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« Art. 2. Un crédit égal aux deux tiers de cette somme est ouvert au ministre des finances, pour servir, en 1837, au paiement des arrérages desdites pensions.

« Art. 3. Il sera pourvu à la dépense autorisée par la présente loi, au moyen des ressources accordées par la loi de finances du 18 juillet 1836, pour les besoins de l'exercice 1837. »>

M. le Président. Ce rapport sera imprimé et distribué.

Renvoi à demain de la présentation du rapport sur des projets de loi d'intérêt local concernant le département du Var et les villes de Lyon, Mâcon et Valenciennes.

M. le Président. La parole est à M. de Gasparin, comme rapporteur de la commission qui a dû examiner 4 projets de loi tendant à autoriser une imposition extraordinaire et des emprunts votés par le département du Var, et les villes de Lyon, de Mâcon et de Valenciennes.

M. de Gasparin, rapporteur. Je n'ai pas pu consulter la commission sur un des 4 rapports que je suis chargé de présenter à la Chambre. Je demande la permission d'ajourner à demain la discussion de ces rapports, afin que je puisse avoir le temps de consulter la commission.

M. le Président. La Chambre voudra sans doute, après la discussion des projets de loi qui sont à l'ordre du jour aujourd'hui, commencer la discussion des projets sur lesquels des rapports lui ont été faits, dans l'ordre dans lequel ces rapports ont été présentés.

Ainsi, l'ordre du jour sera fixé de cette manière, s'il n'y a pas de réclamation contraire. (Appuyé.)

DISCUSSION DES DEUX PROJETS DE LOI
CONCERNANT LA COUR DES PAIRS

M. le Président. L'ordre du jour appelle la discussion des deux projets de loi rapportés dans la séance du 20 avril dernier, et relatifs à la compétence, à l'organisation et aux formes de procéder de la Cour des pairs.

M. le baron de Morogues. Après le grand acte de clémence qui vient, grâce à la magnanimité du roi, de rétablir le calme en France; quand l'esprit de parti a cessé de s'agiter, c'est le moment de fonder des institutions qui doivent assurer le maintien de la tranquillité publique. Il est temps, après cinquante ans de révolution, que notre organisation politique soit assurée, et que, pour obtenir ce résultat, la répression des attentats contre la sûreté de l'Etat soit certaine et prompte. Ce sera de cette certitude et de cette promptitude de répression que dépendront désormais le maintien de la Charte constitutionnelle, la conservation de la dynastie et la prospérité de la France.

Cependant l'expérience a démontré souvent que la répression des attentats contre la sûreté de l'Etat devenait incertaine quand l'opinion publique était momentanément égarée, des jurés, soumis à son influence passagère,

étaient appelés à prononcer sur des accusations de crimes politiques.

La prévention pouvait alors les rendre trop indulgents ou trop sévères. C'est pour obvier à ce grave inconvénient que l'article 3 de la loi de compétence, en appliquant l'article 28 de la Charte, attribue à la connaissance de la Chambre des pairs tous les attentats contre la sûreté de l'Etat, quelle que soit la qualité des prévenus; lorsque cette connaissance est déférée par une ordonnance royale, et qu'elle a jugé qu'à raison de leur nature et de leur gravité, ces attentats sont de sa compétence.

C'est de la possibilité pour le gouvernement d'appliquer cet article de la loi autant de fois qu'il le jugera convenable, que doit dépendre la bonne et sûre administration de la justice politique, c'est de la promptitude avec laquelle il pourra appliquer ce mode de jugement, que dépendra son efficacité et pourtant, la Chambre des pairs, déjà très occupée de ses travaux législatifs, pourrait, dans des circonstances que la loi doit prévoir, se trouver appelée à juger des causes politiques nombreuses, longues et compliquées ; il serait très fâcheux alors que la surcharge de ses travaux retardât l'exercice de sa justice ou le fît paraître impossible, ce serait ôter au gouvernement un moyen certain de répression, et aux accusés un moyen assuré d'une justice bonne, prompte et impartiale.

