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moral, qui était l'amour du Roi, la haine de Bonaparte, à l'état tout contraire, du moins à l'extérieur, d'ennemi de son Roi, et de créature livrée à Bonaparte.

» On nous le demande ! Eh! sans doute, il y a du côté des accusateurs une sorte de droit à nous interpeller à cet égard: il doit y avoir de la part de tous ceux que ce grand procès attache, et qu'il trouve ou prévenus, ou simplement indécis, une grande impatience d'entendre quelles raisons nous pourrons alléguer.

» Je ne prétends pas, Messieurs, avoir la puissance, je ne crois pas même avoir, dans la sphère où je suis placé, ni les documens, ni toutes les facultés de dire qui me seraient nécessaires, pour rendre le compte plausible d'un phénomène sur lequel peut-être la postérité seule pourra être fixée.

» Il est, dans l'ordre politique comme dans l'ordre de la nature, de ces incidens inexpliqués qui confondent la raison humaine, et dont il se peut que la Providence permette à la justice des hommes de ne pas démêler les véritables causes. Je me garderai donc bien, moi faible individu, de parcourir içi la légende plus ou moins apocryphe plus ou moins équivoque, des conjectures qui

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ont été formées concernant le reto r si épouvantablement désastreux de Bonaparte,

» Je parle à des jurés que n'édifieraient, sur l'accusation du maréchal Ney, ni les chroniques scandaleuses de quelques nouvellistes, ni les opinions hasardées dans l'une des assemblées politiques, la plus libre, la plus indépendante du globe.

» Il est un ordre de présomptions moins téméraires et plus analogues à la justification morale dont je suis occupé, qu'il est plus sage d'embrasser et de peser par degrés. C'est uniquement celui des causes qui ont opéré par improvisation sur l'entendement du maréchal Ney, jusque-là qu'elles l'ont aliéné, et l'ont transporté brusquement dans une toute autre région, donnant à l'horizon nouvellement aperçu des couleurs toutes nouvelles,

D

Quoi que l'on dise et que l'on fasse, à quelques exclamations que l'on se porte ou de douleur, ou de désespoir, ou de plainte, ou de fureur, jamais on ne parviendra à dissimuler à personne que ce retour de Bonaparte fut marqué au coin de singu larité dont il n'y a pas d'exemple dans les annales du monde : sa coïncidence, quoique fortuite, avec les discussions de Vienne, a frappé plusieurs bons esprits.

» Peu de personnes concevaient et conçoivent encore son évasion de l'île d'Elbe, à la vue d'une

escadre chargée spécialement d'observer tous les mouvemens de cet être audacieux, entreprenant, qui, tant de fois et pendant tant d'années, avait agité, bouleversé le globe, placé malheureusement trop près du continent pour que la proximité ne tenir les observateurs sans cesse éveillés sur ses démarches.

dût

pas

>> On ne concevait pas davantage que Bonaparte, avec sa flotte, eût pu traverser paisiblement, sans le moindre obstacle, les quatre à cinq jours de mer qui séparent l'ile d'Elbe du littoral de la France; qu'il n'eût été vu, visité, arrêté par aucun des bâtimens nombreux, anglais ou français, qui couvraient ces parages; qu'il eût réussi à effectuer sa descente à Cannes, sans qu'aucune des forces qui doivent perpétuellement protéger nos côtes s'y fût opposée.

que

» Tout cela, Messieurs, n'a-t-il pas produit plus

de l'étonnement, et dans toute la France, et au loin chez l'étranger? La seule nouvelle du débarquement n'a-t-elle pas produit une stupéfaction. universelle, un trouble général, qui bientôt a déconcerté toutes les mesures, et rendu nuls tous les moyens de détourner cette calamité ? Pourquoi veut-on que le maréchal Ney, tout seul, se soit défendu de cette sorte de terreur panique; qu'il n'ait pas pu, sans crime, se laisser, le 14 mars, ébranler

par cette apparition imprévue, qui a successivement consterné, paralysé, soumis et réduit au silence, tant de millions d'hommes?

par

le

>>Bonaparte coupable, mille fois coupable envers l'humanité, comme le géniedu mal, semblait avoir pris possession de l'univers. Il l'avait étourdi prestige des conceptions les plus étonnantes; par celui non moins insurmontable du premier succès de son ambition. Sa prodigieuse réputation de gloire, ses nombreux traités avec toutes les puissances, son élévation à l'empire consacrée par la religion, son alliance avec l'une des plus antiques famillessouveraines; tout ce que sa politique avait formé et exécuté d'entreprises colossales, soit au dedans, soit au dehors, laissant des souvenirs encore trop récens, ne disposait que trop les aveugles mortels 1à recevoir, en lui, un homme extraordinaire que son étoile pouvait replacer forcément au poste d'où la force des armes, désormais éloignée, l'avait fait déchoir.

!» Âu 14 mars, en tous cas, aux yeux du maréchal Ney, cette chance déplorable n'était plus incertaine. Je l'ai déjà démontré, la marche triomphale, ou, pour mieux dire, processionnelle et par tourbes, de Bonaparte, sans coup férir, depuis Cannes jusqu'à Lyon; son entrée et son séjour paisible dans cette seconde ville du royaume, avaient

tout entraîné. Désormais la révolution était faite; elle était faite pour cette partie de la France, aussi complètement qu'elle l'a été, six jours après, pour , pour Paris et pour le reste de nos pro

vinces.

>> Prenez maintenant M. le maréchal Ney comme simple militaire, étranger à tous les secrets comme à tous les calculs de la politique, avec ses habitudes contractées depuis vingt-cinq ans, n'ayant vu que son pays sous les formes diverses de gouvernement qui s'étaient succédées. A aucune époque il ne s'est prononcé pour aucun des partis qui se disputaient l'autorité en France; il ne sut que se battre contre les ennemis extérieurs ; il n'a volé à la défense que du territoire : c'est la patrie seule qu'il a considérée, et cette patrie, il l'a toujours vue dans la réunion des volontés agissantes, qui créaient, pour Ini du moins, l'image de la majorité.

» Voilà, Messieurs, des causes générales, qui, sans contredit, ont pu être admises sans nulle intention de crime, et qui ont dû assez naturellement disposer le maréchal Ney à céder au torrent qui est venu l'entraîner.

» J'arrive aux causes particulières qui plus directement ont agi sur sa volonté, et emporté, en quelque sorte, le changement de ses résolutions. Vous allez juger, Messieurs, si, comme

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