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être mise en demeure de l'exécuter elle-même avant qu'on puisse exercer contre elle aucune mesure de contrainte.

Pour les obligations civiles des mieux établies, une mise en demeure est nécessaire à l'effet de justifier une demande de dommages et intérêts (art. 1146 du Code civil.) Elle l'est également pour faire prononcer la résolution d'un contrat (art. 1184), pour permettre l'application d'une clause pénale (art. 1230); en un mot pour justifier toutes les mesures de rigueur; et, lors même qu'on est armé d'un titre exécutoire contre son créancier, on ne peut arriver à porter la main sur ses biens qu'après un commandement dont les règles sont tracées pour les meubles par l'article 583, et pour les immeubles par l'article 663 du Code de procédure civile.

En matière administrative, la liberté des personnes et le droit de propriété ne sont pas moins respectés. Il n'en est pas ainsi seulement dans le cas où l'utilité générale réclame le sacrifice de la propriété particulière; mais encore toutes les fois qu'une obligation quelconque est imposée à un propriétaire à raison de l'intérêt public. En toutes circonstances, le conseil d'Etat et la cour de cassation ont décidé que l'administration ne peut se substituer à un particulier pour l'exécution de l'obligation qui lui incombe, qu'après qu'il a été mis en demeure de l'exécuter lui-même. C'est ce qui a lieu notamment pour les obligations de curage, de voirie, etc. (voir, entre autres, les arrêts du conseil d'Etat des 18 janvier 1851, 24 avril 1865, 6 mars 1869, 7 août 1874, 6 mars 1856, 10 mars et 27 avril 1870).

A supposer que le préfet pût faire procéder à la destruction, ou plutôt à la simple réduction du gibier dans un bois, cette réduction constituerait avant tout, pour le propriétaire de ce bois, une obligation, et il ne s'agirait pour l'administration que de se substituer à lui pour l'accomplissement de cette obligation. Or, une telle substitution ne pourrait avoir lieu qu'après que aurait adressé au propriétaire une mise en demeure d'avoir à l'accomplir luimême.

l'on

Pour la destruction du gibier par voie de battues, l'administration fait occuper la propriété privée, elle dépossède pour un ou plusieurs jours le propriétaire, et elle lui rend són bien, au point de vue de la conservation du gibier, dans l'état où il lui plaît de le laisser. Un tel acte, à supposer qu'il soit admis par la loi, ne l'est certainement pas sans aucune espèce de garânties, et sans qu'il soit permis au propriétaire de le prévenir en se mettant luimême en règle avec les prescriptions légales.

On aperçoit au surplus trop facilement les inconvénients du défaut de mise en demeure. Les battues administratives n'ont jamais lieu sans qu'il en résulte des dégâts matériels pour les bois, et des dommages non moins graves pour le gibier en général. Le danger auquel les bois sont exposés explique la prescription formelle de la loi qui veut qu'aucune battue ne puisse s'exécuter sans l'assistance de l'agent forestier; et, quant au gibier en général, ce ne sont pas seulement les chiens qui, à certaines époques surtout, détruisent plus de petit gibier qu'ils n'en font abattre de gros; mais ce sont les tireurs euxmêmes qui, dans l'entraînement des battues publiques, manquent rarement d'enfreindre les règles tracées, et comme cela est arrivé précisément dans

l'espèce, abattent de tout autres animaux que ceux qui sont désignés dans l'arrêté préfectoral. On conçoit donc que le propriétaire ait le plus grand intérêt à pouvoir faire exécuter lui-même, sous sa surveillance et par des hommes choisis, les battues qui peuvent être nécessaires. La formalité de la mise en demeure avait du reste été remplie jusqu'à ce jour par les préfets qui s'étaient crus autorisés à prescrire des battues relativement à certains gibiers, et cette formalité avait été toujours considérée comme la condition sine quâ non de la légalité des arrêtés intervenus.

ARRÊT :

LE CONSEIL D'ETAT: Considérant que pour demander l'annulation de l'arrêté, en date du 5 avril 1880, par lequel le préfet d'Indre-et-Loire a autorisé des battues pour la destruction des sangliers, cerfs, biches et lapins, sur le territoire de la commune de Bety, le sieur Gravier se fonde sur ce que lesdits animaux ne sont pas des animaux nuisibles dans le sens de l'arrêté du 19 pluviose an V;

Considérant que si le sanglier n'est pas un animal essentiellement nuisible, il peut le devenir par suite de circonstances particulières, notamment de sa trop grande multiplication dans un pays; qu'ainsi il appartenait au préfet, en se conformant aux prescriptions des articles 3, 4 et 5 de l'arrêté du 19 pluviôse an V, et de l'ordonnance du 20 août 1814, d'autoriser des battues pour la destruction des sangliers qui, d'ailleurs, ont été désignés comme animaux malfaisants ou nuisibles par un arrêté du préfet d'Indre-et-Loire, en date du 1er mars 1863 pris en exécution du paragraphe 3 de l'article 9 de la loi du 3 mai 1844;

