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moins de mal. — Législateurs, agronomes, forestiers, tous ceux qui ont fait de cette question une étude spéciale, sont fixés sur l'efficacité de ces mesures; mais personne, jusqu'à présent, n'a osé les proposer, soit qu'on recule devant de sérieuses difficultés d'application, soit qu'on veuille échapper à l'impopularité qui s'attachera à leur adoption. Il faut cependant prendre un parti si on ne veut pas voir cette portion intéressante de notre territoire national s'appauvrir et se stériliser toujours davantage, et les populations qui l'habitent réduites à chercher dans des contrées lointaines les moyens d'existence que le pays leur refuse.

Le législateur de 1860, allant au plus pressé, créait le reboisement des montagnes comme un remède infaillible à tous les maux et laissait à ceux qui viendraient après lui, si c'était nécessaire, le soin de réprimer les abus par lui déjà constatés de la dépaissance. Quelques années s'étaient à peine écoulées que le gouvernement, reconnaissant l'insuffisance de la mesure du reboisement, proposait celle du gazonnement pour conserver les pâturages et rassurer les populations des montagnes sur le sort qui leur était réservé.

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Le gazonnement appliqué sur une assez vaste échelle n'a pas exercé avec plus de succès que le reboisement une influence décisive sur les modes d'exploitation adoptés par l'industrie pastorale; et les communes, sans se soucier des exemples qui leur étaient proposés, n'ont pas apporté plus de mesure que par le passé dans la jouissance de leur biens. M. le directeur général des forêts reconnaît, dans son rapport à M. le ministre des finances du 21 mars 1876, que l'expérience n'a pas encore confirmé les espérances que la loi sur le gazonnement avait fait concevoir, et il constate que ces dispositions n'ont pas été suffisamment efficaces pour la régénération des pâturages. Mais ce que le gazonnement obligatoire n'a pu produire, demandez-le, dit-il, au gazonnement facultatif. On ne voit pas trop quelle différence il peut y avoir entre la gazonnement commandé et celui qui est facultatif, et comment, dans les deux cas, en ce qui touche notre question, le résultat ne serait pas exactement le même. - Si, comme le prétend M. le directeur général, le gazonnement constitue une couverture imparfaite et n'offre pas contre le ravinement une protection suffisante, qu'importe qu'il soit facultatif ou obligatoire ! Ne pouvant être substitué au reboisement, comme l'avait espéré le législateur de 1864, le gazonnement ne peut être appliqué que comme un complément des travaux de restauration. Le gazonnement est sans doute destiné à jouer un tout autre rôle sur les parties qui ne sont ni trop rapides ni trop ravinées, partout où le pâturage se soutient; mais est-il vrai de dire qu'à lui seul, pourvu qu'il soit provoqué par l'intérêt privé, il amènera infailliblement la régénération des pâturages?

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Cette amélioration ne peut se produire, en effet, que par la réforme des méthodes de culture et d'exploitation; or, les réformes ne s'opèrent ni par décrets ni par la voie administrative. On ne peut les demander qu'à l'initiative individuelle, aux exemples qu'elle fournit et au principe fécond de l'association. A l'appui de sa thèse, M. le directeur général cite l'exemple de la Suisse, qui n'est sortie de l'état que nous déplorons que par l'effort privé; celui de la Franche-Comté, qui doit au règlement de ses pâturages le

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bien-être, l'instruction, la moralité. Il appelle particulièrement l'attention sur les succès des associations pastorales connues sous le nom de fruitières, qui se sont formées dans les Pyrénées à la voix d'un agent des forêts, M. Calvet, chef du service du reboisement et du gazonnement dans les Pyrénées, qui a consacré à cette œuvre sa vive intelligence et un dévouement sans bornes. · Il aurait pu citer aussi les fruitières organisées dans le département des Hautes-Alpes, dont les produits répondent aux besoins du pays et aux espérances de ceux qui en ont été les promoteurs. M. Faré se garde bien de nous dire qu'en Suisse, comme dans la Franche-Comté, dans les Pyrénées comme dans les Hautes-Alpes, le succès n'est dû qu'à l'intervention de l'administration et à la réglementation des pâturages. On ne veut compter, du reste, ni avec la routine des populations des montagnes, ni avec leur résistance, pas plus qu'on ne veut se préoccuper des questions d'altitude et de climat. Croit-on, par exemple, qu'il soit possible dans la région élevée des Alpes de substituer la vache au mouton? Les pâturages en montagne, sur lesquels le bétail peut se rendre aisément et y trouver une ample nourriture, ne seront-ils pas bien souvent inaccessibles pour l'espèce bovine et insuffisants pour son alimentation?