Il y aurait peut-être possibilité de concilier ces difficultés si, pour l'application de l'article 3 de la loi de compétence, la Chambre des pairs se partageait chaque année par le sort en plusieurs sections qui, au besoin, pourraient être convoquées isolément par le roi et juger aux diverses époques de l'année, à tour de rôle, les attentats contre la sûreté de l'Etat dont la connaissance serait portée devant elles.

Les prévenus pourraient obtenir une garantie complète s'ils étaient mis en accusation par une section et jugés par une autre.

S'il en était ainsi, le grand acte de clémence qui vient d'émaner de la volonté du roi pourrait bientôt atteindre ceux des accusés et des condamnés contumaces auxquels le respect pour la légalité n'a pas permis d'étendre l'amnistie. La Cour des pairs ne peut rester en permanence; elle ne peut à chaque instant être convoquée en entier pour juger; si les prévenus sont obligés d'attendre les réunions législatives des Chambres, pour obtenir jus tice, ce retard leur sera très préjudiciable. La division de la Chambre des pairs par sections susceptibles d'être convoquées séparément et successivement, serait donc pour les accusés non encore jugés et pour les contumaces un véritable bienfait.

L'idée que j'émets ici avec doute et sans prétendre la présenter comme amendement, m'a été suggérée par ce qui existe déjà à l'égard de la Cour de cassation et de toutes les Cours royales qui se divisent en sections ou chambres pour l'administration de la justice; que cette division rend plus prompte et plus facile. L'organisation éventuelle de la Cour des pairs en sections qui ne seraient convoquées qu'au besoin, serait donc l'imitation de ce qui se pratique déjà dans les cours du royaume pour y assurer la bonne et prompte application des lois.

La Charte, en constituant la Chambre des

pairs en cour de justice, n'a rien déterminé sur son organisation; sous ce rapport, je ne pense donc pas que sa division par sections porte atteinte à notre loi fondamentale, pour laquelle je professe le plus grand respect.

Je le répète, je ne prétends point proposer la division de la Chambre en sections, comme un amendement à la loi c'est le seul désir d'une bonne et prompte justice, qui m'a déterminé à livrer mes réflexions à ceux de mes honorables collègues qui, plus habiles que moi dans les formes judiciaires, seront plus à même d'apprécier les avantages et les inconvénients de la mesure dont j'ai cru de mon devoir, comme pair, de leur suggérer la pensée.

M. le Président. Quelqu'un demande-t-il la parole sur la discussion générale.

M. le baron Mounier, rapporteur. Il me semble que la discussion est ouverte sur le premier projet de loi qui concerne la compétence de la Cour des pairs, et que l'observation de l'honorable M. de Morogues porte sur l'organisation de la Chambre et sur son mode de procéder. Je crois donc que ses observations trouveront naturellement leur place lors de la discussion du second projet.

M. Barthe, garde des sceaux, ministre de la justice. Le premier projet est relatif à la compétence; le second est relatif à l'organisation et aux formes de procéder de la Cour des pairs. La commission a suivi cette ligne ; les observations de l'honorable M. de Morogues, portant sur la manière dont il sera procédé doivent donc être renvoyées à la discussion du second projet de loi.

Quant à présent je dois dire que ce fractionnement de la Chambre ne me paraîtrait pas rentrer dans l'esprit du projet du gouvernement, et dans celui de la commission, non plus que dans la Charte. C'est la Chambre des pairs tout entière, constituée en cour de justice qui doit juger, et non la Chambre des pairs fractionnée. Mais, je le répète, c'est lorsqu'il s'agira de la question judiciaire que les observations de M. de Morogues pourront être reproduites.

DISCUSSION DES ARTICLES DU 1er PROJET

(Compétence de la Chambre des pairs).

M. le Président. Je vais donner lecture des articles du premier projet relatif à la compétence de la Chambre des pairs.

Art. 1er.

