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routes nationales, sauf les rectifications, doivent être déclarés d'utilité publique par une loi. On ne laisse dans le domaine des décrets que les canaux d'irrigation ou de dessèchement de moins de 20 kilomètres et autres travaux de moindre importance.

Je vous demande pardon, messieurs, de cette explication un peu longue... (Parlez! parlez!) ... mais elle a pour but précisément de bien marquer quel est le principe et la cause du différend survenu entre le gouvernement et la commission.

La commission s'attache au principe même de la loi, au principe du droit commun, et n'admet pas la restriction, l'exception que l'on invoque et qui ne lui paraît, dans l'espèce, ni expressément spécifiée, ni suffisamment justifiée. Le droit commun, c'est la loi; le droit étroit, c'est le décret, et pour expliquer pourquoi elle veut en revenir au décret, l'administration arguë de l'infime importance des travaux dont il s'agit de déclarer l'utilité publique. Nous verrons tout à l'heure ce que vaut ce motif; mais, en attendant, je réponds que le régime des décrets s'amoindrit tous les jours...

M. AUDREN DE KERDREL. Pas en toute matière.

...

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M. KRANTZ. Que celui de la loi tend toujours à s'augmenter, et que c'est une façon de retour vers le passé, un véritable anachronisme que cette résurrection du décret, là où il n'a que faire. Mais, enfin, ces travaux ont-ils bien une importance si petite que vous puissiez les comparer à une rectification de route, à un agrandissemeut de gare ou à quelque autre travail semblable? Mais, messieurs, il s'agit, pour ce qui doit être compris dans le périmètre obligatoire, de 200 000 hectares sur lesquels vous avez des travaux considérables à faire. Oui, mais on nous a dit que les périmètres qui englobent ces 200 000 hectares sont au nombre de plus de 600. D'après ses déclarations à la commission, ils sont au nombre de 339 périmètres pour les travaux obligatoires, ce qui constitue pour chacun de ces périmètres une superficie moyenne de 590 hectares. Calculez le prix de ces terrains; on le trouve dans votre rapport au moins en moyenne. Calculez le prix des travaux, il est dans le rapport de votre prédécesseur. Vous trouverez que chacun de ces périmètres représente une moyenne de 20 000 francs. Est-ce que cette importance ne vous paraît pas suffisante pour motiver l'action de la loi? Est-ce que le parlement doit rougir de s'occuper d'affaires comme celles-là? Mais, en vérité, est-ce que l'importance se mesure tout simplement à la somme que l'on débourse? Il y a, à côté de cette importance financière, une importance morale bien plus grave encore, et c'est précisément là-dessus que je veux insister. Vous dépossédez les communes d'une grande partie de leur territoire, quelquefois d'un cinquième, par ce premier périmètre. Vous avez ensuite, vous le dites vous-mêmes, un second périmètre mis en interdit; et vous trouvez que ces mesures ne sont pas assez importantes pour que le parlement s'en occupe, les surveille dans l'intérêt des communes! Mais, remarquez-le bien, c'est un devoir pour lui, car les communes sont des mineurs, et leurs intérêts vous sont remis comme à des tuteurs. (Très bien ! à droite.)

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je vous l'ai dit dès le début, JANVIER 1881.

T IX. -

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ne sont pas seulement les travaux; ce ne sont pas seulement ces quelques hectares... j'ai tort de me servir de cette expression, car chaque périmètre représente une surface étendue, 200 kilomètres de chemins de fer, oui, chaque kilomètre de chemin de fer exige 3 hectares et 600 hectares représentent la surface nécessaire pour établir 200 kilomètres de chemins de fer. Vous voyez, par conséquent, qu'à ce point de vue encore, l'importance des sacrifices imposés à la propriété privée ne saurait être méconnue; et vous me permettrez de dire qu'il serait singulier que la loí, qui précisément est faite en vue de l'expropriation, n'ait pas mis cette sorte d'importance au premier rang et l'ait subordonnée à la question de dépenses.

Si l'on prend dans son texte la loi du 3 mai 1841, et si l'on prend dans son esprit ce projet de loi, qui a déjà reçu, avec l'approbation de la Chambre des députés, une première approbation du Sénat, vous avez absolument tort, et c'est la commission qui a absolument raison.

