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Attendu que les eaux d'une rivière non navigable ni flottable et le lit qui les porte, rentrant dans la classe des choses qui, d'après l'article 714 du Code civil, n'appartiennent à personne, dont l'usage est commun à tous et dont la jouissance est réglée par les lois de police, il suit de là que le lit d'un cours d'eau non navigable ni flottable n'est pas susceptible d'appropriation privée, et ne peut d'ailleurs être, de la part d'un particulier, l'objet d'une revendication dans les termes de l'article 182; Que les prévenus sont ainsi dans l'impossibilité de remplir la première condition imposée par cet article; Attendu en outre que l'usage commun du cours d'eau ne s'étend à tous les avantages qu'il peut procurer, réservés pour le plus grand nombre, aux riverains, ni aux productions utiles de son lit que les lois n'abandonnent pas au premier occupant; - Qu'il est certain que la qualité de res nullius, attribuée par les prévenus au sol sur lequel la contravention aurait été commise, même si elle était reconnue, contrairement aux prétentions de l'administration forestière, n'ôterait pas au fait son caractère délictueux ;- Que, dès lors, les prévenus ne sauraient se prévaloir, ni préjudiciellement, ni comme moyen de défense, de ce que les arbres que l'un d'eux s'est indûment appropriés seraient excrus sur le lit d'un cours d'eau ; Qu'il faut par suite reconnaître que c'est à tort qu'un sursis a été ordonné par les premiers juges;

Sur le moyen tiré du prétendu défaut de qualité de l'administration des forêts:

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- Attendu qu'il n'est pas contesté, qu'il est d'ailleurs établi tant par le procès-verbal que par les autres documents de la cause, que la parcelle dont s'agit est comprise dans le périmètre de la forêt communale d'Ollioules soumise au régime forestier; Que cette circonstance suffit pour investir l'administration forestière des droits qui lui sont attribués par l'article 159 du Code forestier; - Que permettre aux prévenus de dénier, sans titres qui leur soient personnels, le droit de la commune d'Ollioules sur un point déterminé de la forêt, ce serait en réalité intervertir les rôles tels qu'ils ont été réglés par l'article 182 et rejeter sur la commune la preuve dont la charge doit peser sur les prévenus;

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Sur la demande d'un nouveau renvoi : Attendu que plusieurs renvois ont déjà été ordonnés, pendant lesquels auraient pu se produire toutes les interventions nécessaires; Que la délimitation du lit du cours d'eau à laquelle il est fait allusion dans une dépêche ministérielle lue à l'audience, dans le cas où elle viendrait à être effectuée, serait absolument sans influence sur la décision à intervenir, puisque, d'après la jurisprudence du conseil d'Etat, les préfets, en prenant les mesures nécessaires pour assurer le libre écoulement des eaux, ne peuvent ni préjuger ni modifier les droits des parties intéressées sur le lit et les productions;

Au fond:

En ce qui touche Aime:

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seul auteur de la contravention;

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Attendu que ce prévenu est le véritable et le Qu'il n'allègue pas même avoir reçu de ses chefs l'ordre de couper les arbres, mais prétend seulement avoir agi en vertu d'instructions générales dont il a méconnu le sens et la portée, ainsi que l'ont déjà reconnu les premiers juges; Qu'il n'existe aucun arrêté du préfet du Var prescrivant le curage du ravin de la Reppe;

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Qu'il s'agit

d'une matière dans laquelle la bonne foi du prévenu et l'absence de sa part de toute intention coupable ne peuvent être prises en considération; Qu'Aime doit dès lors être condamné à l'amende et à l'indemnité de restitution réclamée contre lui, sans qu'il y ait lieu d'accorder à la commune des dommages-intérêts spéciaux ;

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En ce qui touche Ferlin: Attendu qu'il n'est poursuivi que comme civilement responsable des faits imputés à Aime; Qu'il est résulté des débats, que s'il a interprété les instructions des ponts et chaussées ainsi que l'a fait son subordonné, il n'a néanmoins donné à celui-ci aucun ordre direct; Que dès lors sa responsabilité particulière n'est pas engagée;

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Par ces motifs, La Cour, sans s'arrêter aux exceptions des prévenus, dont ils sont démis et déboutés ; Ayant tel égard que de raison à l'appel de l'administration des forêts; Déclare Aime convaincu d'avoir coupé à la hache dans la forêt communale d'Ollioules, quartier de la Barre de Taillant, dans le courant du mois d'août 1880, quatre ormes vifs mesurant, à mètre du sol, deux 20 centimètres de circonférence, et deux 40 centimètres;

En réparation, le condamne à une amende de 13 fr. 60 et au payement de 1 fr. 50 à titre de restitution et à tous les dépens de première instance et d'appel; fixe à dix jours la durée de la contrainte par corps, sans dommagesintérêts;

Dit qu'il n'y a lieu de déclarer Ferlin civilement responsable des faits d'Aime, le renvoie en conséquence de la poursuite sans dépens;

Charge le procureur général, en ce qui le concerne, de l'exécution du présent arrêt.

Du 15 juillet 1881.

