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je puis tout dire à cette heure à votre majesté. J'avais fait un serment, un serment impie, sacrilège; mais Dieu m'en délie maintenant. Reine, reine, laissez-moi m'euivrer de votre vue sans qu'aucune pensée pénible vienne m'en détacher. Vous vivrez! vous vivrez! Non, ces traits charmans, le trépas ne viendra plus les flétrir avant le temps; cette bouche aura encore, pendant longues années, de doux sourires... -Monsieur le comte de Mansfeldt, interrompit Louise d'Orléans, oubliez-vous que je suis la reine d'Espagne? Laissez-moi, monsieur; ma place n'est point ici; elle est auprès du roi... Où est-il? je veux le voir.

-Le roi! oh! madame, ne cherchez point à le voir, je vous en supplie. Si vous saviez! Ah! pardon, ma tête s'égare; mais j'ai bien quelque titre à l'excuse. Un malheureux, condamné à mort, et qui reçoit sa grace, on ne lui demande pas compte des premières paroles qui lui échappent. Eh bien, moi! madame, je suis ce condamné; car, si vous étiez morte, voyez-vous, je serais mort aussi, et vous · deviez mourir. Oui, madame, il s'était rencontré des hommes, que dis-je? des monstres assez cruels pour vouloir votre mort, à vous si belle, si pure, si innocente, à vous qui ne leur aviez rien fait! Ces hommes-là se disent de profonds politiques, car la politique excuse tout... honte et infamie! Mais, non, je dois les bénir, ces hommes, qui ont daigné jeter les yeux sur moi pour exécuter leur pensée; ils étaient la tête, et j'étais le bras; ils étaient l'ame, et j'étais le corps. Comprenez-vous maintenant? Mais le bras s'est révolté contre la tête, le corps s'est révolté contre l'ame, et vous êtes sauvée, oui, madame, maintenant,, vous êtes vraiment reine d'Espagne; maintenant, vous pouvez les braver, ces hommes; maintenant, je puis mourir, moi, car j'ai accompli mon œuvre.

Mansfeldt avait réellement, en s'exprimant ainsi, quelque chose d'inspiré dans la physionomie; il était sublime comme l'homme qui, dans une lutte terrible, a triomphé de la fatalité, comme avait dû l'être son grand oncle, ce fameux Ernest de Mansfeldt, lorsque, sentant approcher sa dernière heure, il se fit revêtir de son armure de combat, et voulut expirer debout, afin de pouvoir contempler encore une dernière fois la mort face à face, ainsi qu'il l'avait fait toute sa vie. La reine, vivement émue, lui tendit la main en s'écriant:

-Monsieur de Mansfeldt, je vous avais deviné!

C'était la seconde fois, on s'en souvient peut-être, qu'il était donné au comte de poser ses lèvres sur cette main adorée; l'épreuve était trop forte pour lui, il se laissa tomber aux pieds de la reine d'Es

pagne, en couvrant cette main de baisers. Tout à coup, cette galerie silencieuse et déserte qui avait prêté son ombre à une telle profanation, s'anima; des bruits de pas et de voix retentirent sur les dalles et sous les voûtes de marbre; des groupes de courtisans, d'officiers, de serviteurs apparurent de tous les côtés. Il n'y avait plus à en douter le comte de Mansfeldt avait été vu aux genoux de la reine, qui, confuse et tremblante, baissait les yeux avec terreur. Cette terreur, tout autre que l'aventureux ambassadeur d'Autriche l'eût partagée; mais lui, se relevant avec fierté, se couvrit la tête et s'écria d'une voix éclatante :

-Messieurs, je remercie la reine qui vient de me faire grand d'Espagne.

