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rales suffit-elle pour condamner d'avance cette partie essentielle du projet de loi? - Oui, sans doute, le projet de loi rencontrera d'abord, sur ce point, une vive résistance. Les intérêts aveugles qui l'inspireront ne se sont jamais arrêtés devant la nécessité de conserver les bois des communes et de restaurer certaines parties des montagnes par le reboisement. Pourquoi comprendraient-ils mieux les avantages qui sortiront de la gêne momentanée qu'on veut leur imposer?

Toutefois, on peut prévoir que cette résistance ne sera pas de longue duréë, parce qu'elle ne sera pas alimentée par la coercition, qui ordinairement la provoque et l'excite dans les populations rurales. Le droit laissé aux communes de réglementer elles-mêmes leurs pâturages au mieux de leurs intérêts se chargera de leur démontrer que cette mesure de préservation pour l'avenir peut seule leur assurer actuellement le plein et entier exercice de leur parcours. Les populations s'apercevront bien vite qu'à la différence des lois de 1860 et 1864, qui laissaient l'administration étendre à son gré des périmètres de reboisement et de regazonnement, et restreindre ainsi les pâturages, le projet actuel limite le droit de l'administration et nécessite la revision des anciens périmètres, pour rendre aux communes une partie des terrains qui leur avaient été enlevés.

Au lieu de mettre en opposition l'Etat et les communes, comme l'avaient fait les lois antérieures, le projet actuel établit entre eux un lien de solidarité. L'un et l'autre ont le même intérêt aujourd'hui: ne comprendre, dans les périmètres de reboisement, que les terrains profondément attaqués et devenus la proie des torrents; l'État, pour ne pas consacrer à cette œuvre des sommes excessives, et les communes, pour conserver dans leur patrimoine la plus grande partie des pâturages. Est-ce à dire que l'œuvre entreprise par l'État restera incomplète? Non. Elle l'était quand, étendant son action réparatrice, mais ne pouvant embrasser par ses travaux qu'une faible partie des terrains à reboiser et à regazonner, l'administration laissait le mal se reproduire tantôt sur un point, tantôt sur un autre.

Le projet actuel, au contraire, en restreignant les points sur lesquels pourra s'exercer avec une liberté entière l'action de l'État, et en faisant cesser une des causes du inal, on peut même dire la principale, l'abus de la dépaissance, constitue un système complet de conservation et de restauration des montagnes, de nature, dans un avenir prochain, à garantir les plaintes contre le retour des inondations, et arrêter, par la régénération des pâturages, le mouvement qui pousse chaque jour davantage les populations à l'émigration vers les villes.

Cet heureux résultat ne pourra toutefois s'accomplir que par des efforts persévérants et des sacrifices momentanés. En demandant les uns et les autres au patriotisme éclairé qui anime les populations des montagnes, l'Etat, mû par un sentiment de solidarité nationale, ne leur marchandera pas, du reste, les compensations sur lesquelles elles ont le droit de compter. Aux privations que le projet de loi va imposer aux populations pastorales, l'État répondra sans doute par de larges subventions qui leur permettront de contenir les torrents qui se disputent et déchirent leur territoire en tous sens,

d'établir et d'étendre les voies de communication, de créer des canaux pour augmenter les prairies artificielles.

Votre commission compte, pour la réalisation du vœu qu'elle vient d'exprimer, sur les témoignages de sympathie du gouvernement pour les populations déshéritées des montagnes et l'assurance souvent répétée de leur venir en aide.

Cet exposé général, peut-être un peu long, mais nécessaire pour la solution des questions de principes discutées au sein de la commission, m'autorise à rendre un compte rapide des discussions de détail produites sur chacun des articles du projet.

La Chambre des députés, frappée de l'insuffisance du titre du projet de loi sur le reboisement et le gazonnement des montagnes proposé par le gouvernement, a cru devoir y apporter la modification que paraissait commander son caractère essentiel et son véritable but, en l'intitulant « Loi sur la conservation et la restauration des montagnes, portant revision des lois des 28 juillet 1860 et 8 juin 1864 sur le reboisement et le gazonnement des montagnes >>.

La première partie de cet intitulé répond, par la précision de ses termes, tout aussi bien à la pensée que l'on poursuit qu'à l'importance et à l'étendue du projet de loi, et se prête suffisamment à l'élargissement donné par votre commission au cercle qui lui avait été tracé. Elle vous propose, à l'unanimité, de la maintenir et de retrancher la seconde. A quoi bon, en effet, rappeler les lois du 28 juillet 1860 et du 8 juin 1864, qui n'indiquent qu'un des moyens de recréer les montagnes, et dont les lacunes et les imperfections exigent depuis longtemps non pas seulement la revision, mais la complète abrogation?

