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conteur chez qui, par un rare privilége, une vieillesse sereine se rejoint avec une jeunesse mélancolique comme toute jeunesse promise à l'avenir; Nodier, qui a écrit à vingt ans le Peintre de Salzbourg, cette production toute werthérienne, et qui, à soixante, n'est pas encore en défaut de quelque récit ingénieux et charmant. Au milieu tempéré de son âge se rattachent quelques-unes de ses plus originales ou de ses plus fraîches compositions dont les reflets contrastent par bien des tons mélangés de douceur et de tristesse. Jean Sbogar, Adèle, Thérèse Aubert, réunis aujourd'hui dans un même cadre, nous montrent le plus parfait moment peut-être de ce talent si varié et si multiple qui, s'inspirant d'abord de Werther et de Charles Mcor, passant ensuite à travers Hoffmann, est venu gracieusement aboutir à Perrault et aux Mille et une Nuits. Parmi les bons ouvrages parus qui recommandent la Bibliothèque Charpentier, il faut distinguer encore un Théâtre de Racine, un Théâtre de Goethe, la Messiade de Klopstock, traduite par Me de Carlowitz, le Siècle de Louis XIV, le livre excellent de l'Éducation des Mères de famille, par AiméMartin, les poésies si originales d'Alfred de Musset, aussi bien que ses spirituelles comédies et ses piquans Proverbes. Le théâtre de Racine, purgé de la Thébaïde et d'Alexandre, ces pièces d'essai du grand maître, qui n'ont plus qu'une valeur historique, et augmenté d'autre part d'un choix de poésies lyriques, forme un heureux ensemble de chefs-d'œuvre où tout est à accepter, rien à reprendre. Mais si l'on conçoit pour Racine le motif de ces retranchemens auxquels, d'ailleurs, on ne saurait jamais apporter une trop grande réserve, on cherche vainement la raison qui a privé le théâtre de Goethe d'Iphigénie. Comment a-t-on pu exclure d'un volume, où sa place était si bien marquée, Iphigénie en Tauride, cette calme et imposante étude grecque, que Mme de Staël a appelée le chef-d'œuvre de la poésie classique chez les Allemands? Soit négligence, soit scrupule exagéré, cette omission est une des fautes peu nombreuses d'ailleurs qu'il est permis de reprocher à la publication.

Aux noms déjà cités des critiques dont le commentaire éloquent ou ingénieux a accru le mérite des réimpressions nouvelles, il convient très justement de joindre M. P. Leroux, qui a donné un morceau d'une haute vue philosophique sur Werther, et en général sur la poésie moderne. M. Gustave Planche n'a jamais peut-être rien écrit de plus sobre, de plus châtié, de plus élégant et en même temps plus scrupuleusement étudié que ses essais sur Adolphe et Manon Lescaut. Dans plusieurs préfaces et traductions, M. Marmier a montré, comme toujours, ses qualités d'esprit facile et d'ingénieuse érudition que de préférence il applique à la littérature allemande.

Très prochainement on nous fait espérer les Deux Faust, traduits par M. Henri Blaze, les œuvres choisies de Descartes, avec un travail et des notes de M. Jouffroy; le Dante, avec une traduction nouvelle, par M. Brizeux, l'auteur de Marie. Les Contes et Nouvelles, de Charles Nodier, se joindront naturellement aux romans parus. Mais au milieu de tous les ouvrages déjà publiés ou annoncés, il en est quelques-uns qu'on s'étonne de ne pas voir, que chacun, au besoin, pourrait désigner, et qui laisseraient une trop visible lacune s'ils

