père et d'ami contre ces gens qui n'aiment ni vous ni moi. » Henri était peut-être indifférent entre les deux religions; mais il sentait que, s'il se faisait catholique en ce moment, le peuple dirait qu'il sacrifiait sa conscience à son ambition; il fallait, pour que sa conversion eût tout son prix, qu'il fût assez bien établi dans ses affaires pour donner à croire qu'il pouvait arriver au trône sans cette concession; il fallait qu'il ne fût plus un pauvre chef d'aventuriers, mais un roi puissant, entouré d'une forte armée; il fallait enfin que son droit fût sanctionné par des victoires. D'après le conseil des chefs protestants, il répondit aux seigneurs catholiques par une déclaration dans laquelle promettait de se faire instruire dans la religion romaine, et de convoquer les états généraux [1589, 4 août]; en attendant il jurait de maintenir exclusive

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ment la religion catholique dans le royaume, excepté dans les lieux où l'édit de Bergerac accordait liberté aux protestants. Cette déclaration fut signée par la plupart des seigneurs, qui << reconnurent pour leur roi et prince naturel Henri IV, roi de France et de Navarre (1); elle fut enregistrée au parlement de Tours, et envoyée à toutes les villes du royaume. Malgré cela, d'Épernon et plusieurs seigneurs catholiques abandonnèrent Henri et se retirèrent dans leurs gouvernements; d'autres passèrent même dans le camp de la Ligue avec un grand nombre de soldats; quelques-uns, comme d'Aumont, Longueville, Biron, se firent acheter leur fidélité par des concessions de fiefs; enfin La Trémoille, avec neuf bataillons de protestants, refusa de «combattre sous les drapeaux d'un souverain qui venait de s'engager à protéger l'idolâtrie. » Il ne resta au pauvre Henri, devant la grande et puissante Ligue, que huit à dix mille hommes, la plupart étrangers, et qu'il ne pouvait ni solder ni nourrir.

Ainsi Charles X et Henri IV, les religions catholique et protestante, les parlements de Paris et de Tours, le nord et le midi de la France, le peuple et la noblesse, l'esprit d'unité et l'esprit féodal étaient en présence avec une graude différence de moyens et de forces. Le droit, la puissance et l'avenir sont du côté de la Ligue; mais Henri de Bourbon n'était pas un homme ordinaire; quand il vit que la force était inutile, il apostasia le parti où il était né, et se jeta dans celui qui lui donnait le droit, la puissance et l'avenir. § II. COMBAT D'ARQUES.

SURPRISE DES FAUBOURGS DE PARIS.

HENRI EST RECONNU PAR LES VENITIENS. Cependant la mort de Henri III avait rendu toute sa confiance à la Ligue; les secours de l'Espagne étaient arrivés, et Mayenne rassemblait avec beaucoup d'activité une armée de trente mille hommes. Henri allait se trouver isolé et compromis devant la capitale; roi sans royaume, sans sujets, sans gouvernement, sans ministres, il ne pouvait lever nulle part des impôts ni des hommes, car le peu de pays qui le reconnaissait avait assez à faire de se défendre lui-même: il fallait donc se hâter de quitter les environs de Paris. Mais, privé de vivres et de munitions, il ne savait où aller, et il pensait même à retourner dans les provinces

(1) Duplessis-Mornay, t. iv, p. 38.

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