Votre commission s'est ensuite demandé dans quel ordre il convenait d'édicter les mesures par elles adoptées. Quelques-uns de ses membres ont signalé l'intérêt qu'il y aurait à se conformer à l'ordre établi par le projet de loi et à le faire suivre des mesures proposées par la commission comme nécessaires pour le compléter. Mais la majorité a pensé que, dans une loi aussi complexe, il fallait, pour en assurer la clarté, en faire ressortir les avantages et en faciliter l'exécution, procéder didactiquement et placer les mesures de prévention avant celles de protection. Dès lors, la commission vous propose d'adopter l'article 1er, dans lequel elle a défini l'objet du projet de loi, précisé son but, et indiqué l'ordre dans lequel doivent être placées les mesures proposées pour l'atteindre.

L'article 2 du titre Ier soumet les communes, dont les noms seront inscrits dans le tableau dressé par les soins de l'administration supérieure, à l'obligation de réglementer les pâturages de leurs territoires.

Notre éminent collègue M. de Ventavon s'est demandé pourquoi les simples particuliers se trouvaient affranchis de l'obligation imposée aux communes, puisque l'intérêt public paraissait l'exiger, et a demandé qu'ils y fussent assujettis. Il a été répondu que la solution de cette question résidait dans la différence des situations. Tandis qu'on ne demande aux communes, à titre d'obligation, que l'exercice d'un droit inscrit dans la loi municipale pour pré

venir, dans leur intérêt, des abus malheureusement trop certains, on ne saurait imposer aux simples particuliers une obligation de nature à porter la plus vive atteinte à leur droit de propriété, sans que l'intérêt public paraisse l'exiger.

En cas de difficultés entre les administrations municipale et forestière au sujet des règlements de pâturages et leur exécution, il est institué, par l'article 4, une commission chargée de préciser les points sur lesquels l'accord ne peut se faire, et de procéder ensuite sur les lieux à une instruction qui puisse permettre au conseil général de se prononcer en parfaite connaissance de cause.

La composition de cette commission réunit tous les éléments locaux de nature à donner satisfaction à tous les intérêts en présence, et à élucider toutes les questions qui lui seront soumises.

Les pénalités établies par l'article 5, suffisantes pour la sanction des règlements de pâturages, ne sont que la reproduction des règles posées par les Codes d'instruction criminelle et pénal en matière de contravention aux arrêtés municipaux.

L'article 6 du titre II règle les conditions de la mise en défens. Il autorise les communes à la demander elles-mêmes parce qu'il y a lieu d'espérer que, dès que l'économie de la loi sera bien comprise, plus d'une voudra provoquer une mesure aussi salutaire. Cet article donne dans tous les cas à l'administration forestière le droit de requérir la mise en défens, tant contre les particuliers que contre les communes, lorsque les intérêts dont la sauvegarde leur est confiée nécessiteront une pareille mesure.

Le droit d'interdire les pâturages dont la dégradation commande le repos, appartient dans chaque département au préfet, représentant de la puissance publique dont l'intervention est justifiée. L'article 7 ne crée pas un droit nouveau et procède par voie d'analogie avec les cas nombreux soumis dans les mêmes conditions à l'autorité préfectorale par le Code forestier. En soumettant, du reste, l'exercice de ce droit à la délibération des conseils municipaux, à l'avis d'une commission spéciale, et en provoquant les explications des parties intéressées, cette disposition s'entoure de formalités suffisamment protectrices des intérêts de tous.

L'article 8 fixe le minimum de la durée de la mise en défens, oblige 16 préfet à déterminer dans son arrêté le chiffre de l'indemnité due au propriétaire, et attribue compétence au conseil de préfecture en cas de désaccord sur ce dernier point. La mise en défens ne peut être que temporaire, et dix ans d'interdiction aux troupeaux, comme le prescrit l'article 13 du projet, ont paru à votre commission constituer l'extrême limite, afin de ne pas déposséder le propriétaire de son droit légitime et laisser à la nature un temps suffisant pour réparer le mal. L'obligation de fixer préalablement le chiffre de l'indemnité due au propriétaire, imposée par assimilation au préfet comme l'offre préalable en matière d'expropriation forcée pour cause d'utilité publique, aura pour résultat d'amener presque toujours une entente entre les parties intéressées et, dans tous les cas, de bien préciser les prétentions respectives. En saisissant le conseil de préfecture du droit de fixer,

après expertise contradictoire, s'il y a lieu, le quantum de cette indemnité, votre commission s'est conformée aux précédents en matière de compétence administrative, et a voulu éviter aux parties les lenteurs et les frais qu'entraînerait pour elles l'application des règles du droit commun, admises par

l'article 13 du projet.

