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donneraient à croire qu'il préférerait s'arrêter à ce dernier parti. Il a composé lui-même le nouveau ministère; il voudra sans doute diriger et modérer sa marche. On dit que la reine n'a pas retiré sa sanction à la loi des ayuntamientos; ce qui indiquerait qu'Espartero et les nouveaux ministres ont déjà compris qu'ils n'avaient rien à gagner à l'humiliation de la royauté. Pour le duc de la Victoire, il n'est vraiment pas besoin d'une profonde pénétration, pour sentir qu'il jouera un plus noble rôle en restant sujet fidèle de la reine, qu'en se faisant l'instrument de passions démagogiques qui voudront le briser après l'avoir déshonoré. D'ailleurs serait-il sûr d'être suivi par toute l'Espagne dans cet entraînement démocratique? Madrid, malgré la petite émeute qui vient d'y éclater et dont la coïncidence prouve que le mouvement de Barcelone était préparé d'avance, est sincèrement attaché au gouvernement constitutionnel et à une politique d'ordre et de modération. Sur d'autres points de la Péninsule, les mêmes sentimens rallient la majorité des populations. Les provinces basques elles-mêmes avaient accepté sans mécontentement l'espèce de transaction que présentait la loi sur les municipalités. Les cortès s'y étaient proposé de concilier, autant que possible, les franchises provinciales avec l'uniformité de la loi et une certaine centralisation dans le pouvoir. Les provinces basques savent fort bien que si les exaltés l'emportent tout-à-fait, cette centralisation ira jusqu'au despotisme, et que le parti démocratique extrême ne leur accordera aucune de ces libertés qu'elles peuvent attendre de la modération du parti constitutionnel. Il est donc fort douteux que ces provinces et la Navarre approuvent ce qui s'est fait à Barcelone; elles sentiront combien l'émeute catalane compromet les résultats qu'on pouvait attendre de la transaction signée par le général Maroto.

Le duc de la Victoire s'est bien fourvoyé en entrant dans la voie des complots et des menées factieuses. Il a terni en quelques jours la gloire qu'il avait laborieusement conquise pendant plusieurs années. Il a oublié qu'un chef militaire a tout à perdre quand il quitte le rôle d'un soldat loyal, d'un général fidèle au gouvernement de son pays, pour se mêler d'intrigues et de révolte; de plus grands que lui s'y sont perdus. Que pourra-t-il faire quand il verra successivement se réunir contre lui tout ce que l'Espagne a d'honnête, de modéré, de vraiment libéral, les droits et la majesté de la royauté, l'influence de la France et les pouvoirs constitutionnels de son pays? L'émeute du 18 a fait reculer l'Espagne de quatre ans dans la pratique du gouvernement représentatif. On se retrouve comme au lendemain de l'insurrection de la Granja. C'est ainsi du moins qu'en jugent les Espagnols les plus amis de leur pays, et l'ambassadeur d'Espagne près la cour de France, M. de Miraflorès, vient d'envoyer sa démission.

Mais le découragement n'est pas permis aujourd'hui aux représentans du pouvoir. Ils ne vivent qu'à la condition de recommencer toujours leurs efforts et leurs labeurs. La constitution offre encore au gouvernement de la reine des moyens et des ressources dont il doit user avec constance et habileté. Il est

difficile que le nouveau ministère consente à laisser déchirer la charte entre ses mains pour accepter le régime militaire et le bon plaisir des émeutes. Quelques jours d'exercice du pouvoir doivent le faire entrer lui-même dans les intérêts de l'ordre et de la monarchie. En appellera-t-on à des élections nouvelles? La dissolution des cortès est un acte constitutionnel dont on n'aurait pas à se plaindre au point de vue de la légalité, et dont peut-être il n'y aurait pas trop à redouter les conséquences politiques. Il est fort possible que de l'urne électorale sorte une majorité constitutionnelle au moins égale en forces à celle qui soutenait le ministère de M. Perez de Castro. Les exaltés sont en minorité dans le pays; ils peuvent le surpendre et l'entraîner pour quelques jours, mais ils ne sauraient le gouverner long-temps. Les excès de Barcelone ne tarderont peut-être pas à amener un commencement de réaction favorable à la royauté constitutionnelle.