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Pour démontrer ce que peut en cette matière l'initiative privée et communale, M. le directeur général des forêts puise dans le département des BassesAlpes un double et saisissant exemple que nous sommes heureux de reproduire : « Un maire intelligent et dévoué aux intérêts de sa commune persuada, il y a quatre-vingts ans environ, aux habitants de Saint-Vincent de mettre à la réserve certains quartiers de leur montagne pendant vers l'Ubaye, appauvris, dégradés, dangereux. C'est aujourd'hui une magnifique forêt de mélèzes de 800 hectares, et la prévoyance éclairée du maire, la réglementation volontaire du pâturage ont eu un double effet. Sous le feuillage léger, sous l'ombre mobile et fine du mélèze l'herbe pousse et se plaît. Les heureux habitants de Saint-Vincent ont à la fois une belle forêt et un abondant pâturage. Dans la même région, à Seyne (Basses-Alpes), la commune a spontanément édicté un règlement de pâturage très bien fait, très digne d'être vulgarisé, très apte à servir de modèle pour toute la région où Seyne est placée. Qu'il s'en rencontre de semblables ailleurs, et l'exemple peut porter ses fruits, le règlement de Seyne, ou tout autre règlement, se propager. »

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Pour donner à ce dernier exemple plus de portée, j'ai hâte d'ajouter que M. Mathieu, professeur à l'école forestière de Nancy, a constaté, dans une brochure sur le reboisement et le gazonnement des Alpes, qu'en allant de Digne à Seyne, on parcourt successivement deux vallées analogues par le terrain, la situation, l'altitude, mais bien différentes à tous autres égards: l'une, que l'on remonte en venant de Digne, n'a que des aspects désolants, des montagnes ruinées, ravinées, ébréchées, tandis que l'autre, qui descend vers Seyne, presque partout verte, offre à l'œil surpris du contraste des prairies, des champs, des pâturages, des forêts. La raison de cette différence, dit l'éminent professeur, n'est point dans la composition géologique, dans la situation des deux vallées; elles sont, sous ce rapport, dans des conditions

identiques; il faut les chercher dans la nature des propriétaires. Si, dans la vallée de Seyne, l'initiative privée, les prévisions d'avenir, son mode d'industrie pastorale amènent l'aisance, dans l'autre, au contraire, l'exploitation communale imprévoyante, sans contrôle, presque toujours disposée à abuser du fonds pour en exagérer les revenus actuels, entraîne la misère. Ces deux exemples, merveilleusement choisis pour démontrer l'efficacité de la mise en défens et de la réglementation des pâturages sagement appliquées, inspirent tout de suite la pensée de les généraliser.

Pour vulgariser cette transformation économique dans les régions montagneuses, suffira-t-il de s'adresser à l'initiative privée et d'inciter son zèle, comme le recommande M. le directeur général des forêts? Si oui, pourquoi le projet de loi présenté au Sénat n'accorde-t-il des subventions et des primes aux communes et aux établissements publics qu'à la condition que les travaux facultatifs seront exécutés sous le contrôle et la surveillance des agents de l'administration, et pourquoi le gouvernement se réserve-t-il, dans les articles 12 et 13, de mettre en défens des terrains compris dans les périmètres de reboisement ou de gazonnement, et de les soumettre dans tous les cas à la réglementation des pâturages? La réponse est facile, le gouvernement sait mieux que personne que, sans ces mesures de préservation, tous les efforts individuels sont d'avance condamnés à l'impuissance et les entreprises compromises. Il sait que, pour les adopter, il n'est besoin que de désintéressement et de fermeté; n'osant demander ni l'un ni l'autre aux conseils municipaux, il ne peut les obtenir que de l'intervention de la puissance publique.

