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est prolongé et qu'il ne flotte pas continuellement; qu'il a en outre pour appendice une cuiller en métal blanc, d'où il tire son nom, et dont le miroitement, qui sert d'appât trompeur au poisson, ne peut se produire que par la marche incessante du bateau; d'où suit que cet engin qui, pour sa manœuvre, exige le concours d'un mode particulier de locomotion, ne peut être assimilé à la ligne flottante à la main de l'homme que permet exceptionnellement, pour la pêche, hors du frai, l'article 5 du 15 avril 1829.

La cause ayant été déférée en appel, la Cour a statué de la manière sui

vante :

LA COUR: Attendu que le législateur n'a pas défini la ligne flottante, dont, aux termes de l'article 5 de la loi du 15 avril 1829, l'emploi est permis dans les rivières navigables ou flottables sans l'autorisation de l'adjudicataire, et qu'il s'en est, à cet égard, rapporté à l'appréciation des Tribunaux qui, dans chaque espèce, doivent statuer d'après la nature et les caractères des engins qui leur sont soumis; - Que, d'après le langage ordinaire, une ligne est réputée flottante lorsqu'elle est tenue à la main, et qu'à la différence de la ligne dormante ou de fond, elle demeure soumise au mouvement du flot et du courant de l'eau ; Qu'il ne résulte pas du procès-verbal dressé le 21 janvier dernier contre les prévenus par le garde-pêche Davet, que la ligne dont ils ont fait emploi s'écarte de ces conditions; Que Dorphin soutient, en effet, sans que le contraire soit établi ou même allégué, qu'il la tenait à la main; qu'il ressort également de ses explications, ainsi que de l'examen de la ligne dont il s'agit, que le morceau de métal, en forme de cuiller, destiné à servir d'appât, ne peut, sous peine d'être rendu inefficace, reposer au fond de l'eau et y rester immobile; Qu'au surplus, la tolérance de l'administration au sujet de cet instrument implique que l'emploi en est inoffensif ; Qu'il peut, en conséquence, être considéré comme une ligne flottante et qu'ainsi la prévention n'est pas fondée; - Par ces motifs, Reçoit l'appel et, réformant le jugement rendu le 25 février 1880 par le Tribunal correctionnel de Chambéry, décharge les sieurs Dorphin et Domenget des condamnations prononcées contre eux et les renvoie des fins de la plainte sans dépens. Du 13 mai 1880. C. de Chambéry (Ch. corr.). - M. Gimelle, prés. (Le Droit.)

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OBSERVATIONS. Le droit de pêche, accessoire du droit de propriété, est exclusif, c'est-à-dire que celui au profit de qui il est établi a la faculté de l'exercer seul et d'empêcher que qui que ce soit ne pêche, dans le cours d'eau qui en est l'objet, avec un engin quelconque. Telle est la règle; mais, à ce principe, l'article 5, § 3, de la loi du 15 avril 1829 apporte une exception, en disposant qu'il est permis à tout individu de pêcher, dans certains cours d'e "eau, à la ligne flottante tenue à la main. Dans la cause qui lui était déférée, le Tribunal, et, après lui, la Cour de Chambéry, avaient à rechercher si les deux inculpés, qui n'étaient ni adjudicataires ni fermiers du droit de pêche sur le lac du Bourget,

avaient été surpris pêchant, en réalité, avec une ligne flottante tenue à la main.

Le Tribunal de Chambéry a décidé que l'engin dont ils avaient fait usage n'était pas une ligne flottante dans le sens de l'article 5, § 3, de la loi du 15 avril 1829, et, en conséquence, les a condamnés, pour infraction au paragraphe 1er dudit article.

La Cour de Chambéry, au contraire, les a renvoyés des poursuites. Nous n'hésitons pas à nous ranger à son avis.