Avant que les derniers évènemens de l'Espagne vinssent absorber l'attention publique, on s'était fort occupé de la dernière campagne du maréchal Valée et de son rapport. Ce rapport a obtenu un véritable succès. Il est rédigé d'une manière lumineuse, divisé heureusement, plein de petits récits qui forment d'intéressans tableaux. Ce morceau est composé avec une sorte de coquetterie, avec un art qui sait faire lire des détails ordinairement arides de stratégie et de métier. Les communications de M. le maréchal Valée ne sont pas fréquentes, mais il s'attache à les empreindre d'un caractère original et frappant. Il est insensible aux attaques que provoquent et qu'enhardissent ses longs silences; il se croit assez fort pour les supporter, et il a la noble confiance de pouvoir les confondre par les résultats qu'il obtient de temps à autre. C'est avec une sorte d'orgueil que le soldat qui a pris Constantine apprend au pays que, pour la première fois, il a établi la France dans la vallée du Chélif. Depuis dix ans, dit le maréchal, la guerre s'était faite péniblement dans la plaine de la Metidja. La prise de Miliana était nécessaire pour montrer aux Arabes que la domination française ne devait plus repasser l'Atlas. Il s'agissait d'ailleurs de préparer pour la province de Tittery une organisation semblable à celle qui a si bien réussi dans la province de Constantine. Le maréchal nous fait assister à sa marche pendant les 5, 6 et 7 juin, à la prise de Miliana; il indique les travaux de fortification dont il a entouré la place. L'affaire du 20 juin, qui nous a permis de nous mouvoir librement dans la province de Tittery, est racontée avec détails. Enfin le maréchal termine son rapport en faisant pressentir quelles seront nos opérations à l'automne. Dans quelques mois, dit-il, l'armée attaquera Abd-el-Kader dans la province d'Oran, pendant que la vallée supérieure du Chélif sera parcourue par des colonnes mobiles qui s'appuieront sur Medeah et sur Miliana. Le rapport de M. le maréchal Valée est remarquable par l'esprit d'ensemble qui - s'y fait voir. Il s'attache à esquisser les lignes d'un grand système d'occupation qui embrasse les trois provinces d'Oran, de Tittery et de Constantine. Il faut reconnaître que cette dernière campagne de Miliana, et la manière dont le ma

réchal parle de la valeur de nos troupes, officiers et soldats, lui ont rendu en partie la popularité dont il jouissait en 1837.

