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dans la chute subite d'un de ses hommes d'état qui comprend le mieux ses besoins et son génie! La logique de la haine n'est pas heureuse. M. Thiers a exprimé ses sympathies pour l'alliance anglaise; il a été sur ce point d'accord avec la majorité des deux chambres. Mais quelle concession impolitique, quel sacrifice fâcheux a-t-il faits à cette alliance? Il a toujours su, par ses actes et ses paroles, la contenir dans de justes bornes: avons-nous moins étendu notre puissance en Afrique? Retirons-nous notre influence et nos vaisseaux des parages de l'Amérique du sud? Avons-nous fléchi dans la question même de l'Orient, et la rupture avec l'Angleterre, si elle doit éclater, ne sortira-t-elle pas de notre refus de nous joindre aux oppresseurs de Méhémet-Ali?

La France n'a rien cédé, et le pacha d'Egypte n'a rien perdu. Méhémet-Ali trouve cet avantage dans la convention de Londres, que la France est engagée à se déclarer de plus en plus sa protectrice et son alliée, et nous, de notre côté, nous sommes avertis, nous sommes excités. Ce changement de scène n'empire pas la situation. Notre diplomatie a épuisé tous les moyens de gagner du temps, elle n'a rien épargné pour ajourner un éclat, elle ne s'est pas laissée surprendre, puisqu'elle a lutté jusqu'au bout. Mais désormais nous verrons plus clair, et nous pourrons nous mouvoir plus à l'aise. La convention de Londres ne fait pas triompher nos adversaires; elle les démasque.

L'Europe verra notre attitude avec quelque respect. Nous n'éclatons pas en récriminations déclamatoires, en injures furibondes; nous agissons avec une fermeté simple. Tout dénote dans la marche du cabinet de la résolution sans emportement, de la modération sans faiblesse, et, ce qui est plus précieux que jamais, un accord complet avec la royauté. Le pays peut prendre quelque confiance dans les mesures que le président du conseil et la couronne auront arrêtées de concert. Organiser la guerre et maintenir la paix jusqu'aux dernières limites de l'honneur et du possible, tel est le double thème de notre politique, il exige un égal mélange de vigueur et d'habileté. De belles chances de paix existent encore; l'intérêt de l'Angleterre trouvera de puissans organes dans le parlement : l'intérêt général de l'Europe ne manquera pas non plus d'appréciateurs éclairés sur les trônes et dans les cabinets. En Belgique, le roi Léopold pourra être un utile intermédiaire entre Londres et Paris; il peut réparer quelques-unes des étourderies de lord Palmerston.

Quoi qu'il arrive, les évènemens ne nous trouveront ni désarmés, ni désunis, ni impuissans. La France peut faire la guerre. Pendant les dix ans qui se sont écoulés depuis sa révolution, elle a recueilli ses forces, mûri ses idées, transformé son effervescence. Elle ne veut pas exercer de propagande, mais maintenir sa puissance; elle ne songe pas à promener sur l'Europe une dictature insolente, mais à y exercer l'influence à laquelle elle a droit par ses services et sa grandeur. Elle a jugé les partis qui se sont combattus dans son sein et qui peuvent s'y agiter encore; elle a pénétré leurs intentions, elle sait leur portée, elle les domine tous. Elle a acquis la conviction que les institutions dont elle jouit sont aujourd'hui les seules possibles; avec elles et par elles, elle peut faire la guerre. C'est donc à tort qu'une feuille qui prend à tâche ordinairement d'exalter les sentimens d'honneur national met au défi notre gou

vernement d'accepter la guerre et de s'y résoudre. Non-seulement dans ce langage il n'y a pas de patriotisme, mais il y a un faux jugement porté sur la situation la royauté de 1830 peut faire la guerre.