Il n'y avait aucune difficulté, dans l'espèce, au sujet de la seconde condition exigée par le paragraphe 3 de l'article 5 de la loi du 15 avril 1829. Il n'était point établi que les inculpés n'eussent pas tenu leurs lignes à la main; le ministère public ne l'alléguait même pas. Par suite, ils ne pouvaient être condamnés pour n'avoir pas rempli la seconde condition à laquelle est soumis l'exercice de la pêche à la ligne dans les cours d'eau où elle est libre.

Au contraire, la question de savoir si la ligne dont les prévenus avaient été trouvés nantis était flottante, dans le sens du paragraphe 3 de l'article 5 de la loi du 15 avril 1829, pouvait paraître délicate.

Que faut-il entendre par ligne flottante? Aucune disposition de loi n'en donne la définition. C'est donc aux Tribunaux à apprécier, dans chaque espèce, la nature et les circonstances de l'engin employé.

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Nous la définirons: « Celle qui reste contamment soumise au mouvement du flot et au courant de l'eau, et dont l'appât ne reste pas fixé immobile au fond de l'eau sur le passage du poisson.» Elle diffère beaucoup de la ligne de fond, qui n'est point entraînée par le courant de l'eau, mais qui reste fixée au lit de la rivière, au moyen d'un poids quelconque, et devient, dès lors, un piège permanent pour le poisson.

Elle diffère surtout de la ligne dormante, qui est garnie de plusieurs hameçons, dont l'immersion s'opère à l'aide d'une pierre ou d'un plomb d'un poids considérable, et que l'on attache le soir au tronc ou aux racines d'un arbre, pour ne la relever ordinairement que le matin.

Cette définition, qu'il convient de donner, selon nous, de la ligne flottante, s'appuie non seulement sur le sens ordinaire des mots, mais encore sur les précédents et sur la jurisprudence. (Voir, notamment, Besançon, 28 novembre 1837; Grenoble, 12 mai 1841; Douai, 27 septembre 1847; Annales forestières, 18501852, p. 274; Dalloz, 1852, II, 54; Paris, 21 mai 1851; Sirey, 1851, II, 333; Dalloz, 1852, II, 54; Palais, 1851, II, 30; Annales forestières,

1850-1852, p. 278; Rouen, 1er aotit 1878; Droit, 13 octobre 1878; Journal criminel, LXXVIII, p. 331; France judiciaire, 1878-1879, 2o partie, p. 77.)

Dans l'affaire soumise au Tribunal et à la Cour de Chambéry, de quelle nature était la ligne employée par les prévenus? Rentraitelle dans les termes de l'article 5, § 3, de la loi du 15 avril 1829 ? Oui, sans aucun doute. Les explications du prévenu Dorphin et l'examen de l'engin dont il s'était servi établissaient que le morceau de métal en forme de cuiller, destiné à servir d'appât, ne pouvait, sous peine d'être rendu inefficace, reposer au fond de l'eau et rester immobile. Cette ligne était donc, en réalité, flottante; par suite, aucun délit n'avait été commis, et il y avait lieu d'acquitter les prévenus.

Les circonstances relevées par le Tribunal de Chambéry ne caractérisent point la ligne de fond. Il importe peu que l'engin de pêche, dit cuiller, soit armé de plombs qui le fassent descendre au fond de l'eau et que son séjour dans l'eau soit prolongé, du moment qu'il ne reste pas immobile sur le lit du cours d'eau. Pour qu'une ligne soit flottante, il n'est pas nécessaire, en effet, qu'elle flotte à la surface de l'eau.

Qu'importe, également, que la ligne ait pour appendice complémentaire une cuiller en métal blanc, qui miroite dans l'eau et sert d'appât trompeur au poisson? Tout ce qui n'est pas défendu est permis.

Le mode particulier de locomotion que l'on emploie pour pêcher à la cuiller ne peut davantage tirer à conséquence et faire de cette ligne une ligne de fond.