Cour d'Aix (Ch. corr.). · MM. Madon, pr.; Grassi, av. gén. (concl. conf.); pl., M. de Cabrens, insp., pour l'administration des forêts; Me Benj. Abram, av., pour les prévenus.

OBSERVATIONS.

- L'arrêt rapporté ne tranche pas une question très importante pour de nombreuses communes des départements du Midi; c'est celle de savoir si les lits des torrents doivent être assimilés aux cours d'eau rentrant dans la catégorie des biens qui n'appartiennent à personne, dont l'usage est commun à tous et qui sont qualifiés res nullius. A notre avis, la solution dépend d'une circonstance de fait. Le torrent est-il alimenté par de véritables sources, quand même il serait à sec pendant l'été, alors que ces sources tarissent, c'est un véritable cours d'eau dont le sol et les rives sont res nullius. Si, au contraire, le torrent n'est alimentó que par les eaux pluviales provenant d'écoulements rapides ou d'infiltrations qui ne peuvent être considérées comme de véritables sources, ce n'est rien autre chose qu'un terrain accidentellement submergé, qui ne cesse pas d'appartenir au propriétaire, quel qu'il soit, du domaine dont ce terrain fait partie. Dans l'espèce,

la Cour n'avait pas à trancher cette difficulté, qui ne pouvait être déférée à la juridiction correctionnelle.

Lorsqu'il est certain, en fait, qu'une commune ou un particulier a toujours joui des arbres qui se trouvent sur les rives d'un torrent, il y aurait un moyen bien simple de repousser la prétention de l'administration des ponts et chaussées, si elle venait à se produire dans les conditions de l'espèce actuelle. Il suffirait d'intenter, contre le préfet, une action possessoire, qui serait nécessairement accueillie et qui éviterait la recherche de la juridiction compétente pour déterminer la nature du terrain litigieux.

A défaut de cette procédure, l'arrêt rapporté établit clairement que l'administration forestière, agissant au correctionnel, est suffisamment armée pour repousser les empiétements analogues à ceux qui se sont produits dans l'espèce. Cet arrêt a établi magistralement qu'un terrain qualifié res nullius ne peut donner lieu à une exception préjudicielle, et nous croirions affaiblir les motifs si remarquables de cette importante décision, en essayant de les justifier.

Deux questions accessoires étaient jointes à la question principale. La première était celle de savoir si le prévenu n'était pas fondé à exciper de sa bonne foi et du défaut d'intention coupable, puisque l'acte incriminé avait été autorisé par son supérieur hiérarchique. Dans l'espèce, la bonne foi était incontestable; mais, en matière forestière, il est de jurisprudence constante (Dalloz, Jur. gén., vo FORÊTS, nos 317 et suiv.) que les Tribunaux n'ont jamais à examiner l'intention du prévenu. Il n'y avait donc pas lieu de s'arrêter à ce moyen.

La seconde question accessoire était celle de la responsabilité du conducteur des ponts et chaussées qui avait autorisé le chef cantonnier à couper et à s'approprier les arbres dont il s'agit. Sans aucun doute, cette autorisation ne pouvait couvrir le prévenu. En droit strict, nul n'est censé ignorer la loi, et le cantonnier aurait dû savoir qu'aucun de ses chefs n'avait qualité pour s'immiscer, en quoi que ce soit, dans le service de l'administration des forêts. Toutefois, quelque illégale et mal fondée qu'ait pu être l'autorisation donnée par le conducteur en chef, elle ne rentrait dans aucun des cas ni de complicité légale, ni même de responsabilité civile, puisqu'aucun ordre n'avait été donné.

E. MEAUME.

N° 88.

CIRC. DE L'ADMINIST. DES FORÊTS.

16 juillet 1880, no 269.

Instances civiles dirigées contre des préposés pour actes relatifs à leurs fonctions d'officiers de police judiciaire; nécessité de la prise à partie; transmission d'un arrêt de la Cour de cassation du 4 mai 1880 (1).

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MONSIEUR LE CONSERVATEUR, dans un arrêt en date du 4 mai dernier, la Cour de cassation a reconnu que les gardes forestiers ne peuvent être actionnés devant les Tribunaux civils, pour faits accomplis dans leurs fonctions d'officiers de police judiciaire, que par la voie de la prise à partie. (Code de procédure, art. 505 et suiv.) — Tout le personnel ayant intérêt à connaître cet arrêt, qui assure aux préposés une garantie précieuse, je vous en envoie, ci-après, copie. Il est intervenu à l'occasion d'une demande en dommages-intérêts présentée contre quatre gardes par un braconnier dont ceuxci avaient saisi le fusil et le gibier. Instruite dans les formes ordinaires, à l'insu de l'administration, cette action a donné lieu à un jugement de première instance, puis à un arrêt par lequel la Cour d'appel a fait droit en partie aux conclusions du demandeur. Quand les faits sont venus à ma connaissance, cette dernière décision était déjà exécutée et se trouvait définitive à l'égard des préposés condamnés; mais elle pouvait être cassée dans l'intérêt de la loi. Sur la proposition de M. le ministre de l'agriculture et du commerce, elle a été déférée à la censure de la Cour suprême par M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

La Cour de cassation n'a pas, toutefois, été appelée à se prononcer sur la légalité de la saisie du fusil et du gibier; on s'est borné à lui soumettre la question de savoir si la Cour d'appel n'avait pas méconnu les dispositions de la loi en statuant sur l'action dirigée contre les gardes sans que les règles de la prise à partie, qui sont d'ordre public, eussent été observées.