Mais considérant que les cerfs, biches et lapins qui ont été également désignés par le même arrêté, ne rentrent pas dans la catégorie des animaux nuisibles, dans le sens de l'arrêté du 19 pluviôse an V; que si l'arrêté préfectoral du 1er mars 1863 a eu pour effet d'autoriser le propriétaire, possesseur ou fermier, à détruire ces animaux en tout temps sur ses terres, il n'a pu conférer au préfet le droit d'ordonner que les cerfs, biches et lapins seraient détruits au moyen des battues prévues par l'arrêté du 19 pluviôse an V ; << Décide :

« Art. 1or. L'arrêté ci-dessus visé du préfet du département d'Indre-etLoire, en date du 5 avril 1880, est annulé en tant qu'il autorise des battues pour la destruction des cerfs, biches et lapins.

« Art. 2. Le surplus des conclusions du sieur Gravier est rejeté. »

Du 1er avril 1881. - Conseil d'Etat.

MM. Laferrière, prés.; de Rouville,

rapp.; Margerie, comm. du gouv.; pl. Me Fosse, av. Du même jour, arrêt identique, aff. Schneider.

(Le Droit.)

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Chasse en temps prohibé, louveteaux

Le fait d'avoir chassé quatre louveteaux qui venaitre aperçus près d'un village, d'en avoir tué deux et blessé un træ, dans une forêt appartenant à un particulier, et avec le consent de son propriétaire, ne constitue pas le délit de chasse puni parrticles 12 et 16, loi du 3 mai 1844 (1).

(Ministère public c. Chauveau.)

L'existence du délit de chasse avait été reconnue par uement du Tribunal de Montfort, du 22 octobre 1880, ainsi conçu :

que

LE TRIBUNAL: Attendu Chauveau reconnaît avoj 23 août 1880, chassé pendant plusieurs heures et avec sept chiens, qulouveteaux qui venaient d'être aperçus près du village de Folle-Pensée, voir tué deux et blessé le troisième ; Attendu que le mode de chasse, the Chauveau reconnaît l'avoir exercé, constitue un délit de chasse en ts prohibé, puisqu'il n'était autorisé ni par l'article 9 de la loi du 3 mai 1 qui reconnaît au propriétaire ou fermier le droit de repousser ou détruire des armes à feu les bêtes fauves qui porteraient dommage à ses propriétés par l'arrêté préfectoral du 23 juillet 1877, qui permet au propriétaire pesseur ou fermier de détruire les animaux nuisibles sur ses terres et rtes avec des pièges Par ces motifs; autres que des lacets; Vu lesicles 12 et 16 de la loi du 3 mai 1844, 52 du Code pénal, 194 du Code dtruction criminelle; Le Tribunal déclare François Chauveau coupablu délit de chasse en temps prohibé qui lui est imputé ; Le condamne 50 francs d'amende, enjoint au condamné de déposer au greffe du tribal le fusil dont il était porteur pour commettre le délit, sinon le condamne à payer la valeur,

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fixée

ARRÊT.

LA COUR:

Considérant, en droit, qu'il faut disaguer parmi les animaux malfaisants et nuisibles ceux qui présentent un simple danger pour les récoltes et ceux qui sont redoutables en tous temps pou les personnes et les propriétés; que la destruction de ces derniers intéress la sécurité publique et qu'elle est non seulement autorisée de plein droit a dehors des arrêtés Que celle du préfectoraux, mais prescrite même par des lois spéciles; 10 messidor an V, art. 2, accorde une prime l'indemnité et d'encourage

(1) Avant de connaître l'arrêt de Rennes, quenous rapportons, et dont nous approuvons complètement la doctrine, notre ari M. Puton nous avait envoyé une critique très judicieuse du jugement réforré. Nous reproduisons à la suite de l'arrêt les observations de M. Puton, dont l'pinion a été pleinement adoptée par la Cour.

RÉPERT. DE LÉGISL. FOREST. AOUT 1881

T. IX.

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ment à tyen, pour la destruction d'une louve, d'un loup ou d'un louveteau; ticle 12 de l'ordonnance du 20 août 1814 invite tous les habitants à tuloups sur leurs propriétés ; qu'une instruction ministérielle du 9 jui48 renouvelle ces prescriptions et indique divers moyens de destructiomis et même recommandés pour ce genre d'animaux ; tels que piègespoisonnement, quoique proscrits à l'égard de toute espèce de gibier et de certaines bêtes fauves; Qu'enfin le paragraphe 3 de l'article 9 (oi du 3 mai 1844 sur la police de la chasse, après avoir disposé que lêtés préfectoraux détermineront : les espèces d'animaux malfaisants ou les que le propriétaire, possesseur ou fermier pourra en tout temps détrur ses terres et les conditions de l'exercice de ce droit, sans préjudice dit appartenant au propriétaire ou au fermier de repousser ou de détruireme avec des armes à feu, les bêtes fauves qui porteraient dommages propriétés;