C'est donc à bon droit que la Cour de Chambéry a infirmé la décision du Tribunal de cette ville, en acquittant les prévenus. (Voir, dans le sens des observations ci-dessus, l'étude que nous avons publiée sur la pêche à la ligne, Paris, Durand et PedoneLauriel, 1879, nos 1, 2, 3, 4, 6, spécialement le numéro 4, relatif à la pêche à la ruse, qui se rapproche beaucoup de la pêche à la cuiller.)

F. GRIVEL.

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Biens, coupe de bois : 1o, 2o, 3o et 4° vente, possession, martelage, 5. notaire, responsabilité, vente, coupe de bois, notaire, responsabilité, vente, coupe de bois.

La vente d'une coupe de bois achetée pour être abattue, est purement mobilière et ne confère à l'acheteur qu'une action personnelle contre le vendeur (C. civ., 520, 521) (1).

Par suite, dans le cas de ventes faites à deux acquéreurs successifs, au premier, de la coupe du bois, et au second, de la forêt entière (sol et superficie), l'acquéreur de la coupe ne peut se prévaloir de son droit contre l'acquéreur de la forêt, alors même que son contrat aurait une date certaine antérieure à celle de la seconde vente (2).

Il importerait peu aussi que l'acquéreur de la coupe eût été mis en

(1 et 2) Il est admis en jurisprudence et en doctrine que la vente d'une coupe de bois est une vente mobilière, parce qu'elle a précisément pour but de faire cesser l'adhérence des arbres au sol de la forêt. A partir de la vente, les arbres sont meubles par destination, en attendant que l'abatage les fasse meubles par nature. Voir les arrêts cités dans notre Code civil annoté, art. 521, nos 7 et suiv., et notamment Req., 21 juin 1820, rapporté Jur. gén., vo BIENS, no 40; Demolombe, Distinction des biens, t. Ier, nos 160 et suiv.; Aubry et Rau, Cours de droit civil français, 4o édit., t. II, § 164, p. 10; Laurent, Principes du droit civil, t. V, no 431. On doit également tenir pour certain qu'une telle vente ne confère à l'acquéreur qu'un droit personnel, qu'une simple créance contre le vendeur. Sur quoi porterait, en effet, un droit réel? Sur les arbres considérés comme adhérents au sol, comme faisant partie intégrante de la forêt? Non, car les parties n'ont point entendu vendre et acheter la propriété d'une portion quelconque de la forêt, mais bien des arbres destinés à être abattus; et c'est pourquoi le droit de l'acquéreur est, ainsi qu'il vient d'être dit, purement mobilier. Sur les arbres considérés comme séparés du sol? Pas davantage; car l'effet ne pouvant précéder la cause, la propriété de l'acquéreur sur les arbres considérés à ce point de vue ne naîtra qu'au moment où ils seront séparés du sol par l'abatage. Dans l'intervalle de la vente à l'exploitation, l'acquéreur ne peut donc être investi que d'un droit personnel en vertu duquel il peut contraindre le vendeur à lui laisser exploiter la coupe. Si telle est la nature du droit que la vente de la coupe confère à l'acquéreur, il faut en conclure, avec l'arrêt rapporté, que ce droit n'est pas opposable à celui qui a postérieurement acquis du même vendeur la forêt elle-même, sol et superficie. C'est, en effet, un principe élémentaire de notre droit que, sauf les rares exceptions résultant de dispositions formelles de la loi (Code civ., 1743 et 2091), celui qui n'est investi que d'un droit personnel, c'est-à-dire le créancier, ne peut l'exercer que contre la personne obligée à la prestation, c'est-à-dire contre le débiteur, et que spécialement les ayants cause à titre particulier du vendeur d'un immeuble ne sont pas tenus des obligations personnelles qu'il a pu contracter relativement à cet immeuble. Voir conf. Demolombe, op. cit., t. Ier, nos 183 et suiv.; Laurent, op. cit., t. V, no 432.

