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APPEL par le ministère public devant la Cour de Caen.

Du 11 avril 1877. Arrêt confirmatif.

Pourvoi en cassation par le procureur général.

M. le conseiller Barbier, chargé du rapport, s'est exprimé dans les termes suivants :

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La question que le pourvoi du procureur général près la Cour de Caen vous offre à résoudre est intéressante et d'une importance pratique incontestable. Et d'abord, précisons nettement le point de fait, tel qu'il résulte des constatations souveraines de l'arrêt attaqué. Bidel a été vu, le 16 janvier 1877, à six heures et demie du soir, sur un chemin d'exploitation qui appartient à son père et traverse le bois de celui-ci; il était alors embusqué avec son fusil et s'apprêtait à tirer sur des pigeons ramiers qui venaient de se poser sur un arbre. Ce fait constitue-t-il une infraction soit à la loi du 3 mai 1844, soit à l'arrêté, pris en exécution de cette loi, par le préfet du Calvados, à la date du 20 mars 1862? Il ne paraît pas douteux que la loi du 3 mai 1844 a soigneusement distingué le droit de chasse et le droit de destruction.

Le droit de chasse est réglementé par la loi elle-même, et l'exercice en est soumis par elle à certaines conditions, dont la première est la possession d'un permis régulier. C'est ainsi que l'article 9 de la loi porte, dans la première partie : « Dans le temps où la chasse est ouverte, le permis donne, à celui qui l'a obtenu, le droit de chasse de jour, à tir et à courre, sur ses propres terres et sur les terres d'autrui avec le consentement de celui à qui le droit de chasse appartient. »

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Quant au droit de destruction, comme il est une sauvegarde de la propriété, et non pas, à vrai dire, l'exercice de la chasse, il appartient à tout propriétaire ou fermier, sans aucune condition de permis et sous cette seule restriction, que l'autorité administrative en déterminera les limites et fixera les conditions de l'exercice de ce droit. Une bête fauve porte-t-elle actuellement un dommage à ma propriété ? J'ai le droit de la repousser ou de la détruire, même avec des armes à feu, et cela sans avoir à justifier d'aucun permis ni d'aucune autorisation résultant d'un arrêté administratif. C'est, à proprement parler, l'exercice du droit de légitime défense (arrêt du 23 juillet 1858 au rapport de M. le conseiller Aug. Moreau, P., 1859, 448. S., 1858 I, 833).

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En dehors de ce cas exceptionnel, il en est bien d'autres où la propriété a besoin d'être protégée contre les atteintes des animaux malfaisants ou nuisibles. C'est dans cette vue que le même article 9 porte en son troisième paragraphe : « Les préfets prendront des arrêtés pour déterminer...

« 1°... 2°... 3o Les espèces d'animaux malfaisants ou nuisibles que le propriétaire, possesseur ou fermier, pourra en tout temps détruire sur ses terres, et les conditions de l'exercice de ce droit. >> Il suit de là que, lorsque le propriétaire ou fermier, dans les conditions déterminées par la loi ou par l'autorité administrative à laquelle la loi a délégué ses pouvoirs, détruit sur ses terres un animal malfaisant ou nuisible, il accomplit non un fait de chasse, mais un acte de destruction légitimé par les besoins de la défense de sa propriété. Aussi n'a-t-il pas besoin de permis de chasse, parce que encore

une fois ce n'est pas de l'exercice de la chasse qu'il s'agit ici, aussi peut-il détruire en tout temps l'animal nuisible.

Dans notre espèce, l'arrêté préfectoral du 20 mars 1862 porte expressément: «Art. 13. La destruction par les propriétaires ou fermiers, ou par leurs ayants droit, des animaux malfaisants ou nuisibles, est autorisée sur leurs terres en tout temps et sans permis. Ces animaux sont, parmi les oiseaux le faucon..., la corneille et le pigeon ramier. Art. 14. L'emploi du fusil pour la destruction des corbeaux, des corneilles et des pigeons ramiers n'est permis que du 1er octobre au 15 février inclusivement. » (Le fait a eu lieu le 16 janvier.) Ceci posé, comment donc les juges du fait auraient-ils été contraints, ainsi que le soutient le pourvoi, à déclarer le défendeur éventuel passible d'une pénalité quelconque ? Avait-il contrevenu à l'arrêté du préfet? Non, car (le pourvoi est obligé de le reconnaître) cet arrêté ne dit pas que la destruction des animaux malfaisants ou nuisibles n'aura pas lieu pendant la nuit. Au contraire, il l'autorise en tout temps, et ce n'est que par une interprétation restrictive de ces derniers mots que le pourvoi attribue à l'arrêté la pensée d'exclure de l'autorisation, générale en ses termes, la destruction pendant le temps de la nuit.