Mais, dit-on encore, le décret sera plus expéditif que la loi, et pourquoi ira-t-on plus vite? Où sont les délais nécessaires et les lenteurs obligatoires? Ils se trouvent dans ces formalités tutélaires dont vous ne songez pas plus à vous affranchir que la commission elle-même. Vous devrez consulter les conseils municipaux, les conseils de l'arrondissement et du département; puis, tous ces avis obtenus, vous réunirez la commission spéciale. Voilà les délais, longs mais inévitables, et quand ils sont épuisés, que l'affaire est complètement instruite, le dossier patiemment constitué, il n'y aura plus qu'une décision à prendre; le parlement peut la prendre en temps utile, tout aussi bien que le conseil d'Etat; vous n'avez qu'à examiner ce qui se passe pour toutes les lois de chemins de fer.

Certes, je regrette que M. le ministre des travaux publics ne soit pas ici; il vous dirait qu'il est impossible d'aller plus vite et de mettre à l'examen des nombreux projets de chemins de fer qui nous sont adressés à chaque instant une plus complète bonne volonté et une plus grande rapidité. Non, nous ne retardons jamais, nous n'entravons pas l'action de l'administration.

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Je sais bien qu'au fond vous êtes dans les errements des lois de 1860 et de 1864. Cependant, ces lois, que leurs auteurs eux-mêmes qualifiaient de lois d'essai, devraient inspirer quelque méfiance. A l'époque où elles ont été rendues, est-ce que les décrets n'étaient pas de droit public? Est-ce que tous les pouvoirs du parlement n'avaient pas été confisqués? Ce n'est pas là, j'imagine, que vous voulez nous ramener? On dit encore: Dans un cas d'urgence, nous ne pourrons pas procéder en temps utile aux travaux nécessaires, c'est une erreur que je ne puis pas laisser passer sans protestation. De deux choses l'une ou vous remplirez les formalités obligatoires, et vous prendrez patiemment l'avis de tous les intéressés, et alors, je vous le répète, les délais seront à peu près les mêmes; ou bien vous vous trouverez en face d'une nécessité imprévue, c'est un torrent qui se grossit inopinément et cause des ravages, il y a des routes menacées, des villages compromis, et, dans ce cas, vous agirez de suite, sans recourir à la loi, au décret. Quand vous viendrez, après avoir sauvé des habitations, des routes,

demander au parlement un bill d'indemnité pour avoir méconnu la règle, il vous l'accordera et vous félicitera de votre énergique initiative. Dans l'un et l'autre cas, la situation est la même.

En effet, en dehors de toutes ces raisons, que j'appellerais presque des raisons techniques, spéciales, empruntées à la loi, il y a des considérations morales qui dominent de beaucoup la question. Jusqu'à présent vous n'avez pas eu pour auxiliaires les habitants des montagnes; vous les avez presque toujours trouvés hostiles. Je ne dirai pas qu'ils se sont mis en rébellion ouverte, ils ne le peuvent et ne le veulent pas; mais enfin, ils n'ont jamais été bienveillants pour votre œuvre.

Cette situation doit cesser. Il faut que l'administration des forêts s'arrange pour avoir près d'elle, comme auxiliaires dévoués, toutes ces populations. Il ne faut pas qu'elles puissent dire, comme elles l'ont fait jusqu'à présent, qu'elles payent pour la plaine, que ce sont elles qui supportent tout le fardeau des malheurs communs, que la plaine a contribué comme elles à cette dégradation des montagnes en y envoyant de nombreux troupeaux; car enfin la montagne toute seule n'aurait pas pu, par ses troupeaux, causer tant de ravages. Elle est obligée de nourrir les troupeaux, de les abriter pendant de longs mois d'hiver, et ceci en limite singulièrement le nombre.

Les communes pastorales ne sauraient posséder assez de moutons pour dégrader la montagne. C'est la plaine, dans ce cas, qui a été la cause de la dégradation des terrains; ce sont en réalité les immenses troupeaux transhumants de la Crau et de la Provence qui ont produit des ravages auxquels nous voulons remédier.

