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séduisant pour les hommes privés d'éducation, celui de la licence, du pillage et de l'ivresse. Sous prétexte de détruire les signes de la royauté, dont le maréchal Ney venait de proclamer l'anéantissement, on leur permit de se répandre dans la ville, et de s'y livrer aux excès qui devaient achever de perdre leur raison et de les fixer dans leurs torts, par la mauvaise honte d'en revenir après s'y enfoncés.

être

trop

» Cette mauvaise honte, malgré l'influence d'un tel chef, ne retint pas pourtant quelques âmes élevées et quelques cœurs droits: tant il est permis de croire que, si le maréchal eût été fidèle lui-même, une armée dans laquelle tout le pouvoir de son exemple trouvait pourtant de si grandes résistances, fût elle-meme, sans ses perfides provocations, devenue, par son dévouement au Roi, l'honneur de la France; en sorte que toute la honte de sa conduite retombe véritablement sur le chef parjure qui fourvoyait la raison et la loyauté instinctive de ses soldats!

» Un grand nombre d'officiers, stupéfaits de n'avoir plus de chef, se retirèrent, comme le lieutenant-général Delort, le général Jarry, le colonel Dubalen, etc. MM. de Bourmont et de la Genetière se séparèrent avec une sorte de désespoir d'un général qui ne jouait plus, auprès

de ses subordonnés, que le rôle d'un corrupteur. Le comte de la Genetière lui écrivit même avec amertume la lettre suivante, qu'il faut recueillir comme une circonstance propre à diminuer l'espèce de flétrissure imprimée sur les troupes par une défection dont il est facile de juger que la surprise ne fut pas une des causes les moins agis

santes.

«Ne sachant pas transiger avec l'honneur, et » ne me croyant pas dégagé des promesses solen>> nelles que j'ai faites au Roi, entre les mains de » S. A. R. MONSIEUR, lorsqu'il me reçut che»valier de Saint-Louis ; ne pouvant, d'après mes principes, continuer plus long-temps des fonc»tions préjudiciables à l'intérêt de mon prince,

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je quitte l'état-major et me rends à Besançon. >> J'ai eu long-temps l'honneur de servir sous vos » ordres, Monsieur le maréchal; aujourd'hui je » n'ai qu'un regret, c'est celui de les avoir exécu»tés pendant vingt-quatre heures. Mon existence pût-elle être compromise, je la sacrifie à mon » devoir. »

» Voilà le cri de l'honneur français !

» Voilà la conduite qui console, et des erreurs d'autres officiers, ou même des erreurs commises par ceux-là mêmes qui savent les réparer si noblement et si vîte!

>> Voilà aussi les sentimens qui révèlent les intentions qu'au milieu de nos observations politiques conservèrent les braves, dont le courage ne vit que la patrie dans les guerres où ils furent engagés, et dont la gloire, en effet, lorsqu'elle fut accompagnée d'une telle droiture, dut être adoptée par le Monarque, quoiqu'elle ne fût pas toujours acquise en défendant sa cause.

Sur-le-champ M. de la Genetière passa sous les ordres de M. Gaëtan de la Rochefoucauld, dont il suffit de prononcer le nom pour réveiller le souvenir de son dévouement.

>> D'autres officiers sortirent aussi de sous les ordres du maréchal, MM. de Bourmont et Lecourbe revinrent à Paris.

>> Le baron Clouet, son propre

aide-de-camp,

lui demanda de le quitter, et le quitta en effet.

» Leçons bien amères données au chef par ses inférieurs, et dont il eût dû profiter pour réparer ses fautes par un prompt retour aux conseils de l'honneur !

>> C'est ce que ne fit pas le maréchal Ney: il s'enfonça de plus en plus dans la trahison.

» Le jour même où il lut sa proclamation à ses troupes, il donna l'ordre écrit de faire marcher toutes celles qui se trouvèrent sous ses ordres les réunir à celles de Buonaparte.

pour

>>> La nuit qui suivit, il envoya M. Passinges, baron de Préchamp, à Buonaparte, pour lui apprendre ce qu'il avait fait.

» Le jour d'après, pour achever de séduire M. de la Genetière, il lui montra la lettre de Bertrand, qui lui disait contenir l'assurance que tout était convenu avec le cabinet de Vienne.

» Le même jour, il fit imprimer, et mettre à l'ordre de l'armée, la proclamation qu'il avait lue la veille, pour que le poison pût s'en propager avec plus de facilité, et qu'il arrivât jusqu'à ceux qui avaient été assez heureux pour ne pas en en

tendre la lecture.

» Dès le 14, le maréchal avait voulu séduire le marquis de Vaulchier, préfet du Jura, et l'engager à gouverner pour Buonaparte. Sur l'horreur que ce magistrat fidèle lui manifesta, il lui dit même que cette horreur était une bétise. Dans la nuit du 14 au 15, il lui en donna l'ordre par écrit, que ce préfet montra même à M. de Grivel,

>> Les jours suivans, il s'occupa d'insurger tous les pays où il passait, et d'y faire imprimer sa proclamation: il y en eut une édition à Dôle.

» Le 19 mars, il décerna un ordre d'arrestation contre ceux des officiers - généraux et magistrats dont la résistance avait été la plus marquante,

et à qui il ne pardonnait pas, soit de l'avoir abandonné, soit d'avoir résisté à ses ordres ; savoir :

MM. de Bourmont, Lecourbe, Delort, Jarry, la Genetière, Durand, Duballen, son propre aidede-camp Clouet, le comte de Scey, et le commandant d'Auxonue.

» Il écrivit au duc de Bassano, par ordre de Buonaparte, de suspendret outes mesures à Paris ; ce qui s'entend sans doute de quelques mesures qui avaient été méditées par cet usurpateur, s'il eût éprouvé quelque résistance.

.

I osa même écrire aux maréchaux ducs de Reggio et d'Albuféra pour leur transmettre des ordres de Bertrand.

>> Il donna l'ordre au commandant d'Auxonne de rendre sa ville aux troupes de Buonaparte; et ce fut même pour punir l'indocilité honorable de cet officier, que peu de jours après il inscrivit son nom dans la liste de ceux qu'il ordonnait de priver de leur liberté.

» Il faut s'arrêter ici.

>> Toute la France, toute l'Europe a su que, depuis, le maréchal Ney a persisté avec éclat dans sa rébellion; mais tous les faits qui se rattachent à sa conduite ultérieure, n'étant que la conséquence de sa première trahison, méritent à peine

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