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quement pour s'en débarrasser, comme Louis XI du prieur de Saint-Côme; c'est ainsi qu'on mettoit à exécution cette maxime de Barrère: il n'y a que les morts qui ne reviennent point.

Mais avant de parler des débats relatifs à Marat, à d'Orléans et à Robespierre, je dois rappeler ici un fait extraordinaire ; c'est la mort du conventionnel Michel Lepelletier, assassiné, dit-on, pour avoir voté la mort de Louis XVI. Ce meurtre fut attribué à un ancien garde du roi, nommé Pâris, qui, par dévouement pour le roi et sa famille, avoit servi aussi dans les gardes constitutionnelles. Profondément indigné du grand forfait commis sur la personne du plus vertueux des monarques, il avoit voulu, suivant les récits du temps, tirer une vengeance éclatante de ce forfait sur un des votans les plus distingués par leur naissance, et l'on assure que d'Orléans n'y échappa que par miracle. Quelque excusable que soit le mouvement d'une indignation si légitime, l'idée d'une telle infraction aux lois de la société ne sauroit être approuvée. La loi seule a le droit de frapper le coupable. Certes, Louis XVI auroit repoussé avec une sainte et généreuse colère l'hommage de ce sanglant holocauste.

Les journaux du temps rapportent que le meurtrier ayant épié tous les pas de Le

pelletier, avoit rencontré ce conventionnel chez un restaurateur du Palais-Royal, lui avoit plongé son sabre dans la poitrine, et, après s'être évadé, étoit arrivé nuitamment dans une auberge de Forgesles-Eaux, en Normandie. Dénoncé à la municipalité du lieu par un marchand de lapins, dont il avoit éveillé les soupçons, Pâris s'étoit suicidé, dit-on, pour se soustraire à l'exécution du mandat d'arrêt lancé contre lui. La Convention, informée sur-le-champ de ce fait, par l'autorité locale, avoit envoyé deux de ses membres pour en prendre une plus ample connoissance en dresser procès-verbal, et tâcher de reconnoître si le cadavre étoit bien celui de Pâris. Les commissaires Tallien et Legendre, de Paris, avoient constaté cette identité, reconnue par eux et par plusieurs autres personnes de leur suite; après quoi ils avoient ordonné l'inhumation instantanée.

Telle est la seule tradition de cet événement; mais il a circulé dans le temps un tout autre bruit. Sans en garantir en aucune manière l'authenticité, il est permis, sans doute, de rapporter ici ces conjectures, pour éloigner l'idée qu'un royaliste ait conçu l'idée d'un tel crime. N'est-il pas également permis de douter qu'un homme d'honneur, pénétré des principes professés

par le roi, ait, avec réflexion, commis un assassinat sur un homme dont il n'avoit jamais eu à se plaindre? Cela n'entre ni dans le caractère, ni dans les moeurs d'un gentilhomme français. Voici donc ce récit tout à fait contradictoire. Il est bon de le publier, afin que les écrivains appelés un jour à écrire l'histoire d'une époque déplorable, cherchent à l'approfondir et à faire connoître la vérité.

On a prétendu que la Montagne, sans cesse harcelée par la Gironde, se voyoit menacée de perdre son influence sur l'opinion publique; tant étoit universelle et profonde la pitié qu'inspiroit l'infortuné monarque, objet de regrets trop tardifs! En effet, les départemens étoient soulevés contre la Montagne. Ils n'avoient appris qu'avec horreur la nouvelle du supplice du roi, et qu'avec désespoir l'inutilité des efforts de la Gironde, pour sauver du moins à l'auguste condamné les horreurs et l'ignominie d'une mort réservée aux malfaiteurs. Un cri général de malédiction s'étoit élevé contre ceux des votans qui avoient rejeté l'appel au peuple et le sursis, qui, dans ce grand naufrage, offroient du moins une planche de salut, qu'on savoit au moins gré à la Gironde d'avoir proposée. Il falloit se tirer d'un aussi mauvais pas.

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Les députés montagnards se réunirent nuitamment, et délibérèrent sur le moyen d'échapper à cette crise, et de se saisir du terrible levier de l'opinion publique. Une inspiration soudaine le fit apercevoir au capucin Chabot. « Il faut, dit ce prêtre apostat, qu'un de nous, immolé par nous-mêmes, périsse pour le salut de tous » les patriotes. Le meurtre commis sur sa » personne, et dont le vote de la mort du tyran deviendra le prétexte, sera imputé aux royalistes, qu'une telle accu»sation glacera d'épouvante, à raison des » suites qui devront en résulter pour eux. » Les girondins seront également consternés, car ils se sont apitoyés et ont voulu » sauver le grand coupable; alors nous reprendrons notre ascendant...... Je » m'offre pour victime. »

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En applaudissant à l'infernale motion de Chabot, et au dévouement de ce nouveau Curtius, qu'on pourroit accuser de fanatisme, s'il n'avoit pas eu la certitude d'être refusé, Desfieux, qui n'étoit pas puté, mais bien aussi scélérat qu'aucun d'eux, fit observer que la mort de Chabot ne produiroit pas l'effet désiré; qu'il convenoit qu'un des montagnards, votant sans appel et sans sursis, fût frappé de préférence à tout autre; mais qu'il falloit choisir

un noble, ce qui accréditeroit encore plus l'idée d'une vengeance atroce de la part des royalistes.

On choisit, dit-on, la victime entre d'Orléans et Lepelletier. Lepelletier reçut le coup destiné à d'Orléans, dont on avoit plus d'un motif de se débarrasser, mais qu'il évita par hasard. Ainsi, par le plus affreux calcul, on auroit prémédité sur un individu, un assassinat dont on prétendoit faire retomber les suites funestes sur des hommes innocens qui n'en avoient pas même conçu l'idée.

Quoi qu'il en soit, il n'est pas hors de propos de faire remarquer que l'assassinat de Michel Lepelletier ne fut suivi d'aucune instruction juridique; qu'il ne fut pris aucune mesure légale pour constater que Pâris étoit le véritable et seul auteur du meurtre, et que le cadavre de l'individu qui s'étoit suicidé à Forges-les-Eaux, étoit celui de Pâris; que ce cadavre ne fut reconnu pour tel, que par les deux députés montagnards, Tallien et Legendre, évidemment complices du crime, si sa prémẻditation, attribuée aux jacobins, a existé telle qu'on la rapporte ici, et si l'exécution en a été confiée à quelqu'un de leurs affidés. Quelques personnes de l'escorte qu'ils s'étoient choisie, et dont faisoit partie un nommé Roger, canonnier révolutionnaire,

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