« La Chambre des pairs connaît, en exécution de l'article 28 de la Charte constitutionnelle, de l'attentat contre la personne du roi, de la reine, de l'héritier présomptif de la Couronne, et du régent du royaume, ainsi que de l'attentat contre les membres de la famille royale. »

M. le Président Boyer a déposé sur le bureau un amendement sur lequel il propose d'ajouter à la fin de l'article: « Dans le cas d'attentat commis contre la personne du roi, la Chambre des pairs connaît aussi du complot ayant eu pour but ledit attentat. » M. le

Président Boyer a la parole pour développer son amendement.

M. le Président Boyer. Le crime d'attentat à la personne du roi, ce crime dont la tentative porte l'effroi dans tous les cœurs, parce que chacun sent qu'il met en péril l'ordre social tout entier, ce crime peut être quelquefois l'œuvre d'un fanatisme individuel, le produit d'une nature féroce, abrutie par des habitudes dépravées et poussée au crime par l'égarement de la misère et du dégoût de la vie qui peut en être la suite.

Mais plus souvent, il faut le reconnaître, c'est à la fureur des partis qu'il doit son origine; le plus souvent l'auteur du fait de l'attentat n'est que le misérable et vil instrument d'un parti politique qui, pour renverser un ordre de choses qu'il abhorre, cherche par l'emploi d'une perfide influence à faire tomber la tête auguste et précieuse en qui se résume et se personnifie en quelque sorte l'être moral et constitutionnel du pays.

Voilà, Messieurs, pourquoi nos lois ont toujours cherché à atteindre, derrière l'auteur visible du régicide, les invisibles moteurs qui ont armé son bras. Voilà pourquoi l'article 86 du Code pénal de 1810, confondant dans sa prévision le complot et l'attentat contre la vie du roi, les confondait aussi sous la même dénomination de crime de lèse-majesté, et leur appliquait la même pénalité.

La législation pénale de 1832, plus indulgente, a distingué sous un rapport l'attentat du complot; elle a placé ce dernier crime à un degré inférieur dans l'échelle des peines, et substitué à cet égard la déportation à la peine de mort.

Mais le dernier Code pénal n'en a pas moins persisté à classer le complot, soit qu'il ait été suivi de quelque acte commis ou commencé pour en préparer l'exécution, soit même qu'il n'ait été suivi d'aucun acte semblable dans la catégorie des crimes contre la sûreté intérieure de l'Etat. Voilà, Messieurs, l'état actuel de la législation. Maintenant, Messieurs, quelle a été votre jurisprudence constante sur ce point? Vous avez pensé que lorsque le complot ayant pour but l'attentat contre la vie du roi n'avait pas été suivi de cet attentat. il n'y avait pas lieu de provoquer votre haute juridiction, et que les tribunaux ciminels ordinaires pouvaient et devaient suffire à la vindicte publique.

Mais lorsque le complot contre la vie du roi se rattachait à un acte réel d'attentat, vous avez embrassé l'un et l'autre crime dans votre compétence, et vous avez statué formellement sur l'un et sur l'autre. C'est ainsi que la Cour des pairs a procédé dans diverses accusations d'attentat et de complot déférées à sa juridiction, et spécialement dans les affaires de Fieschi, de Meunier et de leurs co-accusés, où la question de complot a été posée et résolue avec la même solennité que celle de l'attentat.

Maintenant, voyons quelle est l'économie de la loi qui vous est présentée, et qui est fort courte; elle se compose de trois articles seulement.

L'article 1er soumet à votre compétence l'attentat contre la personne du roi, de la reine, etc. Cet article est, comme vous voyez, entièrement muet sur le cas du complot qui a eu pour but cet attentat.

