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saires anglais, de deux commissaires napolitains, qui seraient départagés, au besoin par un commissaire français. Telles sont les combinaisons diplomatiques qui doivent rétablir une paix durable entre Naples et l'Angleterre. Quant aux intérêts français, le cabinet ne les a pas oubliés. Notre commerce n'était pas moins intéressé que le commerce anglais à l'abolition du monopole, et, à l'égard de la compagnie française qui en avait eu l'exercice pendant un moment, il a été décidé qu'une indemnité lui serait accordée. Ainsi la France a l'avantage de voir mettre au néant le traité de 1816, si onéreux non-seulement pour Naples, mais pour les autres nations; elle rentre en possession du droit commun, et en même temps elle exerce une influence honorable sur les intérêts italiens.

Il y aura dix ans dans quelques jours que la révolution de juillet s'est accomplie, et si l'on compare l'Europe de 1840 à celle de 1830, on verra que ces dix années de paix n'ont pas été stériles pour l'affermissement de la France nouvelle. Nous protégeons l'Espagne et le Portugal; rien ne peut se faire en Italie sans notre permission; entre la Prusse et nous, il y a la neutralité de la Belgique. Les trois monarchies absolues ont des intérêts qui les divisent, et les empêcheront de plus en plus de former contre nous, une masse homogène, On peut dire que la paix a été en notre faveur un puissant dissolvant des forces et des combinaisons qui pouvaient menacer la France.

Voilà ce qu'a tant de peine à reconnaître le parti démocratique extrême, qui veut toujours voir dans la guerre l'unique moyen de propager nos idées et notre influence. La paix a aussi son prosélytisme, plus bienfaisant et non moins sûr. Que sert de méconnaître les faits évidens? Pourquoi aussi les radicaux, qui défendent comme un remède souverain la réforme parlementaire, veulent-ils nier qu'à côté d'eux il y a des utopistes exaltés qui demandent à changer, non pas la loi électorale, mais les bases même de l'ordre social? C'est comme si, en 1792, les girondins eussent nié qu'ils avaient à leur côté les jacobins. Nous trouvons, au contraire, que les réformistes n'ont aucun intérêt à dissimuler les différences fondamentales qui les séparent des communistes. Qu'ils consentent à paraître moins nombreux, pour rester plus sincères. Ce serait montrer une étrange méfiance dans le symbole même qu'ils arborent, que de vouloir le confondre avec des idées qui le repoussent. Les réformistes se proposent une plus grande extension de la liberté, les communistes ne reconnaissent d'autre formule et d'autre loi démocratique que l'égalité : il y a un abîme entre ces deux tendances. Aussi les communistes refusent-ils aux partisans de la réforme parlementaire le nom de démocrates, et ils répètent ces aphorismes du Code de la Nature, réimprimé dans ces derniers temps: « Discourez tant qu'il vous plaira sur la meilleure forme de gouvernement, trouvez les moyens de fonder la plus sage république; si vous n'avez pas coupé racine à la propriété, vous n'avez rien fait; votre république tombera un jour dans l'état le plus déplorable. »>

Un homme célèbre, dont le nom se mêle aux souvenirs de la république et de l'empire, vient de disparaître. Lucien Bonaparte est mort à Viterbe à l'âge

de soixante-six ans. Il avait un esprit politique et administratif et des goûts littéraires. Frère d'un homme auprès duquel la gloire d'autrui était presque impossible, il a néanmoins su dessiner son caractère et sa figure par la décision de sa volonté et la persévérance de sa modération. Certes, au 18 brumaire, il a contribué à élever Napoléon sur le pavois du consulat, puis de l'empire; cela fait, il s'en est affligé et n'a voulu ni d'un trône ni du rang de sujet. Lucien rappelle un peu ces républicains aristocrates des cités italiennes du moyen-âge; il aimait la liberté qui n'était pas incompatible avec la distinction du rang, et qui savait se marier à l'éclat des lettres et des arts.

A propos de l'intérêt des lettres, nous avons un mot à dire. Une personne, par la voie d'un journal, nous a fait quelques interpellations, oubliant qu'elle avait perdu le droit d'en adresser à qui que ce soit, du moment où elle avait annoncé l'intention d'invoquer l'autorité judiciaire dans des débats qui relèvent d'un tout autre ordre d'idées et de sentimens. Quant à la thèse que nous avons agitée, nous la maintenons parce qu'elle est bonne. Nous concevons l'ardeur de l'émulation et la vivacité des passions littéraires; mais il ne faut pas tomber plus bas. Il y a des gens qui crient qu'on veut étouffer le talent. S'il est quelque part quelque chef-d'œuvre inconnu, nous prions qu'on nous l'adresse, il ne languira pas long-temps dans l'obscurité.

