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Pour le reboisement lui-même, nous sommes dans cette situation qu'il est impossible ou très difficile, faute de voie de communications, d'exploiter une partie des forêts qui appartiennent aux communes. On stérilise à peu près leur valeur; c'est ainsi que dans des localités on ne trouve d'acquéreurs qu'à des prix ridicules; des bois ont été vendus 3 francs le mètre cube lorsque, à quelques kilomètres plus loin, il se vendait couramment 25 et 40 francs. Cet état de choses ne contribue donc pas à rendre populaire le reboisement, surtout lorsqu'il est fait aux dépens du pâturage, du régime pastoral. Ces difficultés, ces impossibilités d'exploitation se reproduisent dans toutes les régions alpestres. Ce sont elles et le désir d'y voir mettre un terme qui m'ont déterminé à déposer à la Chambre des députés, l'an passé, un amendement pour allouer au gouvernement une somme de 5 000 francs à l'effet de faire des études sur la création d'une caisse des chemins forestiers, qui méritent assurément autant de faveur que les chemins vicinaux. Je sais que le gouvernement s'occupe sérieusement de la mission qui lui était donnée par l'adoption de mon amendement par la Chambre des députés et le Sénat.

par

Il y a un intérêt direct pour le Trésor à restituer à nos forêts leur valeur véritable; puisqu'il a un vingtième de leurs produits, il y a un intérêt plus élevé dans la mise en valeur de ces richesses considérables et des bienfaits qui en seront la conséquence pour les populations alpestres. On parle d'obtenir leur concours; c'est à ce prix qu'on l'aura complet, entier.

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Revenant aux deux projets en présence, vous voyez quelles raisons nous avons de recommander celui qui permettra d'arriver par une voie plus rapide à la restauration de la montagne et pourquoi il nous importe que le régime pastoral tienne la première place dans l'exécution, autant que la chose sera possible, sans compromettre cependant l'avenir de la montagne. Des critiques ont été formulées contre le projet du gouvernement; ce projet, messieurs, me semble, au contraire, être d'une simplicité très remarquable, et répondre beaucoup plus au but qu'on se propose que le projet de la commission. Je vais l'expliquer en peu de mots tel que je l'ai compris. Le gouvernement définit nettement le projet de loi dans l'article 1er. Il dit : « Il est pourvu à la restauration et à la conservation des terrains en montagne, soit au moyen des travaux exécutés par l'Etat ou les propriétaires avec subvention de l'Etat, soit au moyen des mesures de protection, conformément aux dispositions de la présente loi. » Cette distinction est absolue, catégorique, précise, surtout si on la compare à l'article 1er de la commission. Voici ce que dit la commission: « Lorsque l'intérêt public exige qu'il soit pris des mesures de restauration » je ne vois pas la différence qu'il y a entre les deux « ... de préservation ou de conservation de terrains en montagne, il y est pourvu à l'aide du reboisement, du gazonnement, de la mise en défens et de la réglementation des pâturages. » Qui sera juge de l'intérêt public? Evidemment l'administration; alors pourquoi ne pas accepter la rédaction du gouvernement? Le gouvernement établit trois zones. La première zone est celle où les affouillements ont une intensité extraordinaire et dans laquelle généralement l'Etat seul peut exécuter

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les travaux coûteux, ayant pour but la restauration et l'extinction des torrents. C'est bien notre cas en Savoie; nos communes sont trop pauvres pour s'imposer des sacrifices. Le gouvernement fera donc, aux frais du Trésor et sans répétition aucune, les travaux de restauration nécessaires. Ce n'est pas tout, l'occupation de terrains est nécessaire pour ces travaux, et ils peuvent n'être pas la propriété de l'Etat; dans ce cas, comme aussi d'une manière générale et dans un intérêt de bonne administration, des enquêtes sont prescrites; des avis sont demandés aux conseils municipaux, d'arrondissement, de département; une commission bien définie où sont représentés les intérêts de tous ordres est instituée, qui jouera un rôle prépondérant, et enfin, lorsque la question est ainsi bien étudiée, a été bien contrôlée, que des périmètres ont été arrêtés, publiés, que la lumière s'est faite, que toutes les contradictions ont été provoquées, ont pu se produire, un décret rendu en conseil d'Etat déclare, s'il y a lieu, l'utilité publique des travaux à exécuter et des mesures à prendre.