A la vérité, l'article 2 porte que la Chambre connaît également des crimes contre la sûreté de l'Etat prévus et définis par une série d'articles du Code pénal, au nombre desquels se trouve l'article 89 qui parle du complot ayant pour but l'attentat contre la vie du roi ; mais remarquez que cet article 2 ne ramène ainsi le complot dans votre compétence que lorsque le complot a eu lieu de la part de ces personnages éminents dont le même article donne l'énumération, en sorte que, même dans le cas où l'attentat sur la personne du roi a été commis, si le complot dont il a été la suite n'a eu lieu qu'entre des individus autres que ceux désignés, le jugement de ces individus devra être déféré à une autre juridiction.

C'est cette disposition, Messieurs, entre deux crimes si étroitement connexes l'un à l'autre, ou plutôt entre ces deux éléments d'un même crime, qui me semble contraire, non seulement à l'état de la législation et à votre jurisprudence, ainsi que je crois l'avoir établi, mais aux principes et à l'intérêt bien entendu de la vindicte publique. Comment, en effet, dans le cas d'un attentat contre la vie du roi, qui n'a été que la suite et l'exécution d'un complot tramé dans le but de cet attentat; comment, dis-je, s'assurer de parvenir à la découverte de la vérité, si l'on ne peut mettre les accusés en présence les uns des autres, donner à l'auteur de l'attentat les moyens d'atténuer, s'il est possible, la juste horreur de son crime, en signalant à la face des auteurs du complot les impressions qu'il a reçues d'eux, et aux accusés du complot les moyens de répudier en face de l'auteur de l'attentat cette odieuse participation? Chacun de vous, Messieurs, a pu, dans des circonstances récentes, juger de toute l'importance d'un pareil débat agité simultanément entre des co-accusés chez qui la communauté du crime est souvent loin d'établir celle d'une bienveillance réciproque.

Or, ces principes, cette utilité, cette nécessité d'un débat commun entre les accusés de l'attentat et les accusés du complot sont les mêmes, quelle que soit la qualité des individus; car l'intérêt de la justice est le même dans tous les cas, et lorsqu'il s'agit d'un crime aussi grave que l'attentat contre la personne du roi, d'un crime qui attaque au cœur la vie politique d'un pays, les nécessités de la justice repoussent l'idée d'une disjonction fondée uniquement sur de vaines distinctions sociales, et d'après laquelle l'auteur de l'attentat jouirait du privilège de votre haute juridiction, tandis que les auteurs du complot, par cela seul qu'ils appartiendraient à une des classes inférieures de la société, devraient être renvoyés à une autre juridiction. C'est pour prévenir une semblable anomalie, que la loi nouvelle doit, selon moi, se prononcer formellement et d'une manière générale sur votre compétence à l'égard du complot, lorsque ce complot a été suivi de l'attentat contre la vie du roi.

M. Barthe, garde des sceaux, ministre de la justice. Messieurs, l'amendement a pour objet d'introduire dans le projet de loi du gouvernement et de la commission le complot, qui ne se trouve mentionné ni dans l'un ni dans l'autre. L'honorable orateur a entretenu la Chambre d'une manière spéciale des cas où le complot se rattache à un attentat. Pour ces cas particuliers, je dois dire que l'article de

la commission serait suffisant; car lorsqu'il y a attentat, le complot qui l'a précédé est une circonstance de l'attentat, et par conséquent il est aussi de votre compétence. Mais l'honorable orateur a soulevé une question que je désire moi-même soumettre à la commission. La loi considère les attentats contre la sûreté de l'Etat et divise la compétence en deux classes la compétence nécessaire et la compétence facultative. Le premier article est relatif à la compétence nécessaire l'attentat contre la personne du roi est placé dans la compétence nécessaire de la Chambre des pairs. Vient ensuite l'article 3, relatif à la compétence facultative; il y est question des autres attentats contre la sûreté de l'Etat.

:

Il serait, je crois, utile d'ajouter les complots contre la sûreté de l'Etat comme appartenant à la compétence facultative, lorsque par leur gravité la Chambre des pairs, déjà saisie par une ordonnance, jugerait qu'il lui appartient de les retenir.

