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core ni rencontré d'obstacle, ni vu l'ennemi, n'a

pas

vaient dû consommer, à ce qu'il semble, l'oubli de sa foi.

>> Il est triste pour la loyauté humaine d'être obligé de dire qu'il en fut autrement.

>> Cinq jours seulement après de telles promesses faites à son maître, qui l'avait comblé d'affection et de confiance, et qu'il avait trompé par l'expression démesurée peut-être d'un sentiment dont le monarque ne lui demandait pas l'espèce de preuves qu'il en offrait, le maréchal Ney trahit sa gloire passée, non moins que son Roi, sa patrie et l'Europe, par la désertion la plus criminelle, si l'on songe au gouffre de maux dans lequel elle a plongé la France, dont le maréchal, autant qu'il était en lui, risquait de consommer la perte, en même temps que, sans nulle incertitude, il consommait celle de sa propre gloire. Ajoutons même qu'il trahit sa propre armée restée fidèle jusque-là; sa propre armée, dans laquelle le gros des soldats savait résister encore aux brouillons et aux mauvais esprits, s'il en était qui cherchassent à l'agiter; sa propre armée, qu'il est apparent qu'on aurait vue persister dans cette loyale conduite, si elle eût été assez heureuse pour s'y voir confirmée par l'exemple d'un chef dont le nom et les faits militaires commandaient la confiance aux soldats; sa propre

armée enfin, qu'il contraignit, en quelque sorte, par les provocations dont il va être rendu compte, à quitter de meilleures résolutions pour suivre son chef dans la route du parjure où il l'entraînait après lui.

» On vient de dire que le maréchal Ney n'avait pas vu l'ennemi.

» On s'est trompé. Il ne l'avait vu que trop : non pas, il est vrai, comme il convient aux braves, en plein jour et au champ d'honneur, pour le combattre et le détruire, mais, comme c'est le propre des traîtres, au fond de sa maison, et dans le secret de la nuit, pour contracter avec lui une alliance honteuse, et pour lui livrer son Roi, sa patrie, et jusqu'à son honneur.

» Un émissaire de cet artisan des maux de l'Europe, encore plus habile à tramer des fraudes et des intrigues qu'à remporter des victoires, était parvenu jusqu'au maréchal dans la nuit du 13 au 14 mars dernier. Il lui apportait une lettre de Bertrand, écrite au nom de son maître, dans laquelle celui-ci appelait le maréchal le brave des braves, et lui demandait de revenir à lui.

>> S'il est vrai que le maréchal jusque-là ne fût encore entré dans nul complot, il n'en fallut pas davantage du moins pour qu'il consentît à trahir ses sermens. Sa vanité fut flattée; son ambition se

réveilla; le crime fut accepté et ce ne fut pas plus tard qu'au lendemain matin qu'en fut renvoyée

l'exécution.

» Le lendemain matin, 14 mars 1815, il révéla cette disposition, nouvelle en apparence ou en réalité, aux généraux de Bourmont et Lecourbe.

>> Ceux-ci ont affirmé qu'ils firent leurs efforts pour lui donner de l'horreur d'une telle résolution; tout ce qu'ils purent lui dire pour l'en pénétrer fut inutile.

» Il les entraîna sur le terrain où il avait ordonné à ses troupes de se former en carré, et là il lut luimême aux soldats la proclamation suivante :

ORDRE DU JOUR.

Le maréchal prince de la Moscowa aux troupes de son gouver

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nement.

« Officiers, sous-officiers et soldats,

>> La cause des Bourbons est à jamais perdue! » La dynastie légitime que la nation française a adoptée va remonter sur le trône : c'est à l'em» pereur Napoléon, notre souverain, qu'il appar>> tient seul de régner sur notre beau pays! Que >> la noblesse des Bourbons prenne le parti de s'ex>> patrier encore, ou qu'elle consente à vivre au >> milieu de nous, que nous importe ? La cause

» sacrée de la liberté et de notre indépendance >> ne souffrira plus de leur funeste influence. Ils » ont voulu avilir notre gloire militaire; mais ils » se sont trompés: cette gloire est le fruit de trop » nobles travaux, pour que nous puissions jamais >> en perdre le souvenir.

» Soldats! les temps ne sont plus où l'on gou» vernait les peuples en étouffant tous leurs droits : » la liberté triomphe enfin, et Napoléon, notre >> auguste empereur, va l'affermir à jamais. Que » désormais cette cause si belle soit la nôtre et >> celle de tous les Français ! Que tous les braves » que j'ai l'honneur de commander se pénètrent » de cette grande vérité!

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>> Soldats! je vous ai souvent menés à la vic» toire; maintenant je veux vous conduire à cette phalange immortelle que l'empereur Napoléon >> conduit à Paris, et qui y sera sous peu de jours; » et là, notre espérance et notre bonheur seront » à jamais réalisés. Vive l'empereur!

>> Lons-le-Saulnier, le 13 mars 1815.

» Le maréchal d'empire,

» Signé prince DE LA MOSCOWA. »

» On peut juger de l'effet que dûrent produire sur la masse des soldats cette conduite et ces ordres d'un chef révéré,

» La surprise, d'ailleurs, eût pu of érer les mauvais effets qu'il est hors de doute qu'on avait déjà préparés par d'autres moyens. Ces moyens toutefois avaient si peu obtenu un plein succès, et les troupes auraient été si faciles à maintenir dans un devoir qu'en effet le cœur des Français n'est pas fait pour trahir, quand la perfidie ne cherche pas à les égarer, qu'au dire d'un témoin entendu dans la procédure du conseil de guerre ( le chef d'escadron Beauregard), tandis que les soldats qui étaient plus près de leur général, entraînés par les séductions de l'obéissance, répétaient le cri de rébellion 'qu'il avait jeté: vive l'empereur! les soldats, plus éloignés, fidèles au mouvement de leur cœur et à l'honneur français, et qui étaient loin de supposer l'exécrable action du maréchal Ney, criaient vive le Roi!

» L'égarément même, dans ces premiers momens, fut si loin d'être universel, que, selon le même témoin, beaucoup d'officiers et de soldats indignés sortirent des rangs.

» Pendant que la consternation, selon que l'ont attesté aussi trois autres témoins, les comtes de Bourmont, de la Genetière et de Grivel, était dans l'âme des généraux et d'un grand nombre d'officiers et soldats, on s'empressa, pour achever l'erreur des troupes, de leur offrir l'appât le plus

TOME II.

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