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que la justice s'exerce. Le maréchal Ney doit être jugé. Il n'a pas voulu l'être par ses pairs en valeur et en gloire, il les a déclinés; il est venu à la chambre dont il réclamait le jugement. Mais aujourd'hui, si l'on admet son déclinatoire, il s'ensuit qu'on ne peut ni l'accuser ni l'arrêter. Si cela pouvait être, l'art. 14 de la Charte donnerait au Roi le remède dans les règlemens pour l'exécution des lois et la sûreté de l'état. Voilà le pouvoir du Roi, et personne ne le lui conteste; car heureusement les chambres savent ce qui se fait. Ainsi les chambres reconnaissent ce que le Roi a dû faire. Si une loi eût été nécessaire, il avait le droit incontestable de faire des règlemens, puisqu'elle n'existe pas.

» Je ne vous parlerai point des officiers ministériels, ni des objets de détail, tels que nullités de procédures, etc., qui ne cadrent en aucune manière avec l'exercice de la grande puissance dont vous êtes investis.

» Je crois avoir démontré qu'il faut une loi, ou qu'il n'en faut pas. Dans le premier cas, à défaut de loi, le Roi a dû et pu faire un règlement; dans le second, tous les argumens des défenseurs de l'accusé tombent d'eux-mêmes.

» Je conclus à ce que, sans s'arrêter ni avoir égard au défaut de pouvoir opposé par les conseils

du maréchal Ney, il leur soit prescrit de présenter cumulativement tous les moyens préjudiciels dans une audience très-prochaine, et qu'il soit ensuite procédé sans délai aux débats. »

Alors M. Dupin s'est levé, et a dit :

« On n'a point répondu en détail à mes moyens. Toutes les objections qu'on a présentées sont générales. On a mieux aimer les arguer de minutie que d'y répondre. Ainsi on a dit d'abord qu'on devait s'attendre à voir l'accusé s'abandonner à la conscience de ses juges.

>> Le maréchal Ney sait bien qu'il ne pourrait trouver nulle part un tribunal plus auguste; et c'est ainsi qu'il a décliné la compétence du conseil de guerre; mais s'ensuit-il que, parce qu'il peut compter sur la magnanimité, l'impartialité de ses juges, il doive renoncer au secours qu'il peut attendre et de nos lois ordinaires et de nos lois fondamentales? Ce qui doit fixer la conscience du juge, c'est l'instruction. Le maréchal Ney ne doit pas être jugé sur des bruits publics, sur des rumeurs populaires, sur de vaines clameurs, sur des articles de journaux. Il faut que ses juges aient fait auparavant tout ce qui était en leur pouvoir pour s'assurer légalement de la vérité. On a dit qu'il voulait s'assurer l'impunité en déclinant votre juridiction; qu'en éloignant le jugement, il voulait

l'éluder; mais il a décliné la compétence du conseil de guerre parce qu'il était contraire à la Charte. L'ordonnance et la chambre l'ont aussi reconnu.' Après avoir réclamé ses juges, ne devons-nous pas réclamer une procédure légale et régulière ? Comment existe la chambre des pairs? Par les art. 33 et 34 de la Charte. Mais par ces mêmes articles la Charte s'étant référée à une loi, elle ne s'est pas référée à une ordonnance, à un règlement. D'après l'article 33, la chambre des pairs connaît des crimes de haute trahison et des attentats à la sûreté de l'état, qui seront définis par une loi.

» C'est donc une loi, rien autre chose qu'une loi qu'il faut pour définir le crime dont le maréchal est accusé, pour tracer les formes de l'instruction. Tous les raisonnemens viennent échouer contre un texte aussi précis. On a rapproché l'art. 56 de l'art. 33, et on a voulu tirer une induction de la différence de ces articles; mais il y a parité entre eux. On a dit que, si la procédure était arguée de nullité, le crime d'un pair demeurerait éternellement.impuni; que quand on voudrait l'arrêter et le poursuivre, il invoquerait l'art. 33 de la Charte : mais avant d'être pair on est citoyen. Si l'exception portée en faveur des pairs n'est pas réglée, ils rentrent dans le droit commun. Si le mode d'arrêter un pair n'est pas fixé, il sera arrêté comme

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les autres citoyens. Où vous êtes un tribunal spécial ordinaire, et alors il faut une loi qui régularise les formes que vous devez suivre; ou vous êtes un tribunal spécial extraordinaire et assimilé à ces tribunaux qui doivent juger des hommes déjà repris de justice et qui portent leur condamnation sur leur tête ; et c'est un homme qui a eu l'honneur de siéger parmi vous, un homme qui a rendu les plus éminens services à la patrie, un maréchal de France qui réunit les premières dignités de l'état,' qu'on voudrait juger de cette manière brand

>> On a dit que de ce que cette loi serait soumise à la chambre des pairs, il résultait qu'elle ne serait jamais portée, parce que cette chambre avait inté rêt de la rejeter. C'est une injure gratuite qu'on a faite à la chambre. Comment supposer qu'elle refuserait une loi aussi nécessaire? et d'ailleurs, si la chambre refusait de consentir à cette loi, il faudrait en conclure qu'elle refuserait de juger le maréchal. e ..

>>On a soutenu que c'était à la chambre à régler sa procédure ; mais ce n'est pas seulement comme pair de France que le maréchal est traduit devant vous, mais encore comme accusé de haute tras hison. La chambre n'a pas seulement juridiction sur ses membres; le législateur lui a aussi soumis en certains cas les autres citoyens.

>> On a soutenu qu'elle aurait pu modifier l'ordonnance, comme elle a pu l'accepter purement et simplement; mais la chambre, ni à elle seule, ni avec le gouvernement, n'aurait eu le droit de faire un règlement de procédure en matière criminelle, puisqu'elle ne l'a pas en matière civile. Ne faut-il pas l'intervention des trois pou voirs pour faire même la moindre modification au Code de procédure civile? La plus légère modification apportée à une loi est un acte des trois branches du pouvoir législatif. Un simple règle ment, une simple ordonnance, seraient insuffisans pour abroger un article de procédure; ils sont insuffisans, à plus forte raison, pour prononcer sur le sort d'un citoyenojnicom den.

Le gouvernement, dit-on,. aurait le droit de faire un règlement pour le salut de l'état. Quoi! le gouvernement aurait-il le droit de faire perdre à un citoyen ce qu'il a de plus cher, la vie et l'honneur?

» Il faut une justice prompte, sans doute ; mais il n'y a pas de justice là où il n'y a pas de loi. 3≫ On: vous a représenté la France et l'Europe attendant votre jugement. C'est parce que la France a les yeux ouverts sur vous, et que l'Europe vous contemple, que vous devez apporter plus d'exactitude et de régularité dans votre délibération.

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