La commission repousse l'intervention du conseil d'Etat; elle veut que la déclaration d'utilité publique soit faite par une loi; dans quel intérêt? On peut se le demander, lorsqu'il s'agit d'affaires d'une importance restreinte et qui généralement demandent l'urgence. Le nombre des périmètres à compléter et à créer sera peut-être de cinq ou six cents. Est-ce bien le cas d'en arriver à une loi?

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La loi du 3 mai 1841 a réservé dans son article 3 la possibilité, le droit de déclarer d'utilité publique, par voie d'ordonnance royale, comme on disait alors, et par voie de décret, selon le langage actuel, les travaux d'une importance restreinte. Or, lorsqu'il s'agit d'intérêts analogues à ceux que nous examinons en ce moment, nous sommes d'ailleurs des législateurs. La déclaration d'utilité publique prononcée en conseil d'Etat, l'expropriation se fait devant le jury, suivant les formes prescrites par la loi du 3 mai 1841. Ainsi, pour cette première zone, la plus importante, travaux aux frais de l'Etat, formalités nombreuses et protectrices, déclaration d'utilité publique prononcée par le conseil d'Etat; où est la possibilité d'une erreur, d'une violation de droits privés ? D'ailleurs, devant le conseil d'Etat, les intérêts, s'il y en a de méconnus ou de froissés, ont la faculté de se défendre euxmêmes, c'est-à-dire plus efficacement que devant le Parlement. Enfin, le jury règle les indemnités où peut rester une possibilité de perte pour l'exproprié; pourquoi accuser l'administration forestière de sacrifier la propriété ? Il reste enfin à l'exproprié la faculté de conserver sa terre en se chargeant de faire lui-même les travaux, il n'y a plus alors d'expropriation. C'est la première zone, c'est la zone la plus difficile, qui exigera le plus de sacrifices, qui absorbera la plus grande partie des crédits portés au budget; ils s'élèvent à 2 millions et demi de francs. Le seconde zone, dans le projet du gouvernement, est celle qui « entoure la précédente, et dans la quelle se trouvent des traces de dénudations et de ravinements, mais dont la conservation paraît devoir être assurée au moyen d'une simple mise en défens avec ou sans travaux accessoires. » Elle fait l'objet des articles no 2, 3 et 4, et de l'article 5. C'est donc là plutôt une zone de protection, de con

solidation. Comment procède-t-on dans le projet du gouvernement? Exactement comme pour la première zone: enquête, avis, commission spéciale, détermination de périmètre, puis déclaration d'utilité publique par le conseil d'Etat; seulement, comme l'Etat met en défens, c'est-à-dire interdit la jouissance, c'est une indemnité qui sera payée à la suite de la déclaration d'utilité publique, une indemnité, c'est-à-dire le prix de la jouissance et non le prix de la terre qui reste au propriétaire.

Je me demande encore où et en quoi les intérêts des populations seront lésés. Nous sommes bien loin des lois spoliatrices de 1860 et de 1864 qui ont été un abus de pouvoir. Les deux projets qui vous sont soumis consacrent le respect des droits. On ne prend rien à personne, on ne dépouille personne de sa chose ou de la jouissance de sa chose, même au nom d'intérêts supérieurs. -On applique la loi d'expropriation pour cause d'utilité publique; de telle sorte que soit pour les communes, soit pour les particuliers, il n'y ait ni ne puisse y avoir rien qui ressemble à une confiscation, rien qui soit une atteinte au droit de propriété. C'est ainsi du moins que j'entends le projet. J'avais donc quelque raison de m'étonner tout à l'heure en entendant dire à mon honorable collègue, M. Michel, qu'il y avait dans le projet du gouvernement, inspiré suivant lui par des préoccupations par trop forestières, des sacrifices d'intérêt privé. On ne sacrifie absolument rien; ce qu'on prend, on le paye, et pour ce qu'on met en défens, on indemnise le propriétaire.