En attendant, nous pouvons en mentionner un que la voix unanime de l'opinion vient de saluer. M. Mérimée a obtenu dans cette quinzaine un des plus beaux succès qui depuis long-temps ait agité et charmé les esprits. Qui aujourd'hui n'a pas lu Colomba? On en parle partout, dans les salons, dans les ateliers, dans les écoles. Des savans l'ont lu avec la même avidité et le même plaisir que les femmes et les artistes. Colomba n'est pas inférieure à ce que le pinceau de Scott a produit de plus vrai, de plus complet. On pourrait même dire que la narration de M. Mérimée est plus leste et plus serrée que le récit du romancier écossais, dont la marche est quelquefois embarrassée et traînante. Quoi qu'il en soit, Colomba fait connaître la Corse, comme les Puritains vous mettent l'Écosse devant les yeux. Et puis, nulle exagération dans les caractères; jamais la charge de la force et de l'exaltation. Le comique ne descend jamais non plus à la caricature; il y a enfin dans tous les portraits et dans toutes les situations cette mesure et ce goût qui n'appartiennent qu'à l'artiste supérieur, toujours maître de lui-même.

F. BONNAIRE.

LE MACROBITE.

1

Un jeune peintre de Berlin, M. Hasslinger, voyageant à petites journées et accompagnant sa sœur malade en Italie, s'arrêta, il y a quelques années, par une belle soirée de la fin du mois de juin, à la porte de la ferme modèle du château de Schleissheim, près de Munich. M. Hasslinger était en calèche; la femme de chambre de sa sœur occupait le siége de la voiture, suivant l'usage anglais, et son domestique précédait les voyageurs en courrier. Le peintre arrivait à Munich par la route de Nuremberg; il avait voulu montrer à la jeune malade le panorama de cette ville gothique, où tout le xv siècle est debout moins les hommes, et le monument si curieux de Govoldo à Ingolstadt, dans l'église des Franciscains. En s'arrêtant à la ferme modèle, dont le directeur, M. Eberhard, était un de ses anciens camarades à l'université de Goettingue, il avait l'intention d'y passer quelques jours et d'y chercher une nouvelle source de distraction à la mélancolie de Mlle Hasslinger, dans le spectacle du magnifique palais dont cet établissement rural n'est qu'une dépendance.

Schleissheim est situé dans le rayon de la plaine monotone et stérile où s'élève Munich, comme un diamant brille sur le sable. Le château a même le droit de revendiquer pour lui seul le mot de GustaveAdolphe sur la capitale de la Bavière : « Munich, disait ce prince, est une selle d'or sur un cheval maigre. » Schleissheim, bâti en 1684 par

(1) Macrobite signifie centenaire, ou mieux, l'homme qui a vécu au-delà d'un siècle. - Quant au sujet de cette nouvelle, si nous nous en rapportons aux annales secrètes de la révolution anglaise, il serait entièrement historique; les accessoires seuls sont du domaine du roman.

TOME XIX. JUILLET.

11

Max Emmanuel, dans le style italien, se déploie effectivement comme un Trianon désert, sur une pelouse immense d'un vert grillé que de toutes parts environne un ruban de pins rabougris et de plantes alpines. Le vestibule, pavé en marbre de Salzbourg, éclate sous la sève mordante de l'herbe, peut-être aux endroits où Napoléon a marché. A droite et à gauche, des escaliers gigantesques, tournant dans des cages vraiment impériales, vont majestueusement se rejoindre dans une galerie supérieure, sous des plafonds allégoriques d'Amigoni et entre des panneaux de Vivien. Derrière le château, sur le front d'un parc dont les fourrés sont impénétrables, se dressent des bouquets d'arbres bizarrement contournés, chenus, hérissés de houpes énormes et fleuries, et qu'une mousse séculaire colore au crépuscule d'un jaune safran, d'un vert satiné ou d'un rouge vineux. Sur le devant, du côté de la pelouse et de la route d'Ingolstadt, pas une ame, pas un bruit, pas le ronflement d'un moucheron. De temps en temps, lorsque les rumeurs de la ferme y parviennent en mourantes volées, ou qu'une chaise de poste fait crier en passant les ornières oraieuses du chemin, le saut d'une grenouille effrayée dans les cloaques interrompt ce calme plat des ruines.