venaient absolument à faire défaut. Un théâtre choisi de Corneille formerait, ce nous semble, un très heureux pendant au théâtre de Racine. Les œuvres dramatiques de Schiller, si bien traduites par M. de Barante, nous paraissent plus légitimement encore que celles de Goethe s'adresser à un public d'élite : car le plus noble esprit et l'ame la plus généreuse éclatent, comme on sait, à toutes les pages de Schiller. D'un autre côté, les poèmes si fins et si élégans de M. de Vigny figureraient très naturellement à côté des poésies de M. SainteBeuve et de M. de Musset. Pourquoi pas l'Émile et la Nouvelle Héloïse après les Confessions de Rousseau qu'on nous promet? La série commencée de Mme de Staël pourrait heureusement s'accroître et presque s'achever. Après Delphine, après Corinne, après l'Allemagne, plus d'un livre que chacun aimerait à relire, les Lettres sur Jean-Jacques, l'Influence des Passions, l'Essai sur le Suicide et l'Essai sur les Fictions, groupés en un même volume, digne des précédens, compléteraient en grande partie ce monument spécial.

Les œuvres de George Sand viendront ensuite, nous le pensons, enrichir la Bibliothèque choisie. Ce nom manque essentiellement à la galerie des plus beaux noms littéraires modernes, et sans lui, elle serait loin d'être complète. Les admirables pages de l'éloquent écrivain brilleront de l'éclat le plus vif, même entre les mieux inspirées. La plus illustre parmi les femmes écrivains de ce temps a son rang pour le moins égal, sinon même supérieur, à côté de cette autre femme de génie, sa sœur, dont la tête couronnée se dresse à l'entrée du siècle. Lélia n'est-elle pas quelque peu parente de Corinne, sinon par l'idée, du moins par le lyrisme et la flamme généreuse? Ne retrouverait-on pas aussi un lien manifeste entre les Lettres sur Jean-Jacques et les Lettres d'un Voyageur? Indiana, Valentine, Lavinia, Fernande, Geneviève, Edmée, toutes ces figures gracieuses ou altières, toutes ces créations sereines ou désolées sont devenues autant de personnifications du plus vif relief, et déjà inscrites à côté des types les plus poétiquement consacrés de notre âge. Il est des gens, nous ne l'ignorons pas, qui conçoivent obstinément contre l'auteur de Jacques les préventions les plus singulières. Bien des fois on a accusé le génie de George Sand d'exercer une influence désolante sur les ames, et de les dévaster comme un fléau; mais nous ne saurions partager vraiment des façons de voir si outrées. George Sand, ainsi que tous les grands et nobles esprits, a dû gémir de bien des infamies sociales, et par momens il lui est arrivé de jeter à la face du monde son éloquente invective. Toutefois il ne faut pas oublier que dans ses emportemens, même les plus amers, une bonne foi et une candeur extrêmes n'ont cessé d'inspirer la femme célèbre. Ses moindres écrits, chacune de ses pages, pour ainsi dire, portent témoignage pour son ame chaleureusement sincère. Au sein du poison même, puisqu'on le veut ainsi appeler, gît l'antidote précieux qui rachète de la mort. Le génie de George Sand est comme le feu qui purifie tout ce qu'il touche: les frèles rameaux peuvent en être consumés; l'acier s'y retrempe et n'en devient que plus fort.

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DESSALLES-RÉGIS.

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BULLETIN.

Le 6 juillet, Cabrera, dernier espoir de la cause carliste, entrait en France, fugitif et vaincu. Le 18, la reine Christine, au milieu de ses triomphes, succombait elle-même devant une émeute populaire. Douze jours ont suffi pour pousser à son paroxisme la discorde parmi les vainqueurs. Un mouvement démocratique a su arracher à la régente la dissolution du cabinet de M. Perez de Castro et la formation d'un ministère composé d'exaltés. Espartero aurait été l'interprète de toutes ces exigences et aurait désigné lui-même les nouveaux ministres.