Nous avions raison de craindre les interminables délais que le sultan recommence à opposer à Méhémet-Ali. En vain le pacha s'était flatté que la spontanéité de ses offres, relativement à la flotte turque, arracherait quelques concessions au successeur de Mahmoud; il trouve toujours devant lui cette impassibilité et cette force d'inertie qui paraissent être aujourd'hui les dernières armes de l'empire ottoman. Il faut dire que derrière cette force d'inertie sont cachées d'actives intrigues. L'Angleterre et la Russie, qui ont des intérêts contraires, ont cependant un intérêt commun: elles s'accordent à ne pas vouloir d'une Égypte indépendante et forte. Sur ce point, ces deux puissances n'hésitent pas et ne se font point la guerre. Elles se réunissent pour inspirer au sultan la volonté de ne pas céder, de traîner en longueur, de gagner du temps, de laisser mourir Méhémet-Ali sans qu'il ait eu la satisfaction de rien conclure, de lui donner le profond déplaisir de ne léguer à son fils qu'une usurpation contestée. Le rôle de la France est ingrat et difficile. Il faut qu'elle persuade au divan de ratifier lui-même des faits injurieux pour la grandeur de l'empire ture, et de leur donner, sans utilité pour la Porte, la sanction des traités et du droit. Le divan paraît s'en tenir obstinément au statu quo. Il ne se propose pas de rien reprendre immédiatement, il semble se résigner; il ne proteste même pas tout haut, il accepte la situation telle qu'elle est; mais, par son fait, il n'y veut rien changer. Les derniers évènemens qui ont éclaté en Syrie l'ont encore confirmé dans cette résolution. La révolte des Druzes a paru pour le nouvel empire égyptien une cause de faiblesse, une chance de démembrement, et a été fatale aux ouvertures de Méhémet-Ali. On conçoit les motifs divers de la politique des Turcs, des Anglais et des Russes; mais il ne faudrait pas compliquer cette question si difficile par des imaginations sans fondement. On a dit que, dans l'insurrection des Druzes, la France elle-même serait forcée de prendre parti contre Méhémet-Ali, parce qu'aux Druzes s'étaient joints des chrétiens, des Maronites, qui habitent le Liban au nombre de cent vingt mille. Ici l'intérêt religieux n'est pas en jeu. Il n'y a pas de la part du pacha de persécution contre les chrétiens. Les Maronites, qui descendent des anciens Monothelites, ont naturellement les mêmes goûts d'indépendance et d'isolement que les Druzes; comme eux, ils ne veulent pas reconnaître l'unité du pouvoir administratif qui tend à se soumettre la Syrie. Mais, dans ces débats, le christianisme n'a rien à voir; c'est un démêlé politique, et non pas une querelle religieuse. La France n'aurait à intervenir que si les Maronites étaient poursuivis comme débris d'une secte chrétienne; elle n'a pas à se mêler de ce qui se passe entre le pacha d'Égypte et les tribus qui habitent le Liban.

Quelle que soit l'importance des questions extérieures, elles n'absorbent pas tous les soins du cabinet. Comme les administrations qui l'ont précédé, le ministère songe à créer de nouveaux pairs. Il peut voir pour lui, dans cette promotion, un avantage politique ; mais, quelle que soit à ce sujet sa pensée,

il est incontestable que, presque tous les ans, ainsi qu'on l'a dit à l'époque du ministère du 12 mai, l'état de la chambre nécessite une création plus ou moins étendue de nouveaux pairs. Ces recrutemens périodiques n'exercent pas immédiatement une influence sensible sur la majorité et ne sauraient brusquement changer sa couleur. Comme les nouveaux pairs sont choisis assez impartialement dans les diverses nuances politiques, il y a plutôt substitution de personnes qu'altération des partis. L'esprit conservateur de la chambre des pairs admet des transformations successives, il se refuse à des révolutions soudaines; et comme il est la condition même de son existence, il est destiné à se perpétuer à travers les différentes générations.

Les journées de juillet seront célébrées cette année avec une solennité extraordinaire. Le mardi 28, les restes des victimes qui ont succombé pendant les trois jours traverseront Paris dans un immense char funèbre pour aller trouver la sépulture définitive que leur destine la mémoire reconnaissante du pays. Plus le gouvernement honore avec éclat les glorieux souvenirs de la révolution, plus il a le droit d'espérer qu'un recueillement unanime imprimera à cette grande cérémonie le caractère de gravité religieuse qu'elle doit avoir. L'hommage que Paris et la France se préparent à rendre à ceux qui ont combattu pour la défense des lois doit être pur de toute turbulence et de tout désordre.

