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On comprend combien un assemblage d'éléments si divers devait imposer de gêne aux consciences législatives : tel qui approuvait l'accroissement de compétence déféré aux juges de paix voulait attendre du temps ce qui conviendrait de faire à l'égard des tribunaux; un autre, adoptant cette dernière partie, trouvait l'institution des juges de paix insuffisante à supporter un pareil fardeau; il se rappelait le but de cette institution, faite pour la simplicité de l'homme des champs; il voyait avec peine ce magistrat campagnard engagé dans les saisies-oppositions, dans l'exécution des jugements, dans les vérifications d'écriture, etc., etc.; et, sans parler de ce qu'avaient d'exorbitant les dispositions sur la discipline et la cour de cassation, on se soulevait de toutes parts contre l'atteinte qu'allait recevoir, dans son essence, la justice de paix. Le personnel n'en pouvait être changé, ni soumis à des conditions d'étude, ni doué d'inamovibilité; cependant cela eût été bien nécessaire, puisque, par l'adoption du projet de loi, les juges de paix seraient devenus les juges naturels des trois quarts des Français : démenti formel à l'article de la Charte qui déclare les juges inamovibles, subversion qui de l'exception eût fait la règle et de la règle l'exception.

Aussi les observations des cours, et surtout celle de la cour de cassation, furent-elles défavorables à ces dangereuses innovations. Le ministre, fort de l'appui de la commission qui avait encore exagéré les pouvoirs qu'il accordait à la justice de paix, ne consentit qu'à un très petit nombre de changements. Plus tard, quand M. Sauzet, garde-des-sceaux après M. Persil, retira le projet, cet acte fut salué d'acclamations universelles; on pouvait craindre, en effet, que la chambre, qui n'est pas en majorité composée de jurisconsultes, ne se

laissât entraîner à sanctionner ces funestes atteintes aux principes.

Le nouveau garde-des-sceaux nomma des commissions chargées de préparer des projets d'amélioration pour diverses procédures, telles que l'expropriation forcée, les ventes de biens de mineurs, etc., etc. Ces travaux paraissent s'être évanouis avec le ministère du 22 février, et l'on devait s'attendre que le retour de M. Persil aux affaires ferait renaître son projet de loi dans tout ce qu'il avait de bon et de mauvais.

Nous ne pouvons nous empêcher de déclarer ici, que M. le garde-des-sceaux vient de donner un exemple qui a malheureusement peu de précédents en fait de science comme en politique; il a fait le sacrifice de ses propres idées, et s'en est remis à l'expérience pour ce que l'expérience seule peut nous apprendre. Prenant toujours pour point de départ à toutes ses améliorations la justice de paix, il n'a fait en quelque sorte que ce que l'Assemblée constituante eût fait ellemême, que ce qu'elle avait prévu en partie : « Les législateurs, avait dit le décret de 1790, pourront élever le taux de cette compétence; » et certes, ce n'est pas trop faire que de le doubler. L'ancien projet le triplait. La proportion des valeurs mobilières n'est pas la même qu'en 1790: on a fait une sage pondération des observations des cours et de ce que réclame l'expédition des affaires. Désormais le juge de paix connaîtra des actions personnelles et mobilières jusqu'à la valeur de cent francs, en dernier ressort, et de deux cents à charge d'appel. Cette première disposition nous semble à l'abri de la critique. Les cours d'Amiens, de Besançon, d'Orléans, de Bourges, de Colmar, de Caen et de Bastia avaient indiqué ce chiffre. La cour de cassation ne restreignait que celui du dernier ressort dans les limites adoptées par le nouveau projet.

Il y a done une plus juste appréciation des besoins populaires dans la partie du projet de loi qui en est comme la base, et cette base peut et doit être adoptée.

Cela posé, voyons si les nouvelles attributions conférées aux juges de paix ont, comme celles de l'ancien projet, l'inconvénient de les transformer en légistes inhabiles et de dénaturer l'institution en l'éloignant du but que se proposait le fondateur.

Un examen rapide des dispositions nouvelles nous les montre groupées dans un ordre plus méthodique, et nous voyons tout d'abord qu'il n'y est plus question de conférer aux juges de paix la connaissance des demandes en validité et en main-levée des oppositions; qu'on ne leur donne plus les saisies-arrêts, et qu'ils n'auront point à s'ingérer de l'exécution de leurs jugements, attributions qui les eussent écrasés de leur poids, mais qu'en dépit des observations des cours le premier projet laissait à leur inexpérience, compromettant ainsi les droits des tiers, chargeant ces magistrats villageois de la distribution des deniers, et confiant à leur inexpérience la solution des questions les plus ardues. Les cours royales avaient repoussé ce système.