Quand la régente quitta Madrid pour traverser une partie de l'Espagne et se rendre à Barcelone, on forma mille conjectures sur les projets qu'elle pouvait avoir et sur les résultats que devait amener son voyage. On prêtait à Christine des intentions de coup d'état, on faisait entendre que son séjour dans la Catalogne amènerait de grands évènemens; on pensait qu'elle n'avait de périls à courir que du côté des bandes carlistes, et qu'une fois délivrée sur ce point de toute crainte et de tout danger par leur dispersion totale, elle allait entrer dans une ère nouvelle de force et de puissance, en s'appuyant sur l'épée d'Espartero. Telles étaient, en effet, les espérances de la régente, qui, sans s'être arrêtée d'avance à aucun parti déterminé, allait vers l'inconnu avec une confiance aveugle. Jusqu'alors elle n'avait jamais vu Espartero; elle ne s'était jamais rencontrée avec le général heureux auquel les évènemens donnaient l'honneur de la pacification de l'Espagne; elle se flattait d'exercer sur lui par sa présence un grand ascendant, et elle espérait associer facilement le duc de la Victoire à ses vues et à sa politique.

C'est à Lérida que Christine vit Espartero pour la première fois, et son entrevue avec le général espagnol dut bientôt la détromper. Elle put reconnaître qu'elle n'exercerait pas sur le soldat victorieux l'influence qu'elle avait rêvée,

› et qu'elle s'était mise étourdiment à sa merci. Elle eût volontiers repris le chemin de sa capitale, mais il était trop tard; c'eût été, d'ailleurs, une autre imprudence que de témoigner à Espartero et à son armée une défiance injurieuse. Christine ne pouvait plus faire autre chose que de poursuivre sa route, et d'aller voir si à Barcelone elle trouverait plus de modération et de dévouement à la royauté nouvelle qu'à Sarragosse.

Mais tout était changé : la régente ne dirigeait plus, elle suivait, attendant le choc capricieux des évènemens qu'elle était désormais incapable de maîtriser. Elle dut sentir cruellement la faute qu'elle avait commise en quittant sa capitale. C'était à Madrid, c'était au centre de la monarchie et du gouvernement qu'il fallait recevoir Espartero. Au prestige des triomphes et de la force militaire il fallait opposer la puissance centrale et l'autorité des cortès, de ces cortès qui venaient de voter la loi des municipalités et de travailler de concert avec la couronne à la réorganisation de l'Espagne. Ce n'était pas trop de tous ces appuis pour lutter avec avantage contre l'ascendant d'un chef victorieux, maître depuis plusieurs années d'une armée nombreuse et dévouée.

On se tromperait néanmoins si on prêtait à Espartero ces desseins profonds et cette volonté énergique qui font les grands factieux et les usurpateurs redoutables. Les évènemens ont beaucoup exhaussé le duc de la Victoire; mais l'homme paraît avoir plus de bonheur que de grandeur réelle. La renommée s'est plu à attribuer à Espartero tous les faits éclatans qui ont amené la pacification de l'Espagne; mais Espartero doit beaucoup à ses lieutenans. Ainsi le général O'Donnel, qui maintenant commande à Valence, peut revendiquer une partie des avantages remportés par l'armée constitutionnelle dans les deux dernières années. C'est lui qui a pris Morella. Il a souvent donné à Espartero les meilleurs conseils et les directions les plus utiles. Il sera loin sans doute d'approuver la conduite récente du duc de laVictoire, et il pourrait bien offrir à la reine, dans son gouvernement de Valence, un refuge et des moyens de résistance.

