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La combinaison qu'il élabora était encore plus inattendue que son retour aux affaires. Pour la justifier, il mit en avant la nécessité de la défense républicaine.

Dénomination nouvelle et plus saisissante de cette vieille connaissance : la concentration républicaine. Celle-ci s'était donnée comme une méthode permanente de gouvernement. Celle-là ne semblait prétendre qu'à un rôle temporaire, comme la crise aiguë dont souffrait le pays et qu'elle se flattait de résoudre.

L'affaire Dreyfus liquidée tant bien que mal par la grâce présidentielle qui suivit immédiatement la nouyelle condamnation prononcée à Rennes, le ministère Waldeck-Rousseau semblait devoir, ainsi qu'il l'avait presque annoncé lui-même, laisser la place à un gouvernement ayant un programme, une méthode, des principes ou tout au moins quelques idées directrices communes.

Il n'en fut rien. Au procès Dreyfus, le gouvernement fit aussitôt succéder le procès de la Haute-Cour, puis les projets de loi sur le contrat d'association, la réforme des conseils de guerre, et, enfin, le projet sur le stage scolaire.

Par ce dernier projet surtout, l'opinion fut déconcertée. Si deux hommes aussi dissemblables que MM. Waldeck-Rousseau et Millerand

avaient pu s'entendre, sous prétexte de garanties à exiger des futurs fonctionnaires, pour faire consacrer par la loi la plus formelle atteinte à la liberté de penser et aux droits des citoyens, quelle objection pouvait-il y avoir à ce que ces mêmes hommes politiques s'entendissent également dans l'avenir sur la séparation des Églises et de l'État, par exemple, ou bien, dans un autre ordre d'idées, sur l'impôt sur le revenu.

Il n'y avait pas en effet dans les questions laissées de côté d'un commun accord plus de difficultés que dans les questions qu'on s'était décidé à résoudre. Celles-là ne présentaient guère plus d'atteintes au droit individuel ou à la paix des consciences que celles-ci.

Si la prétendue modération des idées du président du conseil n'avait pas été choquée par les unes, pourquoi ne s'accommoderait-elle pas également des autres?

Ainsi, peu à peu, les principes disparaissant, les intérêts prenant leur place et l'objectif unique de constituer une majorité, de l'accroître, et, dans ce but, de prévenir ses désirs après les avoir éveillés, devenant la fin suprême de la politique, il n'y avait aucune raison pour que la combinaison ministérielle de M. Waldeck-Rousseau, qui, jugée aux règles de la logique, ne semblait pas durable en juillet 1899,

ne continuât pas à vivre en octobre de la même année et pendant les mois suivants.

De fait, elle a terminé l'année 1899 et com-mencé l'année 1900, grâce au concours permanent, mais non désintéressé, que les fractions. radicale socialiste et socialiste de sa majorité lui ont prêté dans la Chambre.

Le quasi-asservissement des socialistes, conséquence de la présence d'un des leurs au pouvoir, a été assurément le fait le plus étrange et le plus surprenant de cette année politique.

Cette attitude nouvelle des socialistes est apparue surtout dans les grèves, conduites souvent par eux comme des combinaisons parlementaires, avec plus de souplesse et de ruse que de violence.

Les interventions de la force publique dans les grèves, jadis flétries par les députés et les journaux socialistes du nom déshonorant de provocations policières, ont été plus récemment représentées par les mêmes hommes et les mêmes organes comme de simples malentendus et comme des excès de zèle sans conséquence.

Le langage du bon sens a été ainsi, par tactique, tenu dans des journaux et dans des discours habituellement employés à proférer des appels à l'indignation.

Les grèves ont été d'ailleurs le plus possible limitées et terminées par les mêmes hommes politiques qui jadis les entretenaient avec soin. C'est ainsi que des sentences arbitrales, médiocrement favorables aux ouvriers grévistes, ont pu être, avec succès, représentées au prolétariat moutonnier comme de grandes victoires ouvrières.

Tout cela permet de constater, avec la discipline des troupes socialistes, la responsabilité de leurs chefs dans les grèves, qu'ils peuvent à leur gré rendre violentes ou bénignes suivant qu'il leur plaît ou non de créer des embarras au gouvernement.

C'est un renseignement à la fois intéressant pour le passé et utile pour l'avenir.

Il est bien probable que lorsque M. Millerand ou tel autre socialiste ne sera plus ministre, les revendications de la classe ouvrière seront à nouveau défendues sans ménagement et sans diplomatie.

Nous verrons alors reparaître les sommations impérieuses aux pouvoirs publics, les menaces contre le capitalisme, les interpellations sur les grèves accompagnées des habituelles colères oratoires contre l'intervention des gendarmes et de la force armée dans les conflits d'intérêts patronaux et ouvriers.

L'année 1899, qui restera comme une époque tristement politique et judiciaire, n'a pas été une année législative.

Trop de procès et de projets politiques, peu, très peu de lois, tel est le bilan de cette année, année qui a été une période de déchirements et de désunion pour notre pays.

Puisse l'année 1900 nous apporter un apaisement réparateur qui est dans les vœux de tous ceux qui ne cultivent pas la haine et ne croient pas à sa prétendue fécondité!

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