Les habitants de la montagne n'ont-ils pas dès lors le droit de vous dire qu'ils payent pour tous, qu'en vue de sauver la plaine, comme la montagne, ils subissent tous les sacrifices; c'est à eux seuls qu'on prend les terrains, c'est sur eux que l'administration agit, et, ajoutent-ils tout bas, sévit. Croyezvous qu'à ce point de vue, l'alternative de la loi ou du décret soit chose indifférente? Croyez-vous que ces humbles pasteurs des montagnes se rendent bien compte de notre organisation politique, sachent, au fond, ce que c'est que le conseil d'Etat, et combien par ses lumières, sa compétence, son indépendance, il mérite le respect? Non, pour eux le conseil d'Etat est un bureau, ses décisions un acte, les bureaux de Paris, où ils n'ont été ni représentés, ni défendus, et contre les décisions desquels ils n'ont aucun moyen de réagir, d'où il résulte qu'ils se soumettent, mais à contre-cœur, et restent vaincus, mais non convaincus.

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Avec la loi, il n'en est pas de même; la loi a été discutée publiquement; leurs représentants ont pris part à la discussion, et quand elle est rendue, ils s'inclinent, parce que leurs intérêts ont été protégés. (C'est évident! très bien!)

Ainsi, messieurs, à ce point de vue, la commission, malgré son vif désir de rester en complet accord avec le gouvernement, n'a pas voulu céder, et elle persiste à soutenir devant vous que c'est la loi qui doit déclarer l'utilité publique. Voilà pour les périmètres obligatoires.

Pour les autres, la situation change, mais, je ne crains pas de le dire, les

dispositions du projet de loi sur ce point sont encore moins heureuses. L'occupation temporaire n'est pas nouvelle, en fait d'exécution de travaux; elle a ses règles; je conviens qu'elle pourrait souvent étre mieux faite; que cette législation, dont le point de départ est l'ordonnance de 1755, qui a été remaniée en 1790, en l'an VIII et plus tard encore, est une législation passablement confuse.

Mais les deux défauts qu'on peut lui reprocher sont parfaitement évités dans le travail de la commission ce sont, d'une part, l'arbitraire dans la désignation des terrains qui doivent être occupés; d'autre part, l'arbitraire, plus grand encore, dans la désignation de l'expert qui est forcément l'ingénieur en chef. Mais ces défauts peuvent être aisément corrigés et le sont dans le projet de la commission.

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Dans le projet du gouvernement, l'affaire instruite, on fait intervenir le conseil d'Etat, qui fixe le périmètre; mais est-ce bien en vue seulement des besoins immédiats? L'administration ne.cherche-t-elle pas à se pourvoir de terrains en vue des besoins ultérieurs? La loi ne le dit pas ; mais l'exposé des motifs, à la page 14, le fait clairement comprendre. On veut, pour n'avoir plus à y revenir, prendre tous les terrains qui paraissent devoir être soumis au régime de la protection. La preuve, c'est que l'on distingue, au point de vue de l'indemnité, deux cas ou bien la mise en défens sera effective, et alors on paye le plein de l'indemnité, ou bien le parcours sera toléré, et alors on ne devra rien. Qu'est-ce à dire, sinon que l'on veut soumettre au régime de la protection des terrains qui n'ont pas besoin d'être protégés, et que l'on détient par ce moyen la plus grande partie des propriétés communales. Ce n'est pas tout, dans la loi qu'on nous présente, on ne trouve pas même ces salutaires restrictions que les lois précédentes mettaient au pouvoir de l'administration. Si l'on prend l'article 10 de la loi de 1860, l'article 4 de la loi de 1861, on voit qu'ils restreignent le droit de l'administration. Les périmètres sont désignés; mais dans l'une des lois, l'article 10 prescrit de ne pas occuper à la fois plus du vingtième du terrain, et l'article 4 de l'autre, plus du quart du terrain, sous réserve, bien entendu, d'unc entente avec les communes intéressées. Ici rien de semblable. On exproprie, on occupe en leur entier chacun des deux périmètres. Mais pour combien de temps? Ce point encore est à considérer, et la loi est muette. On occupe donc les terrains pour une période indéfinie. Quand les rendra-t-on à leurs propriétaires? - La loi est encore muette, aucun délai n'est fixé; mais le rapport fait connaître qu'on les rendra quand le conservateur, agissant ici comme il agit pour les forêts domaniales, soumises à des droits de parcours, déclarera que la défensabilité existe, c'est-à-dire que les terrains n'ont plus besoin d'être protégés. Cette déclaration, il la fera quand il le voudra. Son pouvoir à cet endroit est discrétionnaire; toutefois, il pourra y avoir appel au conseil de préfecture. C'est le seul frein à son omnipotence. Est-ce suffisant? Mais je ne veux faire à cet égard qu'une seule observation. Comment l'appel se fera-t il? Le conservateur se sera borné tout simplement à ne rien faire, à ne pas prononcer la défensabilité, comment agira-t-on? De quoi fera-t-on appel? En réalité, les terrains seront occupés pendant tout le temps que l'ad