L'arrêt rendu déclarant formellement que les préposés de l'administration ont droit à l'application de ces formes tutélaires, je vous invite à veiller à ce que les gardes et brigadiers sous vos ordres, qui viendraient à être poursuivis civilement pour faits commis en leur qualité d'officiers de police judiciaire, récusent la compétence des Tribunaux ordinaires et se prévalent des dispositions des articles 509 et suivants du Code de procédure civile. Vous voudrez bien, d'ailleurs, si des instances de l'espèce se produisent, m'en informer immédiatement. Recevez, etc.

Le sous-secrétaire d'Etat, président du conseil d'administration,

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Cyprien GIRERD.

ARRÊT. LA COUR: Quï M. le conseiller Paul Pont en son rapport, et M. le procureur général Bertauld en ses conclusions, après en avoir délibéré

(1) La jurisprudence consacrée, en matière forestière, par l'arrêt rapporté à la suite de cette circulaire, est conforme à un arrêt du 14 juin 1876 (Rep. Rev., t. VIII, p. 247, espèce non forestière). Voir nos observations à la suite de cet arrêt, ibid., p. 251.

conformément à la loi ; Vu les articles 505 et suivants du Code de procédure civile sur la prise à partie et l'article 88 de la loi du 27 ventôse an VIII; Attendu que le Tribunal civil de Die et, sur appel, la Cour de Grenoble, ont été saisis d'une demande en dommages-intérêts formée directement par Chichiliane contre les gardes forestiers Loubat, Fiat, Girard et Imbert, à raison d'un fait accompli par ces derniers dans l'exercice de leurs fonctions, à savoir : la saisie du fusil de Chichiliane et du gibier, produit du délit de chasse dont il a été ultérieurement reconnu l'auteur par un jugement devenu définitif du Tribunal de police correctionnelle; que le Tribunal de Die et la Cour d'appel de Grenoble n'ont pu statuer sur l'action directe de Chichiliane, sans supposer, soit que les règles de la prise à partie ont été comprises dans l'abrogation, par le décret du 19 septembre 1870, de l'article 75 de la constitution de l'an VIII et des dispositions des lois ayant pour objet d'entraver les poursuites dirigées contre des fonctionnaires, soit que ces règles, si elles ont subsisté après ledit décret, ne seraient pas applicables aux officiers de police judiciaire ;

Mais attendu, d'une part, qu'en l'absence d'une abrogation formelle et particulière, le décret du 19 septembre 1870, malgré la généralité de ses termes, ne saurait être pris comme ayant supprimé de nos codes toute une procédure prudemment instituée comme une des garanties essentielles de la justice; que, d'ailleurs, cette procédure a pour objet, non d'entraver les poursuites civiles contre les magistrats, mais d'en mieux assurer le jugement au moyen de formes spéciales et de l'institution d'une juridiction d'un ordre plus élevé qui protègent à la fois et la dignité du fonctionnaire et l'intérêt du justiciable; d'une autre part, que les règles de la prise à partie s'appliquent à tous les juges, ainsi qu'il est énoncé en l'article 505 du Code de procédure, et que cette dénomination comprend, avec les juges proprement dits, tous ceux qui, par les fonctions dont ils sont investis, appartiennent à l'ordre judiciaire, soit qu'ils concourent à l'œuvre de la justice comme chargés du ministère public ou de l'instruction, soit qu'ils agissent comme officiers de police judiciaire, ou auxiliaires du ministère public; que, de même qu'au point de vue de la poursuite criminelle ou de l'instruction, les officiers de police judiciaire sont assimilés aux juges par l'article 483 du Code d'instruction criminelle, pour les faits relatifs à leurs fonctions, de même ils doivent leur être assimilés au point de vue de la procédure civile qui règle les actions dirigées contre eux en la même qualité et à raison des mêmes faits; qu'aussi, par application du principe général édicté par l'article 505 du Code de procédure, l'article 358, § 4, du Code d'instruction criminelle les comprend au nombre des autorités contre lesquelles la prise à partie est admise, le cas échéant;

Et attendu, dans l'espèce, que l'action en dommages-intérêts formée par Chichiliane contre Loubat, Fiat, Imbert et Girard, était fondée sur un acte accompli par ces derniers comme officiers de police judiciaire (art. 8 et 9 du Code d'instruction criminelle), lesdits Loubat, Fiat, Imbert et Girard ayant agi en qualité de gardes forestiers; que, dès lors, Chichiliane ne pouvait procéder contre eux que par la voie de la prise à partie; d'où suit qu'en statuant sur l'action directe dudit Chichiliane, la Cour de Grenoble a excédé sa com

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