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composition et de certains actes du cabinet Waldeck-Rousseau.

Si, au mois de janvier 1899, quelqu'un s'était avisé d'annoncer que M. Waldeck-Rousseau, considéré encore à ce moment comme l'espoir des « républicains conservateurs », — suivant l'expression employée jadis par lui-même, et la dernière carte contre le socialisme menaçant de la petite et surtout de la grande industrie, constituerait, moins de six mois plus tard, un ministère dont M. Millerand, le chef du collectivisme, l'auteur du programme de SaintMandé, serait la principale assise, assurément, ce prophète eût été considéré par tous comme un halluciné.

Comment six mois de temps ont-ils suffi à faire passer dans la réalité cette hallucination, à faire prendre corps à ce cauchemar de politicien enfiévré?

C'est dans les événements de la première moitié de l'année politique 1899 qu'il faut en chercher la raison ou, si ce mot ne semble

pas devoir être employé ici

l'origine.

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tout au moins

On peut dire que le projet de loi dessaisissant la chambre criminelle de la Cour de cassation du jugement définitif de l'affaire Dreyfus a marqué, au mois de janvier 1899, la première

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étape du rapprochement entre les socialistes, la plupart des radicaux et un certain nombre de républicains modérés ou opportunistes, appartenant surtout au groupe de ceux qui se disaient le plus volontiers dans les Chambres les disciples de Gambetta.

Battus ensemble, tant à la Chambre qu'au Sénat, par le cabinet Dupuy qui posa sur J'adoption de ce projet de loi la question de confiance, tous ces républicains, d'opinions pourtant si diverses, conservèrent contre le cabinet Dupuy, de son succès et de leur échec, un commun ressentiment qui ne tarda pas à trouver l'occasion de se manifester.

La mort subite du regretté Président Félix Faure, qui ouvrit en février, d'une manière si inattendue, la vacance de la Présidence de la République, fut l'occasion d'une première manifestation commune.

La candidature de M. Loubet, président du Sénat, fut en effet posée et soutenue à la Chambre et dans la presse, à l'instigation principale de ceux qui avaient été les adversaires déclarés de la loi de dessaisissement.

Le Sénat ne pouvait que voir avec satisfaction celui qu'il avait choisi comme son président porté à la première magistrature de l'État.

L'élection de M. Loubet qui, en d'autres temps, eût paru si naturelle à tous, fut le signal de violentes attaques contre lui et contre les Chambres précisément pour les raisons contraires à celles qui avaient désigné le nouveau Président de la République, au choix des adversaires de la loi de dessaisissement.

Encore, bien que M. Loubet n'eût jamais pris parti dans les questions brûlantes soulevées par l'affaire Dreyfus, le fait que son élection avait été vue avec faveur par les dreyfusards lui valut les outrages des antidreyfusards.

A l'aide de ce grossissement monstrueux que donnent aux faits les polémiques de presse et les détestables suggestions de l'esprit de parti, le Président de la République fut bientôt représenté comme le serviteur d'une cause: celle de l'acquittement de Dreyfus à tout prix.

Il convient d'ajouter que les journaux revisionnistes ne négligèrent aucune occasion de couvrir leur campagne, pour ainsi dire, par l'éloge ardent du Président Loubet.

Au milieu du trouble général des esprits, l'occasion parut bonne, soit aux partis hostiles à la République, soit à ceux hostiles seulement à la forme parlementaire du régime républicain, pour tenter un coup de force contre le gouvernement.

Clameurs hostiles dans Paris contre le Président de la République au retour de Versailles le jour de son élection, manifestations nationalistes diverses, embauchage de la brigade du général Roget, à Reuilly, en vue d'un coup de force militaire, tenté par MM. Paul Déroulède et Marcel Habert, telles furent les phases successives du mouvement politique dont l'élection présidentielle du 18 février avait été l'origine.

Une trève se produisit ensuite dans la lutte nouvelle engagée entre les partis, jusqu'à l'arrêt tant attendu de la Cour de cassation sur le procès en revision Dreyfus.

Presque en même temps que le jury de la Seine acquittait à la fin de mai MM. Paul Déroulède et Marcel Habert pour leur tentative avortée le 23 février 1899 à Reuilly, la Cour de cassation prononçait solennellement, par son arrêt du 3 juin, admettant la revision du procès Dreyfus et renvoyant ce dernier, pour être jugé à nouveau, devant le conseil de guerre de Rennes, ce qu'on pouvait croire le dernier mot de cette si longue et si douloureuse affaire.

Dès le lendemain de cet arrêt (4 juin), la trève des partis fut rompue et l'acte d'odieuse violence tenté par un énergumène royaliste, au

champ de courses d'Auteuil, contre le Président de la République, marqua on peut le dire sans exagérer en rien - le début d'une politique nouvelle.

Depuis la loi de dessaisissement, l'opposition contre le ministère Dupuy n'avait fait que croître en importance et en étendue, les uns lui reprochant sa politique de satisfactions alternatives à l'égard de tous les partis, les autres lui reprochant sa faiblesse à l'égard des adversaires du régime républicain.

L'insuffisance des mesures d'ordre, prises à Auteuil, le jour où le Président de la République fut frappé, eût fait tomber le ministère, dès le lendemain, s'il ne s'était défendu devant la Chambre en revendiquant hautement la responsabilité des arrestations d'un certain nombre de sporstmen royalistes, opérées au cours de la manifestation d'Auteuil.

Huit jours après, le cabinet Dupuy tombait, en apparence sur une autre interpellation, mais, en réalité, succombant aux suites du coup de canne de l'agresseur de M. Loubet.

L'opinion générale désigna M. Poincaré comme le futur président du conseil. Ce fut, après la tentative ministérielle infructueuse de celui-ci, la personnalité très inattendue de M. Waldeck-Rousseau qui apparut au pouvoir.

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