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ministration jugera convenable de le faire. Dans tout ceci, soit qu'il s'agisse de l'étendue des périmètres de protection, soit qu'il s'agisse de la durée d'occupation, on entrevoit des possibilités d'arbitraire dont la commission a été vivement frappée.

Mais allons plus loin. Il nous a été dit, et le rapport en porte la trace, qu'on faisait aux habitants des montagnes une situation exceptionnelle. La vérité, c'est que maintenant on les paye, tandis qu'autrefois on ne les payait pas. En vertu des lois de 1860 et de 1864, on prenait les terrains des communes, on y faisait des travaux ; puis on disait aux propriétaires Réglons, nos comptes. J'ai dépensé, en capital et intérêts, une somme de tant. Si vous pouvez me la rembourser, je vous rends vos terrains; sinon, je continue à les occuper. Cependant si vous voulez m'en abandonner en toute propriété une moitié, je consentirai à vous restituer l'autre.

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Je conviens que la loi proposée est réellement plus équitable. Cette prise de possession dont je ne connais pas d'équivalent dans la législation fran-, çaise, n'existera plus. On accordera une indemnité pour l'occupation. temporaire, mais comment sera-t-elle fixée? Le conseil d'Etat, aux termes de l'article 2, la règle, s'il n'y a pas contestation. D'abord quand le périmètre n'est pas lui-même fixé, quand il est encore en discussion je ne m'explique pas comment et par quelles négociations prématurées on a pu se mettre d'accord. Comment! il y a un périmètre qui n'est pas défini, qui n'est pas légalement décidé, et vous êtes entrés en négociations; vos négociations ont abouti, vous êtes d'accord! Le conseil d'Etat fixe l'indemnité quand il n'y a pas contestation. Mais, en vérité, pourquoi prend-il la peine de la fixer en pareil cas? Les parties sont d'accord. Il n'a qu'à laisser les choses suivre leur cours et ne pas les troubler. Au fond, cette inexplicable disposition ne représente pas la pensée réelle de l'administration. Elle a dû être ajoutée après coup. Le conseil d'Etat fixe l'indemnité quand même, voilà le vrai j'en trouve la preuve dans l'article 5, où il est dit que l'Etat payera annuellement aux ayants droit l'indemnité fixée par le décret déclaratif d'utilité publique. J'en trouve encore la preuve à la page 14 du rapport où il est dit que l'administration exécutera gratuitement les travaux sur les terrains mis en défens, sans que personne puisse s'y opposer et réclamer d'autre indemnité que celle prévue par la mise en défens. Par conséquent, dans tous les cas, il paraît certain que le conseil d'Etat fixera l'indemnité. Pour la première fois, nous voyons dans nos lois cette singularité, que le pouvoir qui édicte le principe de l'indemnité est, en même temps, appelé à régler l'application de la règle qu'il a faite.. Voyez les suites, les conséquences formidables de cette dérogation aux principes de notre droit et de la justice ! Je ne comprends pas qu'elles n'aient pas frappé tous ceux qui ont étudié cette loi.

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Comment le conseil d'Etat peut-il être assez au courant de la situation de chacun pour fixer équitablement cette indemnité? Car enfin, le même terrain, ayant une certaine valeur intrinsèque, prend une valeur relative différente, suivant qu'il est près ou loin de l'habitation, suivant qu'il est rattaché à un domaine plus ou moins étendu; et souvent la valeur relative l'emporte

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