L'exactitude de cette solution a cependant été contestée. On a prétendu que le droit de l'acquéreur de la coupe n'est pas un droit mobilier personnel, mais

possession effective antérieurement à la vente consentie à l'acquéreur de la forêt (C. civ., 1141; rés. dans les motifs) (1).

En tout cas, le martelage ne peut pas être considéré comme une mise en possession de l'acheteur de la coupe, alors qu'il a été accompli dans des conditions telles que les tiers ont dû y voir plutôt une opération préliminaire de la vente de la coupe que de la prise en possession de la coupe déjà vendue (2).

un droit réel conditionnel. Par l'effet de la vente, l'acquéreur, a-t-on dit, devient propriétaire de la coupe sous la condition que cette coupe sera faite; il est donc investi dès ce jour même d'un véritable droit de propriété qui, pour être conditionnel, n'en est pas moins opposable à l'acquéreur de la forêt. Cette opinion doit être rejetée; elle repose sur une confusion de mots, sur une pure équivoque. Personne n'ignore que le mot condition comporte plusieurs acceptions; que, notamment, tantôt il signifie la condition dont il est parlé dans les articles 1168 et suivants du Code civil, qui a pour caractère propre d'être un événement futur et incertain et pour effet essentiel de rétroagir au jour du contrat, et tantôt il est pris dans le sens de clause et désigne les divers éléments, les divers modes, exprimés ou tacites, de la convention. « Il est des conventions ou dispositions, disent MM. Aubry et Rau, op. cit., t. IV, § 302, p. 69, qui, d'après leur nature ou leur objet, supposent nécessairement l'existence ou la réalisation ultérieure de certains faits. Ces faits ne constituent pas de véritables conditions, alors même qu'ils auraient été expressément indiqués comme telles. » Voir aussi Larombière, Théorie et Pratique les obligations, t. Ier, art. 1168, no 1; Demolombe, Traité des contrats, t. II, no 278.- Et maintenant, dans laquelle de ces acceptions prend-on le mot condition, lorsqu'on dit que la vente de la coupe de bois est faite sous la condition que les arbres seront abattus? Çe n'est pas dans le sens qui est donné à ces mots par les articles 1168 et suivants du Code civil car si l'abatage des arbres est un événement futur, il est aussi un événement certain, à la réalisation duquel les deux parties peuvent se contraindre réciproquement. L'exploitation de la coupe n'est donc pas une condition proprement dite apposée à la formation de la vente, elle en est le mode (modus, manière d'être), l'élément essentiel; et si l'on veut parler une langue rigoureusement exacte, ou ne dira pas que les arbres sont vendus sous la condition d'être coupés, on dira qu'ils sont vendus pour être coupés. Il suit de là que la propriété des arbres, acquise à l'acheteur au moment et par l'effet de l'abatage, ne rétroagit pas au moment de la vente; que dans l'intervalle qui s'est écoulé entre la vente et l'exploitation de la coupe, l'acquéreur n'a été investi que d'une simple créance contre son vendeur, et que, par suite, en cas de vente ultérieure de la forêt, le conflit s'engage, non pas, comme on le prétend à tort, entre deux droits réels dont le premier en date doit être préféré au second, mais bien entre un droit personnel et un droit réel, droits de valeur inégale dont le premier s'efface devant le second.

(1 et 2) Il a été jugé que si la même coupe de bois a été successivement vendue à deux personnes, la propriété en est acquise, d'après les termes de l'article 1141 du Code civil, à celui des deux acheteurs qui, le premier, en a eu, de bonne foi, la possession réelle et publique, bien que son titre soit postérieur en date (Req., 21 juin 1820, Jur. gén., vo BIENS, no 40). L'arrêt rapporté, dans les motifs que reproduit la proposition ci-dessus formulée, refuse d'étendre cette solution au cas où le débat s'établit, non plus entre deux acquéreurs successifs de

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