La France, Dieu merci, ne ressemble pas à l'Espagne; elle a une organisation forte, que ne peuvent troubler à leur gré les tendances anarchiques des factions. Quand on considère le malheureux état de la Péninsule, on ne peut assez déplorer cette interversion des idées politiques qui pousse de prétendus amis de la liberté espagnole à s'opposer aux efforts que fait le gouvernement pour jeter les bases d'une centralisation nécessaire. L'Espagne n'est pas aujourd'hui un pays politiquement constitué, mais une agrégation de municipalités rivales qui se jalousent et veulent s'ériger toutes en des centres indépendans. Il n'y a pas en Espagne un gouvernement, il y a autant de gouvernemens que de municipalités. En Espagne, chaque municipalité pouvait autrefois leverdes troupes et percevoir des impôts; elle dispose encore aujourd'hui des fonds communaux sans en rendre compte au gouvernement. Cet état de choses ne constitue pas un ordre démocratique tel qu'on peut l'entendre d'après les principes de notre révolution; il en est, au contraire, la négation la plus formelle. Aussi, quand le dernier ministère espagnol qui vient de tomber devant l'émeute de Barcelone avait, de concert avec les cortès, élaboré une loi sur les ayuntamientos, par laquelle il combinait l'action du gouvernement central avec les franchises des villes, il était révolutionnaire; car, s'il agissait contre quelques vieilles libertés, il travaillait à établir la liberté constitutionnelle. Aussi tout ministère maintiendra la loi sur les ayuntamientos, ou quelque chose d'équivalent; y renoncer, c'est accepter la dissolution de la monarchie. Le nouveau cabinet sorti de l'insurrection n'est pas encore en exercice : les cortès se sont ajournées sur la proposition d'Isturitz, qui leur a demandé de suspendre leurs séances jusqu'à ce qu'il y ait un ministère en état d'assister aux débats parlementaires. Il y a, dans les termes de cette motion, un assez grand dédain pour le nouveau ministère, qui, d'un autre côté, paraît déjà exciter les mécontentemens des exaltados les plus prononcés. Il est fort possible que la force des choses remette bientôt le pouvoir entre les mains d'Isturitz et de ses amis. Espartero a déjà perdu la plus grande partie de son ascendant. Il n'a su être franchement ni pour ni contre la royauté; il a affaibli la couronne d'une manière presque irréparable en s'en séparant, puis il s'est vu dans la nécessité de défendre les jours de la reine; il a jeté le pouvoir dans la rue sans oser le ramasser, et peut-être aujourd'hui il est sans force pour le maintien de l'ordre comme sans popularité auprès des anarchistes. On conçoit qu'au milieu de ce chaos Christine puisse prendre dans un dégoût profond les fonctions de régente. Impuissante comme reine, outragée comme femme, elle n'a plus, pour la retenir sur le trône, que ses sentimens et ses devoirs de mère. Elle a dû tomber dans un découragement d'autant plus douloureux qu'elle avait conçu de plus brillantes espérances après la dispersion des bandes carlistes; elle avait cru à la force du parti modéré sur tous les points de l'Espagne, à la loyauté et à l'étoile d'Espartero. Les excès de Barcelone et l'incapacité du duc de la Victoire l'ont cruellement déçue.

Paris ne perdra pas le souvenir de la belle cérémonie du 28 juillet. Jamais solennité religieuse n'a été célébrée avec plus d'éclat et de pompe. Quarante mille gardes nationaux ont accompagné les mânes de ceux qui ont noblement succombé dans la révolution de 1830. Une population innombrable complétait par son recueillement pieux la grandeur de ce spectacle. Il eût été difficile à une effervescence inconsidérée ou à des passions perverses de porter sérieusement le trouble dans les rangs des citoyens qui marchaient avec le calme de la force. Dans un moment où l'on a cru à une espèce d'alerte, la garde nationale a fait halte, et a mis ses baïonnettes au bout des fusils avec une fermeté bien faite pour décourager tous les mauvais desseins. M. le ministre de l'intérieur avait tout prévu, tant pour la magnificence de la cérémonie que pour le maintien de l'ordre dans la grande cité. Le pouvoir a su remplir dignement un devoir sacré : c'était une dette que la révolution de 1830 devait acquitter, que d'accorder à ceux qui sont morts en combattant une sépulture définitive et nationale. Cette imposante solennité avait le mérite de montrer que les gouvernemens libres ne sont ni oublieux ni ingrats.

L'Angleterre vient de perdre un de ses hommes d'état sur la tête duquel elle avait mis pendant un moment les plus hautes espérances. Lord Durham a succombé dans un âge très peu avancé, à quarante-huit ans. Un caractère énergique mal servi par une santé faible, une ambition profonde, des passions vives contenues avec effort, une opiniâtreté altière, une vanité qu'il n'était que trop facile d'irriter et de séduire, voilà ce qu'on a pu remarquer dans la carrière politique du gouverneur du Canada et de l'ambassadeur près la cour de Russie. On se rappelle qu'il brisa lui-même l'autorité dont il avait reçu le dépôt, et se démit d'un pouvoir qu'il ne trouvait pas assez souverain, assez dictatorial. En Russie, l'empereur Nicolas sut l'environner de tant de séductions que le whig orgueilleux quitta Saint-Pétersbourg partisan enthousiaste du czar. La vivacité de son admiration ne fut pas en Angleterre une cause médiocre d'étonnement et d'impopularité. Lord Durham avait des qualités brillantes, mais cependant elles étaient inférieures au rôle qu'on put lui croire un instant destiné par les circonstances. Les radicaux s'imaginèrent pendant quelques momens qu'ils avaient trouvé dans lord Durham un chef de parti capable de les conduire et de les faire monter au gouvernement. Mais on comprit bientôt de part et d'autre qu'on s'était trompé : ni les radicaux ne voulurent servir de marche-pied, ni le noble lord d'instrument.

