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ques concessions, première cause de leur mésintelligence. L'ambition l'avoit produite, une rivalité active l'avoit entretenue et augmentée, la cupidité, la jalousie et l'amour-propre la portèrent à l'extrême. Leurs combats devinrent chaque jour plus vifs, et durent se terminer par une guerre

à mort.

Peut-être en fût-il résulté pour la France quelque repos, si le parti triomphant, parvenu à ses fins, se fût ensuite occupé des vrais intérêts de la nation. Mais, dans la bouche des deux factions, l'amour de la patrie, le salut du peuple, fastueusement proclamés à la tribune nationale et à celle des Jacobins comme l'unique but des pensées et des travaux des députés, n'étoient au fait qu'un langage uniquement employé pour capter la confiance publique. Les discours de ces hommes, quel que fût le parti qu'ils eussent embrassé, étoient autant de mensonges impudens, débités avec emphase le matin, et livrés le soir, dans leurs cotteries particulières, aux sarcasmes les plus sanglans. Ces jongleurs politiques s'applaudissoient du grand nombre de leurs dupes, à qui ni l'expérience du passé, ni le sentiment de leurs propres intérêts, sans cesse compromis, ne pouvoient faire ouvrir les yeux. Les membres influens de la Convention et des Jacobins ne cherchoient

en effet qu'à tromper le peuple, et chacun d'eux s'étoit rangé dans l'un de ces partis, suivant ses inclinations, son goût, son caractère, ses opinions plus ou moins exagérées, suivant les chances plus ou moins avantageuses qu'il paroissoit lui offrir, ou parce que ses amis l'avoient adopté.

Les montagnards vouloient arriver au pouvoir absolu en ligne droite; les girondins, au contraire, avoient pensé qu'il étoit d'une bonne politique de n'y arriver que par un circuit. C'étoit donc pour abréger le chemin que la Montagne s'étoit entourée de toute la masse populacière de Paris, composée de tout ce que cette ville pouvoit renfermer de plus audacieusement criminel. Avec un aussi puissant levier, la Montagne prétendoit renverser tous les obstacles que pouvoit lui opposer un parti rival qu'elle avoit pressenti de loin.

La Gironde, au contraire, qui ne vouloit arriver que pas à pas, et par l'influence de l'opinion publique, avoit invoqué l'appui des départemens, en excitant leur jalousie contre Paris, et vouloit présenter à ses adversaires leur opinion, et fortement prononcée, et consolidée comme un rempart inébranlable.

Ainsi Paris, d'une part, les départemens de l'autre, formoient deux armées avec lesquelles les factions prétendoient se com

battre pour arriver au terme de leur ambition.

La grande accusation de la Montagne contre la Gironde étoit le fédéralisme. Ce mot, dans le langage de la première de ces factions, n'étoit pas pris dans l'acception naturelle. Dans l'idiome de la Montagne, il signifioit la lutte des départemens contre Paris, afin de transporter ailleurs le point central de la république, et priver ainsi son chef-lieu de la suprématie de son influence, et de tous les avantages attachés à la possession des membres de l'autorité souveraine. La Montagne étoit parvenue à identifier la multitude avec cette singulière doctrine.

La Gironde dénonçoit à la France entière la Montagne comme fomentant l'anarchie pour arriver à la dictature, au triumvirat, à l'envahissement du pouvoir absolu, n'importe sous quel nom; elle signaloit la députation et la commune de Paris comme auteurs, fauteurs et complices d'un plan tendant à subjuguer les départemens et à leur faire subir les lois de ces autorités parisiennes, qui méditoient un pillage et un massacre universels..

Ces accusations réciproques n'étoient malheureusement que trop fondées. Tels étoient les projets des deux factions, qu'il eût été si facile de renverser! Le rétablis

sement de la religion, du trône et des institutions sous l'empire desquelles la France avoit joui pendant une longue suite d'années du bonheur et de la tranquillité, pouvoit seule mettre fin à tant de calamités.

La Gironde s'étoit unie aux Cordeliers, lors de la malheureuse conjuration du 10 août, exécutée sur un plan tout autre que le sien, et plutôt en sa présence, qu'avec son assentiment; alors elle étoit bien éloignée même de penser aux horreurs de septembre conçues par les montagnards, et commises par eux, malgré la résistance de la Gironde. Indignée de ces atrocités que l'excès de son ambition l'avoit empêchée de prévoir, la Gironde en étoit, quoique involontairement, la complice obligée, parce qu'elle n'avoit eu ni le temps ni l'énergie de s'y opposer avec succès. Cependant elle s'en servit avec avantage pour déclamer contre son ennemie. La députation de Paris et sa municipalité étoient le point de mire de ses attaques quotidiennes. Dans les tableaux sinistres offerts à la haine et à la vengeance des départemens, on citoit sans cesse, parmi les nombreuses manoeuvres des montagnards pour usurper le pouvoir suprême, les pillages et les massacres exercés, au nom de la commune de Paris, par une populace soudoyée par elle, échauffée par les feuilles incendiaires de Marat, et

dirigée par des malfaiteurs.La Gironde accusoit aussi, nominativement, la commune de vols et de dilapidations commises au milieu des proscriptions qu'elle avoit organisées et commandées.

On a vu, dans les journaux du temps, comment les députés de Paris et la commune se défendoient. Ils ne repoussoient ces accusations que par des récriminations, parloient sans cesse de patriotisme, quand il falloit se justifier des crimes qu'on leur imputoit, et menaçoient Paris de la haine des départemens qui, suivant eux, méditoient sa ruine, si la Gironde triomphoit.

<< La Gironde, disoient les montagnards, >> vouloit établir son despotisme sur les >> ruines de Paris, seul obstacle à ses des» seins ambitieux; elle ne cherchoit à di» viser la France que pour régner avec

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plus de sûreté. » Pour donner à ce reproche toute la gravité et la vraisemblance que commandoit leur intérêt le plus pressant, les montagnards rappeloient ce mot imprudent du Languedocien Isnard, l'un des coryphées de la Gironde : Qu'un jour le voyageur stupéfait chercheroit l'empla

cement de la ville de Paris sur les rives de la Seine. Il faut en convenir, une telle prophétie donnoit un grand poids aux dénonciations de la Montagne.

La véritable position des deux factions

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