La nomination de M. Rossi comme membre du conseil royal de l'instruction publique a satisfait tous ceux qui attachent une haute importance à la direction des études de droit. Cet éminent jurisconsulte était à coup sûr l'homme qui convenait le mieux à cette place. Une sagacité profonde, une érudition choisie, un coup d'œil sûr et fin, lui permettent de rendre de véritables services dans un poste qui exige à la fois des connaissances nombreuses, variées, et un grand tact pratique. Ce choix, qui fait honneur au discernement de M. Cousin et à sa fermeté, amène une vacance dans le sein du Collége de France, car M. Rossi, nommé membre du conseil royal, a donné sa démission de professeur d'économie politique. Les deux candidats désignés par l'opinion pour recueillir son héritage étaient M. Blanqui et M. Michel Chevalier. M. Blanqui, avec un désintéressement judicieux, a déclaré qu'il ne voulait pas cumuler les deux seules chaires d'économie politique qui existassent dans le pays, et qu'il ne désirait pas non plus quitter pour une autre situation l'enseignement du Conservatoire des Arts et Métiers. Le professeur du Conservatoire a raison de ne pas vouloir abandonner une chaire où il a conquis une réputation méritée, et dont la spécialité toute pratique et populaire convient à la nature de son talent. L'enseignement plus théorique du collège de France sera, nous le pensons, tout-à-fait en rapport avec l'esprit, et nous dirons presque, quoiqu'il s'agisse d'économie politique, avec l'imagination de M. Michel Chevalier. Le jeune et célèbre auteur des Lettres sur l'Amérique du Nord n'est pas encore nommé, comme l'avaient annoncé quelques journaux, puisque le gouvernement ne peut nommer que sur la double présentation du College de France et de l'Institut, et c'est seulement à la rentrée du

Collège de France que la présentation peut avoir lieu. Mais nous croyons au succès de la candidature de M. Michel Chevalier. Que peut-on faire de mieux que d'élever à l'enseignement supérieur les jeunes hommes d'un esprit original, qui désirent confirmer par de nouveaux travaux une réputation déjà brillante. Il est de l'intérêt des corps enseignans de se recruter parmi les individualités notables.

Le ministre de l'instruction publique vient d'arrêter, au sujet du baccalauréat-ès-lettres quelques innovations utiles. Les épreuves seront entièrement publiques, et les candidats seront interrogés aussi bien sur les classiques de notre littérature que sur les classiques de l'antiquité. Cette dernière disposition est excellente. Elle forcera la jeunesse studieuse d'approfondir de bonne heure l'étude de nos grands hommes, de nos prosateurs, de nos poètes. Que de jeunes gens arrivent aujourd'hui à la fin des classes supérieures avant d'avoir fait connaissance avec l'Esprit des Lois, ou les Pensées de Pascal! Ils seront désormais obligés de rechercher par eux-mêmes tout ce qu'il y a d'art et de grandeur dans les chefs-d'œuvre de notre prose et de notre poésie.

Nous ne saurions parler des intérêts du haut enseignement, sans rappeler ici l'hospitalité scientifique que Berlin vient d'offrir aux frères Grimm. Le roi de Prusse appelle dans sa capitale les exilés de l'université de Goettingue. Cette généreuse conduite de Frédéric-Guillaume IV lui assure les respectueuses sympathies du monde savant, même hors de l'Allemagne.

THEATRES.

Il y a trois ans, lorsque Me Taglioni quitta notre Académie royale de Musique pour l'Opéra de Saint-Pétersbourg, Paris, tout en saluant de la façon la plus fleurie et la plus pompeuse le départ de sa danseuse favorite, ne put dissimuler cependant une légère mauvaise humeur. Paris parlait tout bas de l'inconstance et de l'ingratitude des sylphides; il disait que c'était presqu'un crime de sacrifier à l'étranger un pays auquel on devait tant de triomphes et tant de gloire. Il en voulait à la bayadère de préférer l'or aux couronnes : en quoi Paris avait tort, car Mlle Taglioni, au contraire, quittait Paris à regret et la mort dans l'ame. Elle aussi, de son côté, sans oser toutefois se plaindre à voix haute, parlait d'inconstance et d'ingratitude; mais c'est à Paris que le

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