Le préfet, chargé par la loi de déterminer les conditions de l'exercice du droit de destruction, aurait-il pu l'interdire la nuit? La question est au moins douteuse, et la doctrine la tranche par la négative (voir MM. Villequez, Du dr. de destr. des anim. nuis., no 50; Championnière, Manuel du chasseur, p. 64; de Neyremand, Quest. sur la chasse, nos 3 et 58). Mais à supposer que le préfet eût eu le droit d'interdire, pendant la nuit, cette destruction, il ne l'a pas fait, et, sans doute, il n'a pas voulu le faire pour ne pas rendre illusoire le droit de destruction. S'il y a lieu de prévenir les abus que peut occasionner l'affût nocturne, abus dont le pourvoi se préoccupe, l'autorité administrative est armée des moyens de pourvoir à ces nécessités, en réglant l'exercice du droit de destruction; et si, sous prétexte d'exercer ce droit, on se livrait à la chasse pendant la nuit, ce serait là un fait délictueux prévu par la loi, et que les juges sauraient bien atteindre. Mais c'est une pure question de fait, et, dans notre espèce, le fait constaté par l'arrêt est absolument contraire à cette hypothèse. Donc, pas de contravention à l'arrêté du préfet du Calvados.

D'un autre côté, et si Bidel n'a pas enfreint les dispositions de l'article 11 de la loi du 3 mai 1844, par contravention à un arrêté préfectoral, aurait-il enfreint celles de l'article 12 de la même loi, pour avoir chassé pendant la nuit? Mais nous venons de le dire, il s'agit non d'un fait de chasse, mais d'un acte de destruction. L'article 12 est donc inapplicable à l'espèce. Supposons que le destructeur sur sa propriété d'un animal nuisible n'ait pas de permis de chasse (dans l'espèce, le défendeur en avait un), le poursuivrait-on pour avoir chassé sans permis? Evidemment non. Or, ces deux idées sont corrélatives. La chasse ne peut avoir lieu que de jour, et après l'obtention d'un permis. La destruction s'exerce sans permis, en tout temps et même de nuit, en principe général. Vous verrez donc comment vous devrez statuer sur le pourvoi.

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LA COUR :

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ARRÊT.

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Sur l'unique moyen du pourvoi, pris de la fausse interprétation de l'arrêté préfectoral du 20 mars 1862, et, par suite, de la violation des articles 11 et 12 de la loi du 3 mai 1844: Attendu que l'arrêt attaqué constate en fait que le 16 janvier 1877, à six heures et demie du soir, Bidel a été vu sur un terrain appartenant à son père, au moment où, embusqué avec son fusil, il s'apprêtait à tirer des pigeons ramiers qui venaient de se poser sur un arbre; Attendu que l'arrêté pris par le préfet du Calvados, le 20 mars 1862, en exécution de l'article 9, § 3, de la loi du 3 mai 1844, porte: « Art. 13. La destruction, par les propriétaires ou fermiers ou par leurs ayants droit, des animaux, déclarés malfaisants ou nuisibles, est autorisée sur leurs terres en tout temps et sans permis. Ces animaux sont, parmi les oiseaux, la corneille et le pigeon ramier. Art. 14. L'emploi du fusil pour la destruction des corbeaux, des corneilles et des pigeons ramiers n'est permis que du 1er octobre au 15 février inclusivement; » Attendu que des constatations de l'arrêt il résulte que le fait imputé à Bidel était non pas un fait de chasse, ce qui excluait l'application de l'article 12 de la loi de 184 interdisant la chasse pendant la nuit, mais un fait de destruction ou de tentative de destruction d'animaux déclarés malfaisants ou nuisibles; Attendu, en conséquence, que la seule prévention qui pût être retenue contre Bidel, c'était d'avoir contrevenu à un arrêté préfectoral et d'avoir encouru ainsi la pénalité édictée par l'article i de la loi du 3 mai 1844; Attendu que, sans qu'il y ait à rechercher si l'article 9 de ladite loi, qui charge les préfets de prendre des arrêtés pour déterminer les espèces d'animaux malfaisants ou nuisibles, et pour déterminer en même temps les conditions de l'exercice du droit de destruction de ces animaux, confère par là même aux préfets le droit d'interdire cette destruction dans un temps quelconque et notamment la nuit, il est certain que, dans l'espèce, l'arrêté préfectoral du 20 mars 1862 ne contient aucune interdiction de cette nature; que, par suite, Bidel n'a contrevenu à aucune de ses dispositions, et qu'en prononçant le relaxe, l'arrêt attaqué a sainement interprété ledit arrêté et n'a violé aucune disposition légale ; - REJETTE, etc.

Du 9 août 1877. Ch. crim.

MM. de Carnières, prés.; Barbier, rapp.; Lacointa, av. gén. (concl. conf.); Sauvel, av.

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OBSERVATIONS. L'arrêt rapporté est le premier qui ait été rendu sur cette question par la Chambre criminelle. Il n'existait en ce sens qu'un arrêt de Metz du 28 novembre 1867 (Rép. Rev., t. IV, p. 181, Aff. Willemin); mais la doctrine est unanime à reconnaître que le droit de destruction des animaux malfaisants ou nuisibles peut s'exercer pendant la nuit, aussi bien que pendant le jour. En effet, du moment qu'il s'agit de destruction d'animaux nuisibles déclarés tels par un arrêté préfectoral, on peut y pro

céder en temps défendu, en temps de neige et même la nuit. Cette latitude résulte des termes mêmes de l'article 9 de la loi du 3 mai 1844, qui déclare destructibles en tout temps les animaux nuisibles reconnus tels par le préfet.