Que cet aidistingue évidemment: 1° les animaux nuisibles que l'on peut détruire un intérêt privé, même en temps prohibé, mais dont l'administration régler et surveiller le temps et le mode de chasse, pour éviter la desion du gibier, à laquelle il pourrait servir de prétexte;2o Ceux que leut et doit détruire en tout temps, même avec des armes à feu, et sans aue autorisation spéciale, en vertu du droit commun qui permet à tout ind de défendre sa personne et sa propriété contre un danger ou un préjudimminent ou actuel (Villequez, Droit de destruction des animaux malfats et nuisibles, p. 134); que les loups spécialement rentrent plus que tous autres dans cette catégorie d'animaux malfaisants ou nuisibles;

Considérant que, principes posés, il est de doctrine et de raison que, pour cette espèce d'anim, le droit de les détruire, découlant d'un intérêt public, appartient non seulent au propriétaire et au fermier, mais aux tiers qui sont implicitement ou tavement chargés d'exercer les mêmes droits et de remplir les mêmes obligns de surveillance; que l'usufruitier, le locataire, le garde du propriétaires enfants du fermier peuvent donc, comme les propriétaires et fermiers x-mêmes, user de la faculté donnée par la dernière disposition de l'article écité ;

En fait : Cousidérant que la pisence des loups et les nombreux dégâts causés par ces animaux étaient ontatés par un arrêté même de M. le préfet d'Ille-etVilaine du 2 août 180, ordonnant deux battues sous la conduite de M. le lieutenant de louveter; que malgré cet arrêté les loups continuaient tellement leurs ravages, qu le 23 août, aucune battue n'ayant encore eu lieu, Chauveau, piqueur des leurs Levesque, propriétaires de la forêt de Paimpont, averti par un de leurs gaides de la présence de trois louvards dans la forêt, crut pouvoir, avec l'autorisation deses maîtres, chasser ces animaux dangereux; qu'il en détruisit deux, et reçu ou va recevoir, pour ce fait, une prime, conformément à la loi; mais consiérant que, pendant qu'il méritait de l'autorité administrative une récompensepour la destruction de deux loups, le même fait motivait contre lui une poursuite du ministère public sur la plainte du

maire de Paimpont et lui faisait encourir une condamnation à 50 francs d'amende pour chasse en temps prohibé; en vertu du jugement dont appel; Considérant qu'en vertu des principes de droit ci-dessus exposés et spécialement du paragraphe 3 de l'article 9 de la loi du 3 mai 1844, Chauveau, piqueur des sieurs Levesque et agissant par leurs ordres, avait le droit, comme les propriétaires eux-mêmes, de détruire les loups sur la forêt de Paimpont qui leur appartient; qu'il est également constant qu'il avait le droit de les chasser, même avec des armes à feu et à plus forte raison en se servant de chiens, sans le secours desquels ce droit et ce devoir de détruire les loups deviendraient impuissants et illusoires; - Considérant dès lors que le fait reproché à Chauveau ne constitue pas le délit prévu et puni par l'article 12 de la la loi du 5 mai 1844, le renvoie des fins de la prévention, sans dépens.

Du 15 décembre 1880.-Cour de Rennes (Ch. corr.).-M. Maitrejean, prés.; M. Arnault de Guéniveau, av. gén. (concl. contr.); pl. Me Grivart, av.

OBSERVATIONS SUR LE JUGEMENT RÉFORMÉ. En fait, quatre jeunes loups avaient été signalés près d'un village contigu à la vaste forêt de Paimpont (Ille-et-Vilaine). Justement ému des dangers que la présence de ces animaux voraces faisait naître pour la population, le propriétaire de la forêt crut de son devoir de donner l'ordre à son piqueur de les détruire. Poursuivi à raison d'une chasse qui avait été effectuée sur le terrain de son maître et qui avait débarrassé le pays d'hôtes dangereux, le piqueur Chauveau fut condamné à 50 francs d'amende et à la confiscation du fusil pour chasse en temps prohibé. Les motifs sur lesquels le Tribunal de Montfort appuie cet étrange jugement sont puisés dans une interprétation fausse, à notre sens, du double droit conféré aux propriétaires par l'article 9 de la loi de 1844.

Nous ne sommes plus, en effet, au temps où Charles IX, dans la célèbre ordonnance de 1560, permettait «seulement à ses sujets de repousser à cris et à jets de pierres toutes bêtes rousses ou noires qu'ils trouveront en dommage dans leurs propriétés, sans toutefois les offenser.»

L'article 15 de la loi du 30 avril 1790, formellement reproduit par l'article 9 de la loi de 1844, reconnaît à tout propriétaire le droit de repousser (ce qui n'a pas de signification) et de détruire (ce qui seul est efficace), par tous moyens et en tout temps, les bêtes fauves ou sauvages qui portent dommage à la propriété. Parallèlement à ce droit, mais d'une façon distincte, le législateur de 1844 a ajouté le droit de détruire même en l'absence de tout dommage, en tout temps et sans permis de chasse, les animaux déclarés nuisibles par le préfet et par les moyens autorisés par lui; or, il n'est pas probable que le préfet d'Ille-et-Vilaine ait omis

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