Dans la

THÉORIE CATHOLIQUE DE LA SOCIÉTÉ, par M. l'abbé Baret. vie des peuples comme dans celle de l'homme, il y a toujours un singulier et perpétuel retour de calme et de souffrance, de bonnes et de mauvaises passions, de mal et de bien. Quand les esprits sérieux, affligés du mal, cherchent le remède et la voie du bien, ils arrivent presque toujours à l'impuissance ou se perdent, sans aucune espèce de résultat pratique, dans de vaines et inapplicables théories. C'est qu'en politique peut-être il n'y a point de vérités

absolues, mais, avant tout, des passions et des intérêts. Ceux-là même que l'élévation de leur pensée a placés sur les hauteurs et qui dominent, ont souvent devant les yeux leur rideau de nuages et de brouillards, et il y a presque toujours au fond des convictions une manière de voir et de juger qui tient à la position même, qui échappe, mais qui n'en détermine pas moins les sympathies ou les répugnances. Chacun poursuit sa chimère; chacun suit, en croyant plus ou moins fidèle, son évangile social; et cet évangile, pour le grand nombre, c'est tout simplement le premier-Paris du journal quotidien. Utopistes et socialistes, nous ouvrons les ailes à tous les songes sans trop savoir où le vent nous poussera. Les uns rêvent l'âge d'or et ses ruisseaux de miel, d'autres 93 et ses ruisseaux de sang. Heureusement, le passé ne se refait pas ainsi à plaisir, les théories menaçantes et terribles ne se réalisent qu'à des heures marquées, et qui passent vite; les théories de l'âge d'or, les bergeries sociales, ne se réalisent jamais. Thomas Morus propose un roi couronné d'épis, Fénelon établit une magistrature de vieillards, l'abbé de Saint-Pierre rêve la paix universelle, Fourier rêve des phalanstères, et ses successeurs prêchent le garantisme. Mais les rois gardent leur couronne d'or; le silence se fait autour de la vertueuse mémoire de Fourier, et le monde va toujours comme par le passé, avec ses éternels retours de bien et de mal. Faut-il conclure de là que le monde est incorrigible, et qu'il en est quelque peu de la réforme sociale comme de la réforme des prisons? Parturiunt montes. Non, certes. Mais il n'est donné qu'à de bien rares élus d'exercer sur la société une influence immédiate, puissante, visible à tous. Pour un messie, que de faux prophètes! Il convient donc d'être sévère et défiant à l'égard de ceux qui tentent, en économie sociale, les brusques hasards des voies nouvelles, fussent-ils même des esprits du premier ordre. On doit néanmoins accueillir aussi avec indulgence et encourager les méditations des hommes sérieux qui, sans aspirer au rôle transcendant de réformateur, s'inquiètent de la marche et des embarras de la société, et s'efforcent d'y apporter quelques remèdes.

Il a paru dans ces derniers temps un livre de M. Lacordaire, qui tendait à opérer une révolution sociale par la foi, révolution dont l'ordre de Saint-Dominique restitué eût été, à son sens, le levier le plus puissant. C'est aussi le projet d'une réforme sociale par la foi qui a occupé M. l'abbé Baret. Mais avant de songer, comme M. Lacordaire, à l'instrument actif, M. Baret a formulé tout son système, qui consiste à régir la société par une politique tirée de l'Écriture, et à l'appuyer sur Dieu, le roi et la liberté. C'est là, sans contredit, un estimable système, et M. Baret fait preuve de généreux instincts, d'un vif enthousiasme pour le bien, que relèvent un style coloré et des éclats d'imagination. Malheureusement, peuple sceptique, nous avons porté la main sur l'arche sainte, nous avons douté de nos dieux, et il faudrait un souffle bien puissant pour ranimer ces étincelles éteintes. Hélas! sous nos cendres et nos ruines, il faudrait surtout plus que de mystiques élans pour nous arracher à notre impénitence. L'utopie de M. Baret, malgré son onction, n'aura donc guère plus d'influence qu'une élégante homélie, et trouvera, nous en sommes certains, bien des incrédules.

F. BONNAIRE.

MARIE VAN OOSTERWYCH.

Pourquoi rougissez-vous en me parlant de lui, Marie? Est-ce que vous ne pensez plus que l'amour des arts doit être votre seul amour? -Toujours, mon maître; mais ce jeune homme a du talent, et j'aurais voulu pour lui que vous eussiez consenti à l'accepter comme élève.

- Pour lui seulement, Marie?

La jeune fille courba la tête, et le vieillard continua en la baisant au front:

-Ma noble enfant, je regrette de lui avoir interdit l'entrée de mon atelier, car je t'aime trop pour te faire de la peine, même dans la personne d'un autre.

Et sans attendre la réponse de Marie, celui qui parlait ainsi, posant une palette et les pinceaux qu'il tenait à la main, courut vers la porte de l'atelier, et, l'entr'ouvrant, il appela plusieurs fois une personne qui descendait l'escalier.

Ce maître tout paternel, ce vieillard qui comprenait si bien uo cœur de jeune fille, c'était Jean-David de Heem, peintre célèbre d'Utrecht, à qui tous les souverains de l'Europe avaient envoyé des lettres de noblesse, et qui excellait à peindre les fleurs et les vases précieux où elles s'épanouissaient.

L'artiste avait fondé à Utrecht une école renommée, où les talens naissans venaient se développer. L'œil du maître savait deviner le génie encore en germe, et l'élève qui possédait ce don précieux était

TOME XX. AOUT.

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