Toutefois l'exercice du droit de destruction pendant la nuit peut, dans certaines circonstances, servir à dissimuler un véritable fait de chasse. Mais M. de Neyremand (Quest. sur la chasse, 2o édit., p. 63) dit avec raison qu'il y aura toujours là une appréciation de fait, abandonnée au pouvoir discrétionnaire des Tribunaux. S'il leur paraît manifeste que le prévenu n'avait d'autre dessein que celui de défendre sa propriété, ils l'acquitteront. Si, au contraire, il est évident à leurs yeux que le droit n'est invoqué que pour couvrir un fait de chasse, ils condamneront. Voyez conf. Rép. Rev., t. 2, p. 193.

M. de Neyremand examine ensuite quelles sont les circonstances propres à éclairer le juge sur la véritable intention de l'inculpé, et il approuve entièrement la solution donnée par l'arrêt précité de Metz du 27 novembre 1867.

Rappelons ici que le droit de destruction autorisée ne doit pas être confondu avec le droit naturel de repousser et de détruire les animaux qui auraient porté atteinte aux récoltes ou lorsqu'il y aurait péril imminent. Voyez sur ce point les tables de notre tome VII, v° CHASSE, nos 4 et 5.

On remarquera que l'arrêt rapporté laisse sans solution la question de savoir si l'arrêté préfectoral aurait pu apporter une restriction à la faculté légale de détruire, en tout temps les animaux nuisibles. En fait, cette restriction n'existait pas dans l'espèce. C'est ce que constate le jugement de Bayeux confirmé par l'arrêt de Caen. Il paraît néanmoins que la question du pouvoir restrictif des préfets a été soulevée devant la Chambre criminelle; mais elle a refusé de l'examiner (voyez l'arrêt rapporté in fine). On ne peut donc considérer cet arrêt comme confirmatif de la jurisprudence inaugurée par un arrêt de rejet du 30 juillet 1852 aux termes duquel le droit conféré au préfet de suspendre la chasse en temps de neige comprend celui de prohiber pendant ce temps la destruction des animaux nuisibles (Bull. ann. forest. t. VI, p. 47). Cette jurisprudence est vivement critiquée par M. Villequez (Du droit de destruction des animaux malfaisants ou nuisibles, p. 126). M. Villequez appuie sa critique sur la discussion à la Chambre des députés, et son opinion est conforme à celle de tous les auteurs.

Quoi qu'il en soit de ce dissentiment entre la doctrine et la jurisprudence, il reste certain qu'en l'absence de toute restriction, le

droit de destruction peut être exercé la nuit, en temps de neige et dans le temps où la chasse est fermée.

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Chasse à courre, sanglier, chasseurs à pied et armés de fusils,

absence de délit.

La loi du 3 mai 1844 n'ayant défini ni la chasse à courre ni la chasse à tir, les Tribunaux ont un droit souverain d'appréciation, suivant les circonstances, pour déterminer les caractères de chacune de ces chasses.

Spécialement, lorsque, dans une chasse à courre au sanglier, des chasseurs à cheval portent une arme chargée, et que d'autres chasseurs à pied sont également porteurs d'un fusil, cette double circonstance ne saurait convertir la chasse à courre en chasse à tir, alors qu'il n'est point établi que l'animal ait été tiré, et qu'il est démontré que c'est uniquement pour leur défense personnelle que ces chasseurs portaient une arme (1).

(Forêts c. Grammont.)

FAITS.

Le 17 février dernier, M. le comte de Grammont, lieutenant de louveterie dans la Haute-Saône, chassait à courre au sanglier dans la forêt de Cerre-lèsNoroy. Son équipage se composait de dix-huit chiens dressés pour cette chasse et menés par un valet de limiers et un valet de chiens. M. de Grammont était en outre accompagné d'un piqueur qui, comme lui, était à cheval, et de deux chasseurs à pied. Tout le monde, maître, piqueur, valets et chasseurs, portait chacun un fusil chargé et armé. La chasse était commencée depuis assez longtemps quand un garde forestier dressa un procès-verbal qui se terminait ainsi : «La chasse exécutée par M. le comte de Grammont et les dénommés ci-contre que M. de Grammont a prétendu être une chasse à courre, était absolument une chasse à tir aux chiens courants, attendu que ces messieurs se plaçaient sur les lignes et chemins au-devant et aux endroits par où ils jugeaient que le sanglier pourrait passer, tenant leurs fusils armés et qu'il n'y avait pas d'autorisation pour procéder à des battues. »

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En conséquence de ce procès-verbal, M. de Grammont, ses deux cochasseurs, son piqueur et ses deux valets furent cités, à la requête de l'admininistration forestière, devant le Tribunal correctionnel de Vesoul, sous la prévention d'avoir chassé à tir, alors que cette chasse était close depuis le 1er février.

(1) Il n'est pas à notre connaissance que le jugement rapporté ait été déféré à la Cour d'appel.

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