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Sous ce rap

Enfin, la troisième zone est une zone d'encouragement. port, les deux projets se ressemblent. On accorde aux propriétés situées dans cette zone des subventions à titre d'encouragement, subventions en argent, en travaux, en graines, en plantes, etc.

J'avais

Tel est le projet du gouvernement dans ses parties essentielles. donc raison de dire que, dans l'intérêt des régions alpestres, où des mesures énergiques sont nécessaires, je devais désirer son adoption; il a été étudié par deux grandes administrations et va droit au but que nous nous proposons: la restauration et là conservation des terrains en montagne; c'est bien là le titre de la loi. (Marques d'approbation sur plusieurs bancs.)

M. KRANTZ, président de la commission. Messieurs, il est peu de projets d'affaires plus importants que celui qui vous est soumis en ce moment. Il s'agit de la restauration de terrains dont la surface n'est pas inférieure à 1 million d'hectares. C'est déjà un chiffre fort imposant, mais il ne donne pas encore la mesure exacte des conséquences utiles de la restauration projetée. Chaque hectare dégradé dans la montagne en compromet quelquefois plusieurs dans la plaine; dé telle sorte que le mal qui sévit sur la montagne a une redoutable répercussion plus bas; en définitive, c'est au moins 2 millions d'hectares qui se trouvent ainsi perdus pour l'agriculture. Geci, en vérité, donne à la loi úne importance toute spéciale : 2 millions d'hectares compromis, perdus, dans un pays qui n'en possède que 52 millions, c'est assurément bien grave. Mais les routes, les canaux, le régime de nos fleuves et de nos rivières, tout cela se trouve également compromis par le fait de la dégradation des montagnes. Je n'en dirai pas plus sur ce point et cela par

une raison très simple, c'est que, dans le dissentiment qui a éclaté entre la commission et le gouvernement, jamais ce point de départ, jamais cette importance de premier ordre n'ont été contestés par personne. (Marques d'approbation.) - Je vais plus loin. Non seulement le but à atteindre, la gravité des dommages causés par la dégradation des montagnes, la nécessité d'y porter remède ne sont contestés par personne, mais les moyens à employer sont également hors de discussion. Je le répète, on sait d'où vient lé mal qui afflige la montagne, à quelle époque il a pris naissance, comment il s'est perpétué, développé. On sait également qu'il faut rétablir patiemment, à force de temps et d'argent, ce que l'on a imprudemment détruit. On sait qu'il faut reconstituer la forêt sur les parties déclives de la montagne, refaire les pâturages dans le haut, sur les plateaux où l'humidité du sol le permet. Tout cela, art et procédés techniques, est hors de conteste. Entre la commission et le gouvernement, aucun dissentiment sur ces points.

Quant aux procédés administratifs à employer aux zones, aux périmètres où l'action de l'administration doit s'exercer, à la nature de cette action curative ou hygiénique, l'accord existe également. Ainsi la commission, comme le gouvernement, admet un périmètre de travaux obligatoires, où l'Etat, seul capable de les entreprendre efficacement, exécutera les travaux, reconstituera le lit, les berges, les abords des torrents. Dans ce premier périmètre, l'Etat se rendra propriétaire des terrains et aura recours à la loi d'expropriation pour les acquérir. La commission ne recule pas plus devant cette nécessité que le gouvernement lui-même. Dans les terrains moins ravagés, où quelques précautions, j'allais presque dire une bonne hygiène, suffisent, on assure le repos de la montagne par une mise en interdit du pâturage. C'est ce qu'on a appelé la zone de mise en défens. Ici encore, nulle difficulté, et vous voyez, messieurs, avec quel soin, et je dirais volontiers avec quelle satisfaction, je constate les points où le gouvernement et la commission se sont trouvés d'accord. Comment ces deux périmètres, dont la constitution forme la partie essentielle, vitale de la loi, peuvent-ils être déterminés ?

On a pensé, le gouvernement aussi bien que la commission, que les conseils municipaux des communes intéressées devaient, tout d'abord, être consultés, puis le conseil d'arrondissement, le conseil général et, enfin, une commission spéciale instituée à l'effet d'examiner ces divers éléments d'instruction et de formuler un avis. Jusqu'ici, aucune divergence.

