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argumentations, veut que, lorsqu'il s'agit d'une accusation contre les ministres, des lois particulières spécifient le délit et en déterminent la poursuite. Mais ici, il ne s'agit que d'une nature de crimes. particuliers, qu'il faut désigner; et ce n'est point là l'espèce présente.

» Dans ce cas, d'ailleurs, il n'y aurait point d'in-convénient à attendre une loi, et il y en aurait beaucoup dans ce moment: car la justice ne doit jamais être interrompue; on ne la suspendit jamais en vain.

>>

Mais, admettons pour un moment l'hypothèse bizarre où l'on voudrait que l'accusé se trouvât placé. Supposons qu'on soit fondé à réclamer la loi qu'on sollicite. Comment peut-elle exister cette loi? Elle exige le concours des trois branches du pouvoir législatif : elle ne peut pas être rendue sans la volonté de la chambre. Eh bien! supposons que vous ou MM. les députés, vous voulussiez user d'un droit constitutionnel qui vous est acquis, celui de ne pas adopter une loi projetée, qui vous est présentée. Si vous refusiez constamment votre approbation à cette loi qu'on demanderait, il en résulterait, d'après le système de l'accusé, qu'il ne pourrait jamais être jugé. Et, par une autre supposition, que je vous prie de me permettre, s'il arrivait que quelqu'un de MM. les pairs se rendit

coupable d'un crime, il ne pourrait donc non plus être jugé, puisqu'il n'y aurait pas de loi qui déterminât les formes dans lesquelles il devrait l'être. Ainsi, après avoir trahi son prince et son pays, un pair ne pourrait pas être atteint par la justice; il jouirait en paix de l'impunité, ou bien, si vous admettiez seulement que la loi devrait être rendue avant de le mettre en jugement, il pourrait, profitant d'un intervalle indispensable, et à l'abri d'une indépendance que vous aurez toujours intérêt de maintenir, il pourrait emporter au dehors les fruits de ses forfaits!

» Certes, il serait superflu de pousser plus avant de pareils raisonnemens; leur absurdité me dispense d'en continuer la réfutation.

>> On voudrait engager la chambre à se dépouiller des attributions qu'elle a acceptées. Je lis alors l'art. 24; admettons pour un instant le système du maréchal, et voyons-en les conséquences effrayantes. Si vous ne pouvez pas juger actu un pair, et qu'il nous faille une loi, où en sera la société ? Un pair pourrait impunément se livrer à tous les crimes, imiter les exemples trop funestes donnés à la France.

» En vain la société réclamerait, il ne pourrait même être arrêté; tel est le texte de l'article, et cet article au contraire doit être une sauve

garde. Il existerait donc une classe impunie et autorisée à tout entreprendre. Cette considération bat en ruine le système du maréchal. Et pourrait-on avancer que ces terreurs sont chimériques; qu'il ne faut qu'une loi pour organiser la chambre? Mais tout délai n'est-il pas la mort de la société? Peut-on admettre un seul jour, où une classe de citoyens pourrait tout se permettre impunément ? Ainsi nulle espèce d'inconvénient pour les ministres, et beaucoup pour les pairs. Ainsi vous avez donc en vous-mêmes tous les pouvoirs nécessaires à l'exercice des fonctions qui vous sont confiées par la Charte. Mais comment les organiser? comment les exercer? Je puis vous citer l'exemple d'un peuple à qui l'on ne reprochera pas de n'être pas jaloux de sa liberté. Quelles lois règlent la marche du parlement? Il ne se conduit que par des traditions réglées par une suite d'exemples. Mais est-il done si difficile de régler la conduite de la chambre? L'on s'en est rapporté à sa sagesse, et l'on a bien fait. Il y a un droit commun aux deux procédures; l'une des jurés, l'autre des cours spéciales: ceux-ci sont juges du fait et du droit; la procédure est commune, sauf le juri. Vous auriez sans peine réglé votre marche. D'abord la marche: 1° elle prescrit la publicité dans tous les procès criminels; 2°. la défense qui est

de droit commun; 3o, l'audition des témoins, débats contradictoires, confrontation. Tout cela est tellement de droit, que vous les auriez adoptés sans l'ordonnance du Roi; mais il existe ailleurs des formes. Ce n'est pas une fraction des pairs. mais la masse entière qui prononce. La Charte le yeut; mais l'ordonnance n'y déroge pas. L'affaire serait donc arrivée vierge devant vous? L'accusé, les témoins auraient comparu, et ensuite les débats auraient été ouverts; car, s'il y avait eu mise en accusation, en prévention même, il aurait fallu scinder la chambre en trois portions. Ainsi la nécessité des choses appelait tout ce qui a été fait. Il faut d'ailleurs des formes qui garantissent la sûreté des citoyens. En effet, douze jurés, inconnus obscurs, sont choisis au hasard; et c'est à leur conscience que le sort de l'accusé doit être livré. Il a donc fallu établir en avant du juri deux garanties: la mise en prévention et la mise en accusation, opérées toutes par des juges différens. Ainsi les garanties étaient là nécessaires. Mais ici peuton les réclamer? Un homme qui a eu l'honneur d'être pair est accusé : c'est devant ses amis, du moins devant ses anciens collègues, devant une grande masse d'hommes dignes, comme ils en sont jaloux, de l'estime publique ; et on réclame des garanties avant leur décision! Il n'y a pas d'homme

qui ne s'estimât heureux de paraître devant un pareil tribunal; et il faudrait, on ose le dire, d'autres garanties auprès d'une garantie aussi solennelle! Aussi est-ce pour cela que la Charte a jugé les précautions inutiles. S'il était possible qu'un tel tribunal n'inspirât aucune confiance, il n'y aurait plus qu'à désespérer d'un pays où de tels hommes n'auraient pu parvenir à l'obtenir. Et l'on veut une loi pour mettre la Charte en action! Mais existera-t-elle? doit-elle exister? Il faut le concours des trois pouvoirs; si l'un d'eux s'y refuse, il n'y aura point de loi, ainsi on ne pourra être jugé. Le pouvoir législatif voudra s'assurer la plus grande indépendance, et, en refusant la loi, vous jouirez de l'impunité. Je ne le prétends pas; mais on me force à supposer l'absurde.

» Je soutiens qu'il n'est pas besoin de loi, et que c'est à vous seuls à régler de quelle manière yous jugerez; et vous le ferez bien, puisque vous réglerez pour vous-mêmes. Vous pouviez faire le règlement que le Roi vous a indiqué, et c'est une question de savoir si vous n'aviez le pouvoir de modifier son ordonnance; mais vous l'avez trouvée sage, et vous l'avez acceptée. Vous avez donc fait tout ce que vous deviez et tout ce que vous pouviez. Mais, fallût-il une loi à l'avenir, elle n'existe pas cette loi; et il faut

pas

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