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A peine avait-il prononcé cette parole, qu'un homme ou plutôt un fantôme échappé du sépulcre, pâle, les joues creuses, les lèvres violettes, les yeux étincelans du feu de la fièvre, se précipita vers lui, et étendant un bras décharné, s'écria avec un accent presque sauvage :

-Tu n'es rien. Va-t-en! va-t-en! ce palais m'appartient, j'y suis seul maître, moi le roi, et je veux que tu en sortes à l'instant même, je veux que tu quittes l'Espagne, entends-tu? Messieurs, aidez-moi donc à chasser cet homme. Il veut tuer la reine! il veut tuer la reine!

En articulant ces derniers mots, l'infortuné monarque tomba épuisé et en proie au plus affreux délire entre les bras de son médecin qui l'avait suivi.

Charles II avait échappé comme par miracle à la crise funeste qui menaçait ses jours. Au moment où l'on s'attendait à lui voir rendre le dernier soupir, un secours merveilleux et inattendu avait ranimé en lui les sources de la vie sur le point de s'éteindre pour jamais. Ce n'était peut-être qu'un sursis de quelques jours, de quelques heures même, mais quelque court que pût être ce sursis, n'était-il pas en même temps l'arrêt de mort de Louise d'Orléans? car il fallait que s'accomplit tôt ou tard cette loi mystérieuse et terrible, en vertu de laquelle ces deux êtres ne pouvaient coexister.

(La fin au prochain numéro.)

ALEXANDRE DE LAVERGNE.

SIMPLE

HISTORIETTE.

Au dernier bal que donna l'ambassadeur d'Angleterre, en 1834, deux jeunes gens se rencontrèrent, qui ne s'étaient pas vus depuis long-temps. L'un d'eux, dont le visage annonçait une trentaine d'années, se nommait Anatole de Seyssinet. C'était un beau jeune homme, très bien pris dans sa taille, d'une tournure gracieuse et noble, et dont les gestes étudiés et rares indiquaient la fréquentation habituelle de la meilleure compagnie. L'autre, Paul de Sainte-Grève, plus jeune de sept ou huit ans qu'Anatole, avait en outre sur ce dernier, à chances égales comme distinction et élégance, l'avantage d'une physionomie vive et passionnée.

Ils s'abordèrent en se donnant une poignée de main.

En vérité, dit Anatole, je vous croyais mort, mon ami. Voilà bientôt six mois, si je ne me trompe, que l'on ne vous a rencontré nulle part.

Six mois, en effet, répondit Paul d'un ton où perçait quelque gêne. J'ai été souffrant..... occupé..... que sais-je? Mais vous-même, mon ami, qu'êtes-vous devenu?

Je suis resté ce que j'étais, un amateur forcené de chevaux et de bouillotte, courant le monde le plus possible et me défendant tant bien que mal contre les atteintes de l'ennui.

Vous êtes heureux!

- Comment l'entendez-vous?

-Sans arrière-pensée, je vous jure! Je donnerais la moitié de ma fortune pour jouir du calme où je vous vois.

TOME XIX. JUILLET.

8

-Sur mon honneur! je suis très contrarié qu'un pareil marché ne se puisse faire, car j'accepterais de grand cœur, ne fût-ce que pour vous rendre service, la moitié de votre fortune en échange du calme que vous m'enviez.

Visiblement inquiété du tour sentimental que la conversation semblait prendre, Paul attira l'attention d'Anatole sur une jeune femme assise à quelques pas.

-La comtesse de Prébois est charmante ce soir, dit-il; je ne lui ai jamais vu la peau si transparente ni l'œil si vif.

- Elle est agréable à la lumière, dit flegmatiquement Anatole; au jour, c'est bien différent. Au reste, je ne lui en fais pas un reproche, car son histoire, en ceci, est l'histoire de toutes les femmes du monde. Je ne connais qu'une seule de nos élégantes, pour le moment, qui puisse sans désavantage être examinée de près dans la matinée.

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Une seule! n'est-ce pas vous montrer un peu sévère? Je conviendrai volontiers avec vous, toutefois, que le chiffre des femmes véritablement belles ne serait pas long à établir.

En tout état de cause, répartit Anatole, je maintiens ce que j'ai dit sur la supériorité de Mme la marquise du Val-Noir.