En attendant que le moment soit venu, comme le dit le rapporteur du projet de loi à la Chambre des députés, où l'opinion publique, éclairée, par des résultats partiels, mais probants, réclamera au nom de l'intérêt du pays, au nom de l'intérêt des populations pastorales elles-mêmes, cette salutaire réforme, le gouvernement la fait pénétrer timidement et par la petite porte, pour la dérober, en quelque sorte, aux regards du public. · Cette intervention de la puissance publique dans une question qui intéresse le pays à un si haut degré, est-elle donc contraire aux principes de notre droit public, impraticable dans son application et préjudiciable aux intérêts des populations pastorales? C'est ce que nous devons examiner en quelques mots.

Il est nécessaire d'abord d'établir une distinction entre les communes et les simples particuliers. Ceux-ci ne doivent être soumis à des mesures restrictives de leur droit de propriété que lorsqu'elles sont commandées par un intérêt public bien constaté. Si l'on comprend la prohibition faite aux particuliers de défricher leurs bois et l'obligation de se soumettre, dans les cas déterminés par la loi, au régime du reboisement et de la mise en défens, qui en est tout à la fois le corollaire et le correctif, on ne saurait, de la même façon, justifier une atteinte quelconque à la liberté dont ils doivent jouir pour l'exploitation de leurs pâturages. Cette entrave, qu'aucun intérêt d'un ordre supérieur ne saurait expliquer, se trouverait, du reste, sans objet, parce que les particuliers possèdent peu de pâturages dans les montagnes généralement reconnues en bon état, et qu'ils mettent autant de soin

à les ménager que d'empressement à faire parcourir à leurs troupeaux ceux. que possèdent les communes.

La situation des communes, considérées par la loi comme des incapables, est bien différente, puisqu'elles sont soumises à la tutelle de l'administration pour la gestion de leurs biens. Cette tutelle s'exerce directement sur les bois, pourquoi ne s'étendrait-elle pas à tous les terrains qui en dépendent et en particulier aux pâturages? Il serait vraiment étrange qu'on contestât à l'État le droit de réglementer le parcours hors des forêts communales, lorsqu'il peut l'exercer sans conteste dans l'intérieur même des forêts.

Le projet de loi élaboré par votre commission ne touche en aucune façon aux droits des communes, et n'apporte aucune innovation aux règles tracées jusqu'à ce jour pour leur plein exercice. Les communes, en effet, ont reçu de la loi le droit de régler le mode de jouissance et la répartition des pâturages et fruits communaux, sous la condition que les délibérations prises à ce sujet par les conseils municipaux seront sanctionnées par l'approbation du préfet. Eh bien votre commission ne veut ni méconnaître ce droit primordial des communes, ni modifier ou déplacer le contrôle exercé jusqu'à ce jour et la responsabilité qui doit en incomber à chacun. Elle laisse, comme par le passé, à la commune le droit de réglementer tout ce qui touche à la jouissance des pâturages communaux, seulement elle lui en fait une obligation. Elle maintient, sur ce point, l'exercice de la tutelle administrative entre les mains du représentant du pouvoir central; seulement, elle place entre les deux un intermédiaire, dont l'intervention ne peut se produire directement et n'a pour objet que d'éclairer le préfet pour lui permettre d'exercer utilement son contrôle.

Dans ces conditions, il ne peut s'élever au sujet du règlement sur les pâturages, entre les conseils municipaux et l'administration forestière, de véritables contestations, dans le sens juridique de cette expression, qu'il soit nécessaire de déférer à un tribunal; il n'y a donc pas lieu de recourir, en cas de difficulté, au conseil de préfecture, comme pour toutes les questions relatives aux bois des communes. Mais il est tout naturel de soumettre le différend au conseil général, à qui la loi du 10 août a confié une partie de la tutelle administrative des communes et donné un droit de contrôle, dans certains cas, sur les délibérations des conseils municipaux. Cet examen rentre dans le cadre des prévisions de sage décentralisation de la loi du 18 août 1871, et convient d'autant mieux à l'assemblée départementale, que les membres qui la composent, animés de sentiments d'impartialité et de justice, possèdent pour la plupart une connaissance des lieux et des besoins des populations, indispensables pour aplanir et, dans tous les cas, pour trancher au mieux des intérêts de tous les difficultés de cette nature.