On ne pouvait en apparence choisir un séjour plus contraire à la santé de Me Wilhelmine Hasslinger, qui était attaquée de la poitrine et condamnée secrètement par les médecins de Berlin. Mais, au-delà de la pelouse, ce paysage quitte les inspirations de Salvator Rosa pour la rusticité de Paul Potter. La ferme modèle est installée dans des bâtimens qui formaient naguère le grand commun du palais; ces ⚫ dépendances ressemblent à un hameau; elles en ont la physionomie champêtre et un peu crottée, les encombremens de basse-cour, les vieilles charrettes estropiées, les groupes d'enfans aux pieds nus et au regard bleu, les petites flaques d'eau verdâtre, les fumiers troués par les poules, les chaumes arborescens et l'inévitable bois de cerf aux ramures encroûtées de suie. Vis-à-vis du château, c'est une contrepartie séduisante. D'ailleurs il y a tant de repos dans cet ensemble de débris princiers et de bonheur flamand, les herbes de la pelouse sentent si bon et le lait des vaches de la ferme est si héroïque, on y entre par une porte si précieusement ogivale, que la pauvre jeune malade s'éprit tout d'abord du nouveau séjour, en raison même de sa mélancolie, et fut comme soulagée en la partageant.

Aussi, quand M. Hasslinger lui tendit la main pour descendre à la porte de la ferme, elle sauta de la voiture à terre avec la joie légère d'un enfant. Il était huit heures, la lune se levait à l'horizon du parc.

Wilhelmine, dit le peintre en recevant sa sœur dans ses bras, vois donc comme le soir est beau et cette lune charmante!

Dans ce moment, Wilhelmine arrêtait ses regards sur la ligne blanche que le corps principal du château décrit sur la pelouse en avant du parc; la sérénité de ce tableau parut se réfléchir dans ses yeux. M. Hasslinger s'aperçut avec émotion qu'un sourire effleurait de son aile les joues amaigries, le teint pâle et plombé, le front nuageux, les paupières cerclées, et s'étendait, pour ainsi dire, aux boucles de la chevelure soyeuse qui encadrait le visage de la blonde jeune fille. Ce premier effet du paysage le remplit d'espérance. Le peintre connaissait Schleissheim; à cette époque de leur vie universitaire où les étudians allemands parcourent à pied le rayon entier de la vieille Germanie, il avait visité en artiste et en voyageur le palais romantique des souverains de la Bavière; il en savait la nudité poétique autant que les monumens remarquables.

- Et que sera-ce, ma bonne sœur, continua M. Hasslinger, quand tu auras vu demain matin, pas plus tard, le Testament, de Wilkie, et le délicieux tableau d'Overbeck, Allemagne et Italie, qui sont là?

En disant ces paroles, le peintre étendait vivement la main vers les croisées de la galerie du palais, située au premier étage, fenêtres larges et longues, toujours fermées, et dont la lune faisait resplendir, comme des traînées brillantes, le filet d'or des volets, à travers les carreaux en vitre de Bohême.

Wilhelmine, appuyée sur le bras de son frère, demeura quelques instans comme recueillie dans la contemplation de ce palais désert et de cette campagne embaumée. M. Eberhard était venu au-devant des voyageurs; les deux amis s'étaient retrouvés et embrassés; ils jouissaient du ravissement naïf de Mlle Hasslinger.

Frère, dit-elle tout à coup en s'éveillant de son silence, je ne suis pas descendue de la calèche depuis Ingolstadt; ne veux-tu pas que je fasse, avant de me coucher, le tour du château?

L'air du plateau de Munich, qui s'élève à deux mille cent trentesix pieds bavarois au-dessus du niveau de la mer, est assez rude en automne et au printemps pour les personnes faibles de la poitrine. Les vents dominans de l'ouest et du sud-ouest, venant des Alpes, y apportent une température humide et glacée; mais, dans la belle saison, et durant les chaleurs de juin, l'influence du soleil change cette rigueur endémique du climat en une atmosphère singulièrement transparente, et, pendant quelques semaines, de la Pentecôte à l'Assomption, le ciel est aussi pur que la brise est salubre. M. Hass

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