C'est dans ce sens que j'appuierai la pensée, sinon la rédaction de l'amendement; et comme la question a sa gravité, je désire qu'elle soit renvoyée à la commission, afin qu'elle nous fasse connaître son opinion.

M. Tripier. Je ne m'oppose pas certainement au renvoi à la commission, mais je crois que ce renvoi ne doit pas être limité dans le sens où M. le garde des sceaux vient de consentir, du moins implicitement, l'adoption de l'amendement.

En effet, ce n'est pas seulement lors de la compétence facultative qu'il me paraît indispensable d'introduire le complot dans la compétence de la Chambre constituée en cour, mais même lorsqu'il y a compétence nécessaire et obligée; il me semble que l'auteur de l'amendement avait très clairement expliqué combien cela était utile et même nécessaire. Reportons-nous à la dernière affaire dans laquelle nous avons eu à prononcer. Vous avez vu qu'un complot qui a précédé un attentat peut être envisagé sous deux aspects différents. Il peut être considéré sous le rapport de complicité de l'attentat; mais, et vous en avez eu l'exemple dernièrement, il y a beaucoup de membres qui ne regardent pas ceux qui ont pris part au complot comme auteurs de l'attentat, et il peut leur répugner de punir de la même peine que l'auteur de l'attentat des individus qui n'auraient pris aucune part active à l'attentat. Il est donc nécessaire que la double question soit posée, d'abord l'attentat et ses auteurs, puis l'attentat et ses complices. Ensuite, à l'égard de ceux qui ne seraient pas considérés comme les complices de l'attentat, quoiqu'ils aient pris part au complot qui a précédé, naîtrait la question particulière de savoir s'ils ne sont pas coopérateurs du complot. Mais si l'article 1er reste tel qu'il est, la commission ne soumettant à votre juridiction que l'auteur de l'attentat et ses complices, vous ne pourriez pas juger, comme ayant pris part au complot, ceux que vous auriez reconnus comme n'ayant pas pris une part active à l'attentat. Je demande donc le renvoi à la commission, non seulement pour examiner si le complot doit être ajouté à l'article 3, mais aussi s'il n'est pas nécessaire de l'ajouter à l'article 10; en un mot, s'il ne doit pas figurer dans votre compétence, soit obligée, soit facultative.

Quant à moi, je serais d'avis que votre compétence embrassât l'attentat et ses complices, et ensuite le complot et ses coopérateurs, toutes les fois que le complot a été suivi d'attentat.

M. le baron Mounier, rapporteur. M. le garde des sceaux a fait remarquer tout à l'heure à la Chambre, qu'elle ne devait pas perdre de vue que la compétence de la Chambre se divise en trois parties : 1o la compétence obligée par la nature même des crimes, lorsqu'il s'agit d'attentats contre le roi, contre l'héritier de la Couronne ou contre le régent du royaume; 2o la compétence également obligée, lorsqu'il s'agit de crimes contre la sûreté de l'Etat, commis par certaines personnes ; 3o et enfin, une compétence facultative lorsqu'il s'agit d'attentats contre la sûreté de l'Etat que le roi croit susceptibles d'être déférés à la Chambre des pairs, et auxquels celleci trouve un caractère de gravité tel qu'ils doivent être soumis à sa juridiction. Lorsqu'un complot se rattache à un attentat contre la sûreté de l'Etat, à un attentat dirigé soit contre la personne du roi, soit contre la sûreté publique; alors, Messieurs, il est nécessairement de votre compétence. Vous avez aussi admis, du moins dans les projets et dans les travaux successifs de vos commissions, que la Chambre des pairs pouvait connaître des complots dans lesquels sont impliqués des fonctionnaires publics assez élevés pour donner à ce crime le caractère de haute trahison.