Espartero s'est trouvé soumis dans Barcelone à une autre influence qui n'était pas, comme celle d'O'Donnel, loyale et salutaire. On dit que dans l'émeute du 18, on a pu reconnaître la main du chef d'état-major du duc de la Victoire, du brigadier Linage, homme remuant et ambitieux. Linage, dans ces derniers temps, avait demandé, sans l'obtenir, le grade de maréchal-de-camp, et il a pensé que son ambition aurait plus de chances si elle se mettait au service des exaltés et de la cause populaire. Il passe aussi pour être dévoué à la politique anglaise, et nous ne croyons pas abuser des conjectures en pensant que les derniers évènemens ne causent pas à l'Angleterre un grand déplaisir. Tout ce qui s'est passé dans la Péninsule depuis plusieurs années doit y étendre et y confirmer notre influence. Qui plus que nous a contribué à éteindre la guerre civile qui désolait l'Espagne? Nous avons ouvert un asile à don Carlos; nous avons permis à plus de quinze mille Espagnols de passer la frontière, et nous les nourrissons; nous avons donné à la reine et à son gouvernement les con

seils les plus sages et les plus désintéressés. Si le régime constitutionnel finit par s'établir paisiblement en Espagne, la France pourra sans présomption se croire quelques droits à la reconnaissance du peuple espagnol, et les deux gouvernemens devront songer à sanctionner, par les traités de commerce les plus larges, les rapports d'amitié entre les deux pays. Dans un état de choses régulier et pacifique, l'Angleterre ne peut guère lutter contre notre influence et nos services; mais si l'agitation se perpétue, si la guerre civile se déplace, et si au lieu d'armer les carlistes contre les christinos, elle divise les vainqueurs et pousse désormais les unes contre les autres les différentes fractions de la cause constitutionnelle et démocratique, la politique anglaise retrouve dans ces discordes une occasion de crédit et de protectorat; elle soutiendra secrètement les exaltés, par cela seul que nous sommes pour la modération; elle peut penser que les divisions de l'Espagne lui donnent action sur la Péninsule, tandis que l'établissement définitif de la paix la réduit à un rôle secondaire.

Il appartient à notre cabinet de lutter avec énergie contre ces tendances fâcheuses partout où il en trouvera la trace. Il est bien posé vis-à-vis l'Espagne et vis-à-vis l'Angleterre pour faire entendre le langage et prendre l'attitude qu'exigent les circonstances. Il a prêté un appui assez ferme et assez décisif à la cause constitutionnelle dans la Péninsule pour avoir le droit de retenir par ses conseils et par tous ses moyens d'action et d'influence la liberté espagnole dans les voies de l'ordre et de la modération. D'un autre côté, ayant toujours montré l'intention de contribuer de concert avec l'Angleterre à la pacification de l'Espagne, il a le droit et le devoir de séparer sa politique de la politique anglaise, s'il acquiert la conviction que nos alliés de l'autre côté du détroit sont pour quelque chose dans cette recrudescence de troubles et de désordres qui vient d'éclater à Barcelone. L'alliance anglaise n'est pas une chaîne qui doive retenir la France asservie et impuissante. Elle a été un grand bien, elle nous a été fort utile pendant les dix ans qui viennent de s'écouler, nous devons éviter toutes les fautes qui pourraient, de notre côté, trop en relâcher les liens ou les rompre; mais enfin cette alliance ne saurait ni engager notre avenir, ni entraver la liberté de nos mouvemens.

Les instructions que le ministère vient d'envoyer à notre ambassadeur, M. le comte de la Redorte, sont, dit-on, pleines de précision et de fermeté. L'ambassadeur a mission d'exprimer une désapprobation formelle, au nom de la France, de tous les actes qui ont pu porter atteinte à la majesté royale et à l'indépendance de la couronne. Il mettra à la disposition de la reine les conseils et l'influence de la politique française. Partout où il pourrait rencontrer les menées et les intrigues de l'Angleterre, il devra les combattre avec énergie. On assure aussi qu'un vaisseau de guerre français a reçu l'ordre de se rendre dans les eaux de Barcelone.

Quelle conduite tiendra Espartero? Ira-t-il plus loin encore dans le mouvement, ou bien tentera-t-il de revenir sur ses pas et de reprendre le rôle de modérateur qu'il n'aurait jamais dû quitter? Les nouvelles les plus récentes

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