Mais voici où la divergence commence. Qui dira le dernier mot sur cette longue instruction? Qui statuera? Car, enfin, jusqu'à présent, l'action publique ne s'est manifestée par aucun acte. On a délibéré, discuté, donné des avis; rien de plus. Suivant le projet du gouvernement, c'est un décret délibéré en conseil d'Etat qui va fixer le périmètre des travaux obligatoires; suivant la commission, au contraire, c'est le parlement. Elle substitue ainsi la loi au décret.

En ce qui concerne la mise en défens, le gouvernement veut encore que ce soit un décret qui fixe le périmètre. La commission trouve, au contraire, qu'il est plus simple et plus convenable que ce soit le préfet placé à la tête

de l'administration départementale qui agisse. Son arrêté présentera plus de garanties réelles aux intérêts particuliers que ne saurait le faire un décret. Ce sont ces deux points de dissidence que j'ai tenu tout d'abord à préciser et sur lesquels je veux m'expliquer. (Très bien ! très bien !)

Vous connaissez tous le mécanisme de la loi du 3 mai 1841, également chère à l'administration qui la met en œuvre et aux particuliers qui la subissent; également chère, dis-je, aux deux parties, parce qu'elle règle équitablement leurs rapports et que l'exproprié a rarement à se plaindre de la violence légale qui lui est faite. Si l'on se reporte aux législations antérieures à cette loi, on trouve qu'elle a constitué un très réel progrès et qu'il y a lieu de la respecter dans son esprit et dans sa lettre. Elle a momentanément sombré dans le naufrage de nos libertés. Le sénatus-consulte du 25 décembre 1852, faisant un brusque retour vers la loi de 1810, a enlevé au parlement les prérogatives dont il avait été investi et les a attribuées au pouvoir exécutif.

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De

En 1870, il y a eu une détente dans l'absolutisme impérial. La loi du 27 juillet restitua au parlement la déclaration d'utilité publique et l'on revint à la loi si sage de 1841, sauf en ce qui concernait les travaux des départements; les chemins de fer d'intérêt local étaient bien pour quelque chose dans cette réserve le gouvernement tenait à les avoir dans sa main. puis, cette reconnaissance des droits du parlement a fait un pas encore. A la suite d'incidents dont un certain nombre d'entre vous peuvent avoir conservé le souvenir, on a demandé d'abord à l'Assemblée nationale que les chemins de fer de moins de 20 kilomètres fussent régis par le domaine de la loi et soustraits à l'action des décrets. Cette proposition n'a pas abouti. L'Assemblée nationale s'est séparée avant d'avoir statué, mais le germe de vrai libéralisme qui avait été déposé dans cette proposition a survécu, s'est developpé, et une nouvelle loi conçue dans le même esprit a été proposée à la Chambre des députés d'abord, qui l'a parfaitement accueillie, puis au Sénat, où, sur le rapport de notre honorable collègue M. Brunet, elle a été l'objet d'une délibération favorable. Pourquoi et comment n'y a-t-il pas eu seconde délibération? Je l'ignore, mais toujours est-il que je puis chercher dans cette proposition, sinon un texte formel de loi, tout au moins l'expression de la pensée du parlement. Ce point a sa valeur, et la commission y attache une extrême importance.

L'article 3 de la loi du 3 mai 1841 édictait dans son premier paragraphe un principe très ferme, presque absolu, mais, par une transaction avec les habitudes anciennes, dans le deuxième paragraphe, admettait une restriction à ce principe. L'utilité publique des routes départementales, des chemins de fer, d'embranchement et canaux de moins de 20 kilomètres, pouvait être déclarée par une ordonnance royale. C'est cette restriction au droit commun que la proposition précédemment signalée avait pour but d'amoindrir, de restreindre.

Actuellement, d'après ce projet de loi, que je ne rappelle ici que comme l'expression de la pensée et de la volonté du parlement, tous les chemins de fer, quelle que soit leur longueur, tous les canaux de navigation, toutes les

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