En entendant prononcer ce nom, Sainte-Grève rougit légèrement. Pour cacher son émotion, il recula d'un pas, feignant de vouloir faire place à un couple de valseurs qui passait en cet instant près de lui.

- Vous la connaissez particulièrement? hasarda-t-il enfin, quand il fut un peu maître de lui-même.

- Pas très particulièrement, dit Anatole. Je lui ai été présenté au commencement de l'hiver, chez la duchesse de Navailles, où elle va beaucoup. Depuis, je l'ai vue deux ou trois fois chez elle, quelquefois dans le monde, souvent au bois. Voilà tout. Et, entre nous, je ne suis pas fâché de n'être point de sa société intime, car je craindrais fort de devenir amoureux d'elle avant qu'il fût peu.

- Où serait le mal? dit Paul en essayant de sourire.

-C'est toujours un grand mal, même quand on est payé de retour, mon ami, d'aimer une femme que tous les yeux cherchent. J'ai tâté du métier de jaloux, une fois dans ma vie, et j'en ai trop souffert pour avoir la moindre envie de recommencer. J'ignore si Mme du Val-Noir a un amant; si elle en a un, je le plains de toute mon ame cet homme là doit être singulièrement malheureux. Yoyezvous! les femmes parfaitement belles sont, en général, les pires maî

tresses que l'on puisse avoir. Pour une heure de tièdes plaisirs qu'elles nous accordent comme par grace, elles nous en font passer vingt-trois dans la rage et les grincemens de dents.

- Vous avez bien raison, soupira Paul. Les femmes sont une détestable engeance.

Doucement! reprit Anatole. Je ne pousse pas, moi, le dédain des femmes aussi loin que vous. Je trouve que toutes celles qui sont jeunes, fraîches et bien faites, ont très fort raison d'être au monde, ne me procurassent-elles d'autre agrément que celui de les voir passer. Seulement, je me garde avec soin de leur laisser prendre sur moi le moindre empire. Mais que n'aperçois-je ici la marquise du Val-Noir, elle vous ferait changer d'opinion sur le compte des femmes, bien certainement.

Vous croyez! dit Paul avec un accent ironique dont le sens ne fut pas saisi par Anatole. Elle ne va pas tarder à venir, sans doute. II est près de minuit; et vous savez, ajouta-t-il avec un redoublement de gaieté factice, que, pour les belles dames comme pour les ombres, minuit est l'heure des apparitions.

Au moment même où M. de Sainte-Grève prononçait le dernier mot de sa phrase, entra dans le salon où causaient les deux jeunes gens une admirable créature vers laquelle se tournèrent subitement tous les regards. C'était une femme de vingt-huit ans au plus, grande plutôt que petite, mais d'une tournure si divinement charmante qu'il eût été impossible de désirer à sa taille une ligne de plus ou de moins. Appuyée au bras du premier secrétaire de l'ambassade, elle avançait lentement, et avec des airs d'une nonchalance tout-à-fait adorable, au milieu de la foule des danseurs. Sur son passage s'élevait un concert d'éloges qu'elle paraissait ne pas entendre, tant sa belle tête, soit habitude, soit indifférence, demeurait impassible et décolorée. Elle était mise avec une simplicité extrême : aucun diamant sur sa poitrine, ni à son front. Quelques boutons de roses négligemment attachés à l'énorme chignon de cheveux noirs dont le poids faisait ployer son cou en arrière, en cela consistait toute la recherche de sa toilette. Cette absence complète de parure, toutefois, pouvait passer facilement pour l'artifice d'une coquetterie calculée et profonde, car la beauté de la jeune femme était réellement doublée, pour ainsi dire, par la triomphante comparaison qu'elle soutenait avec l'éclat emprunté de ses rivales les plus somptueusement vêtues. Ce qu'il y avait surtout de ravissant dans la personne de la nouvelle arrivée, c'était l'harmonie parfaite des traits de son visage: son front, peu haut, mais droit et

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