L'article 9, relatif à l'attribution de l'indemnité lorsque la mise en défens porte sur un terrain communal soumis au pacage des troupeaux des habitants, a donné lieu à une longue discussion. Il paraît étrange, à première vue, que celui qui n'a pas de droit direct à la propriété interdite puisse participer à une indemnité dont la cause gît uniquement dans la dépossession; mais, si on y regarde de plus près, il devient facile de justifier l'opinion de la commission sur ce point. Si la commune est privée par la mise en défens des revenus sur lesquels elle avait le droit de compter, les habitants, dont l'unique ressource consiste dans le pacage, supportent une privation bien plus grande. Ce sont eux surtout qui sont atteints dans l'exercice de leur droit spécial sur la chose; il est dès lors de toute justice de les indemniser dans une certaine mesure. La division de l'indemnité en deux parts et sa répartition sur des bases admises par tous les décrets de déclaration d'utilité publique rendus en vertu de la loi du 28 juillet 1860, donnent du reste à chacune des parties intéressées une entière satisfaction.

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L'article 10 a pour but d'autoriser l'administration à exécuter des travaux d'amélioration et de correction pour venir en aide à la nature lorsque ses efforts pendant la durée de la mise en défens ue paraîtront pas suffisant pour reconstituer les pâturages et les mettre désormais à l'abri de toute action destructive.

Votre commission a pensé qu'il était nécessaire d'admettre un recours tant contre l'arrêté du préfet, qui ordonne une mise en défens, que contre celui du conseil de préfecture, qui fixe le chiffre de l'indemnité due pour privation de jouissance; c'est ce qui fait l'objet de l'article 11.

La mise en défens, équivalant pendant sa durée à la soumission au régime forestier, doit entrainer, en cas d'infraction, les mêmes peines que pour les délits commis dans les bois. L'article 12, en le déclarant expressément, ne fait que répondre à la situation établie par ce chapitre.

Le titre III traite du gazonnement et du reboisement. La commission, désireuse de maintenir la division établie par le projet de loi, en a fait l'objet de deux chapitres distincts.

Dans le premier, consacré aux travaux facultatifs et comprenant les articles 13 à 19, la commission propose une interversion dans le numérotage des articles, pour placer ensemble les dispositions qui se rattachent au même ordre d'idées, et une double modification aux articles 13 et 16 pour ajouter à l'énumération des subventions accordées par l'Etat celle qui consiste en travaux, et faire admettre, comme en matière de travaux publics, que le payement des subventions pourra s'effectuer au fur et à mesure de l'avancement des travaux.

Dans le second, relatif aux travaux obligatoires, la commission reproduit (art. 20) les termes employés par le projet de loi pour préciser les causes qui

peuvent commander l'exécution de ces travaux et bien marquer leur caractère de nécessité absolue.

La commission croit devoir s'écarter du projet en discussion sur un point essentiel du titre IV, c'est-à-dire sur les dispositions transitoires.

En laissant aux communes, aux établissements publics et aux particuliers l'option entre l'ancienne et la nouvelle loi pour les périmètres de reboisements décrétés d'utilité publique antérieurement, le projet établit entre les périmètres anciens dans lesquels les travaux n'ont encore reçu aucun commencement d'exécution, et ceux dans lesquels, au contraire, les travaux sont en cours d'exécution, une distinction que rien ne justifie. Tandis que les premiers, en cas d'option pour la nouvelle loi, sont soumis à une nouvelle enquête, les autres ne peuvent être revisés dans la même forme et restent à la merci des agents de l'administration forestière.

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Il y a là une inégalité choquante et une source de difficultés. Pour les prévenir, votre commission décide, dans l'article 24, que les déclarations d'option emportent, dans tous les cas, la soumission entière et sans exception au régime de la nouvelle loi. En n'admettant par l'article 27 que des gardes domaniaux dans les communes assujetties à l'application de la nouvelle loi, votre commission a voulu, tout à la fois, en assurer l'exécution en la confiant à des agents éprouvés, et donner aux malheureuses communes, dont les frais de garde absorbent le plus clair de leurs revenus, une première compensation pour les sacrifices que leur impose le régime du reboisement. En conséquence, votre commission a l'honneur de vous proposer l'adoption du projet de loi suivant :

PROJET DE LOI

Projet du Gouvernement.

TITRE PREMIER

TRAVAUX FACULTATIFS.

Art. 1er. Des subventions peuvent être accordées aux communes, aux établissements publics et aux particuliers, pour le reboisement, le gazonnement, l'embroussaillement et autres travaux de consolidation des terrains en montagne.

Ces subventions consistent soit en délivrance de graines ou de plants, soit en argent.

Art. 2. Des subventions et primes en argent peuvent également être accordées à toute entreprise particulière, communale ou collective, telle que associations pastorales, fruitières, etc., qui présente, pour la consolidation des terrains en montagne et la régénération des pâturages, des avantages reconnus au point de vue de l'intérêt général.

Art. 3. L'importance de ces subventions est réglée d'après l'utilité des travaux, en tenant compte pour les communes, les établissements publics et

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