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car l'anarchie étoit enfin organisée. En m'exprimant ainsi, je veux faire comprendre que dans le débordement de la licence la plus absolue, les tribunes de la Convention et la populace de Paris recevoient chaque jour de son horrible commune un mot d'ordre, convenu avec les chefs de la Montagne, pour asservir la Convention et subjuguer la masse des habitans par la terreur : les membres des comités révolutionnaires et le tribunal de ce nom furent bientôt institués pour mettre à exécution les actes tendant à assurer cet affreux empire de la terreur qu'a renversé enfin la journée mémorable du 9 thermidor, où l'hydre révolutionnaire fut ensevelie sous les ruines sanglantes de la Montagne écroulée. Les tribunaux, eux-mêmes, conspirèrent jusqu'à cette époque pour la Montagne, et la faveur des formes judiciaires fut toute pour les brigands.

Du 19 janvier 1793, jour à jamais consacré aux larmes, tant qu'il existera en France un seul coeur vraiment français, jusqu'au 10 mars, époque où la Montagne, fatiguée des attaques continuelles et des déclamations de la Gironde, voulut y mettre fin avec les argumens de septembre, il y eut entre ces deux grandes factions plusieurs assauts violens, dont la reddition des

comptes de la commune de septembre étoit le principal et continuel objet. La Gironde vouloit mettre au grand jour les pillages et les dilapidations de ces bandes d'assassins, afin d'ajouter encore à l'horreur que la commune inspiroit, et d'ameuter les départemens. L'un de ses assauts fut d'abord provoqué par la démission de Manuel, déserteur du parti montagnard, et de Kersaint, membre distingué de la Gironde, indigné de l'atroce conduite de la Convention dans le procès du roi; ces députés ne pouvoient soutenir la férocité de la Montagne, et, encore moins, la lâcheté si méprisable du ventre. Des débats plus remarquables succédèrent à celui-ci; Robespierre et d'Orléans furent attaqués comme chefs de parti, et Marat comme écrivain incendiaire, prêchant la désobéissance aux lois, invitant la multitude au pillage et à l'assassinat des riches. Marat fut décrété d'accusation; faute capitale qui valut à ce scélérat un triomphe qui, en accroissant son audace fut le signal des malheurs sous le poids desquels la Gironde a enfin succombé. Robespierre triompha; mais d'Orléans succomba malgré les puissans efforts de la Montagne pour le défendre, malgré le zèle de quelques-uns de ses amis influens dans le parti de la Gironde. Il ne put, malgré son patriotisme apparent, éviter

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d'être compris dans le décret qui expulsoit les Bourbons de la France; et ceux-ci eurent la douleur de se voir confondus avec le régicide; d'Orléans auroit-il pu croire que son vote parricide, uniquement émis dans la vue d'ajouter à cette popularité de carrefours, but de toutes ces démarches, et qui devoit motiver son exception du plus honorable ostracisme, détermineroit au contraire son expulsion du territoire français, lui seroit précisément imputé à crime, et souleveroit contre lui, dans la Convention, non-seulement les anti-montagnards, mais même jusqu'aux peureux du ventre?

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On sera peut-être étonné, qu'en parlant de faction, nous n'ayons pas signalé celle d'Orléans comme une des principales. Cette faction avoit été puissante sous la constituante; la plupart des royalistes constitutionnels étoient orléanistes, et vouloient non-seulement le changement des princidu gouvernement, mais même celui de la dynastie; le côté droit ne vouloit ni l'un ni l'autre de ces changemens. Dans la législative, la majorité des orléanistes siégeoit dans le côté gauche, avec le désir de rendre la constitution plus démocratique, et de placer d'Orléans sur le trône; le côté droit, rallié à la constitution, au gouvernement et à la personne du roi, ne renfermoit qu'un

petit nombre d'orléanistes, chargés de surveiller ses membres. Il en étoit de même dans la Convention. D'Orléans avoit des partisans dans chaque côté; mais il s'étoit ostensiblement attaché à celui qui lui avoit paru le plus propre à l'amener un jour à ses fins.

Ainsi le parti de d'Orléans n'a point été une faction particulière dans la Convention, luttant directement contre une faction rivale. Les orléanistes étoient dans toutes les factions et de toutes les factions; ils en avoient successivement flatté les chefs pour les amener au but désiré; ils les avoient poussés à la destruction de tous les obstacles, afin de porter d'Orléans sur le trône. Celui-ci n'avoit voté avec enthousiasme la république que pour se débarrasser de ces mêmes obstacles, jugés jusqu'alors insurmontables, dans le ferme espoir que les chefs de factions, fatigués des oscillations dangereuses de l'anarchie, finiroient par l'investir de l'autorité suprême, n'importe sous quel titre, afin de jeter un voile sur cet amas de forfaits, et de jouir paisiblement du fruit de leurs atrocités. Voilà pourquoi on l'a vu arborer les bannières de toutes les factions; voilà pourquoi les chefs et les suppôts de ces factions étoient admis dans ces orgies nocturnes, fameuses par la plus infâme dé

bauche et la plus crapuleuse intempérance. Aux Jacobins comme aux Cordeliers, d'Orléans avoit des émissaires et des agens. Brissot et Vergniaux vivoient dans son intimité, et Marat, Danton et Robespierre étoient sa boussole, et les régulateurs de ses votes et de ses démarches politiques. En le flattant et en le trompant tour à tour, les chefs des deux partis ne cherchoient qu'à le faire servir à leurs vues particulières. Aussi paroît-il hors de doute que la haine furieuse de la Gironde contre d'Orléans, n'a eu d'autre cause que sa désertion du parti pour se livrer exclusivement à Marat et à la Montagne; ainsi d'Orléans, sans avoir recueilli aucun des fruits que lui promettoit la révolution, a été le principal acteur dans ses horribles scènes.

D'Orléans a péri sur le même échafaud que Louis XVI, abandonné par la faction sur laquelle il comptoit le plus, parce qu'elle cherchoit à écarter du peuple toute idée du pouvoir absolu qu'elle vouloit envahir. D'ailleurs d'Orléans ne convenoit plus à ses desseins ultérieurs. Comme l'assassinat juridique étoit le moyen le plus expéditif et le plus sûr de se débarrasser de tout individu qui portoit ombrage d'Orléans fut donc envoyé à la mort, uni

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