La réglementation des pâturages, que l'intérêt des communes commande autant que celui d'un ordre plus élevé, constitue donc une mesure dont l'application n'a rien qui répugne aux principes de notre législation. La liberté illimitée conduira infailliblement à la ruine complète des pâturages communaux, tandis que la réglementation, en laissant jouir les générations présentes des avantages du pacage, en conservera l'exercice à celles à venir.

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Comment pourrait-on hésiter? Si cette réglementation n'a rien de contraire au principe de notre droit public, est-il vrai, comme le prétend M. le directeur général des forêts, que l'application en soit impossible, parce que l'administration des forêts n'a pas un personnel suffisant pour faire exécuter les mesures à prendre ; que la compensation à donner aux populations serait excessive, et qu'enfin ces mesures, dépourvues de sanction, rencontreraient bientôt une résistance qui y ferait renoncer?

En demandant, dans les cas déterminés par les articles 12 et 13 du projet du gouvernement, la mise en défens et la réglementation des pâturages, l'administration des forêts a déjà reconnu et la nécessité de ces mesures et la possibilité de les inscrire dans la loi. Si le principe est admis, faut-il, pour en faire l'application, recruter une administration savante? Le personnel du corps forestier, tel qu'il est organisé et tel qu'il fonctionne aujourd'hui, est certes bien suffisant pour accomplir cette tâche. Pour réussir, il suffit du désintéressement et de la fermeté que les conseils municipaux n'ont pas, et que les agents forestiers possèdent à un haut degré. Il n'y a pas lieu de les initier à des études nouvelles. Que leur demande-t-on? D'étendre aux pâturages et aux terrains qui en dépendent la surveillance qu'ils exercent sur le pacage dans les bois des communes. Leur tâche sera d'autant plus facile qu'ils n'auront qu'un avis à donner pour que la réglementation des pâturages ne devienne pas un vain mot. Comme tous les arrêtés qui émanent de l'administration municipale, ces règlements trouveront une sanction suffisante dans les peines édictées par les articles 471 et 474 du Code pénal.

En ce qui touche les demandes de compensation que pourraient réclamer les communes, votre commission n'a jamais eu la pensée de vous offrir une indemnité à raison de la limitation de leurs pâturages. La réglementation

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d'un droit n'en est ni la suppression, ni la privation. N'est-ce pas dans l'in térêt des communes qu'elle est édictée? Ne s'agit-il pas de la conservation de leurs pâturages? On ne leur doit pas plus d'indemnité sur ce point qu'on ne leur en donne à raison de l'administration de leurs bois. S'il s'agit, au contraire, de la mise en défens, la question change d'aspect; cette interdiction constitue une atteinte au droit de propriété, puisqu'elle en suspend l'exercice pendant un temps plus ou moins long. N'est-il pas équitable que la loi, qui offre une juste et préalable indemnité au propriétaire dépouillé par l'expropriation pour cause d'utilité publique, ne refuse pas d'indemniser aussi, dans une certaine mesure, celui pour lequel la mise en défens entraîne une privation momentanée?

Sans distinguer entre les communes et les particuliers, cette indemnité doit être attribuée, comme en matière d'expropriation, à tout propriétaire atteint et même à l'habitant de la commune qui, agissant ut singulus, souffre de l'interdiction de conduire ses troupeaux dans les pâturages mis en défens. A qui confier le soin de fixer le chiffre de cette indemnité? - Le plus souvent il s'établira sur ce point un accord entre le propriétaire et le représentant de l'administration; mais, en cas de difficulté, le conseil de préfecture est naturellement indiqué comme juge de la question.

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L'objection tirée de la résistance des communes et des populations pasto

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