La commission avait attribué aux juges de paix la vérification d'écritures, les demandes de pensions alimentaires, les légalisations, attributions non moins dangereuses, qui ont aussi disparu du nouveau projet. Le gouvernement s'était emparé de toutes ces propositions; mais, sur les observations de la magistrature, M. le garde-des-sceaux les avait déjà rayées en 1836 de la rédaction définitive.

La Chambre ne peut manquer de rendre hommage à cette abnégation d'amour-propre, à ce désir de bien faire, à cette ardente recherche du vrai, dont se montre animé le chef de

la magistrature; mais si elle ne suppose pas les mêmes qualités aux commissaires qu'elle avait nommés, elle fera bien d'en désigner d'autres. Il serait fâcheux, en effet, de voir altérer par ces mêmes superfétations un projet dont le principal mérite est dans la simplicité et dans la sincérité des vues adoptées. C'est l'institution en progrès, mais l'institution maintenue à son principe, ainsi qu'on va s'en convaincre par les innovations elles-mêmes.

La première est celle qui confie aux juges de paix la décision des contestations qui naissent des rapports de l'aubergiste avec ceux qu'il reçoit chez lui. Il est évident qu'elles réclament une solution prompte et rapide; mais, au lieu d'élever la compétence à cet égard à quelque valeur que ce soit, on la restreint à la somme qui fait le taux de la compétence en dernier ressort des tribunaux de première instance. Le chiffre n'est pas indiqué, parce qu'il pourra être élevé lorsque l'on s'occupera d'une loi spéciale à ce sujet, et que celle sur les justices de paix aura produit ses effets.

On avait généralement applaudi à la partie du projet qui simplifiait la procédure, quant à l'exécution des baux. Aujourd'hui, comme alors, le juge de paix pourra les résilier, mais uniquement pour défaut de paiement; il n'aura donc jamais à s'ingérer dans l'appréciation des titres. Les juges de paix ne connaîtront d'ailleurs des difficultés locatives que. quand les baux n'excèderont pas 200 francs, ou à Paris 400. Il était naturel, d'après cette attribution, de leur accorder aussi celle de permettre la saisie-gagerie; leur compétence s'arrête du moment où il y a opposition de la part des tiers; autre disposition salutaire, étrangère au premier projet.

Quant à la protection des intérêts ruraux, quant aux contestations entre maîtres et ouvriers, quant aux actions pos

sessoires enfin, le projet reproduit, en la complétant, la loi du 24 août 1790 (1).

Nous avons remarqué aussi une attribution sur laquelle le premier projet gardait le silence. Les juges de paix connaîtront des actions relatives aux constructions et travaux énoncés dans l'art. 674 du Code civil, tels que fosses d'aisances, murs mitoyens, magasins à sel, forges, etc., etc.;

maux,

(1) Voici les dispositions textuelles de cette partie du projet. Art. 4. Les juges de paix connaissent également, sans appel, jusqu'à la valeur de 100 francs, et, à charge d'appel, à quelque valeur que la demande puisse s'élever: 1o des actions pour dommages faits aux champs, fruits et récoltes, soit par l'homme, soit par les aniet de celles relatives à l'élagage des arbres ou haies, et au curage, soit des fossés, soit des canaux servant à l'irrigation des propriétés ou au roulement des usines, lorsque les droits de propriété ou de servitude ne sont pas contestés; 2° des contestations relatives aux engagements respectifs des gens de travail au jour, au mois et à l'année', et de ceux qui les emploient; des maîtres et des domestiques ou gens de service à gages; des maîtres et de leurs ouvriers ou apprentis, sans néanmoins qu'il soit dérogé aux lois et réglements relatifs à la juridiction des prud'hommes; 3° des contestations relatives au paiement des nourrices, sauf ce qui est prescrit par les lois et réglements d'administration publique, à l'égard des bureaux de nourrices de la ville de Paris et de toutes autres villes.

Art. 5. Les juges de paix connaissent en outre, à charge d'appel, 1o des entreprises commises dans l'année sur le cours d'eau servant à l'irrigation des propriétés et au roulement des usines et moulins, sans préjudice de l'exécution des lois et des réglements locaux; des dénonciations de nouvelles œuvres, complaintes, actions en réintégrande et autres actions possessoires fondées sur des faits également commis dans l'année; 2o des actions en bornage; de celles relatives à la distance prescrite par la loi, les réglements particuliers et l'usage des lieux pour les plantations d'arbres ou de haies, lorsque la propriété ou les titres qui l'établissent ne sont pas contestés. »

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