Quant aux complots dont l'attentat est la suite, il nous a paru hors de doute, et la jurisprudence de la Cour le démontre, qu'ils étaient justiciables de la Chambre des pairs; car, toutes les fois qu'un attentat contre la personne du roi est commis, le complot qui a eu pour but de le préparer est un crime qui s'y rattache et qui doit être puni en même temps. Il est impossible de séparer le complot de l'attentat, de même qu'en matière criminelle, la préméditation ne saurait être séparée de l'assassinat.

De là, résulte que, lorsqu'un attentat de cette nature a été commis, à côté de l'auteur de cet attentat peuvent être condamnés d'autres individus pour cause de complicité. Et vous remarquerez que toutes les fois que vous avez été saisis d'un fait qui vous a paru avoir ce caractère d'attentat qui détermine votre compétence, s'il résultait de l'instruction que le crime fût amoindri relativement à quelques-uns des inculpés, il ne vous restait pas moins à leur appliquer une moindre peine, comme les cours d'assises appliquent une peine moindre lorsque des accusés sont reconnus coupables, quoique non coupables du crime pour lequel ils sont inculpés.

Le mot complot ne se trouve ni dans l'article 1er, ni dans l'article 3; j'écarte l'article 2. Il ne se trouve pas dans l'article 1er, parce que la Charte se servant du mot attentat, il nous a paru que nous devions nous en servir aussi. On avait pu croire que, d'après le langage technique on avait entendu exclure le complot. Peut-être pensera-t-on que c'était aller trop loin, mais il y a des précédents à vous rappeler.

La première fois que la Chambre s'est occupée de cette difficile matière sur la proposition d'un de ses membres les plus éclairés,

de M. le comte Molé, le mot de complot se trouvait placé dans le projet à côté de celui d'attentat. La résolution adoptée par la Chambre des pairs fut portée à la Chambre des députés par un des auteurs les plus illustres de la Charte, par M. Lainé, et la rédaction fut adoptée dans son intégrité.

Vous pouvez donc être autorisés à croire que le mot attentat n'a pas été pris dans son sens restrictif, mais dans son sens générique, et je pourrais dire dans son sens oratoire et historique, si l'on peut ainsi parler, et que les complots qui doivent amener des attentats étaient compris sous la dénomination d'attentats.

On peut dire aussi qu'à cette époque la pratique ne dérogea point à ce système; car dans une affaire qui occupa la Chambre pendant longtemps, lorsqu'elle fut formée en cour de justice, en 1820, il n'y avait pas eu d'attentat consommé ; c'était un complot contre la sûreté de l'Etat, il fut jugé par la Cour, et l'arrêt porte effectivement le mot de crime et non celui d'attentat.

Mais depuis ce temps on est devenu de plus en plus précis, de plus en plus difficile, en quelque sorte dans l'appréciation des termes des lois. On a voulu se renfermer dans la qualification donnée par la Charte elle-même, et tous les projets successifs présentés depuis 1820 ont exclu le mot complot qui ne se trouvait pas dans la Charte à côté du mot attentat. Et même, dès 1817, le projet présenté par M. le baron Pasquier, alors garde des sceaux, ne présentait plus le mot de complot.

Votre commission, saisie de tous ces projets précédents, ayant examiné les faits que je viens de rappeler, a considéré que la mission qui lui était confiée par la Chambre était principalement de coordonner tout ce qui avait été fait jusqu'à présent, de mettre en exécution l'article de la Charte, mais non pas d'étendre les attributions de la Chambre des pairs.

Elle a été d'ailleurs fortifiée dans cette pensée en voyant que le gouvernement qui est appelé à connaître les besoins de l'Etat, à connaître ce que peut demander la justice, n'avait pas proposé d'étendre les termes de l'article de la Charte. Effectivement, le gouvernement n'a pas demandé d'introduire dans l'article le mot complot, ni dans les conférences qui ont eu lieu entre les ministres et la commission, ni depuis lorsqu'un projet vous a été présenté à l'ouverture de la session, projet qui était bien celui de la commission, mais qui cependant avait appelé toute l'attention du gouvernement, puisqu'il y a introduit quelques modifications.

Aujourd'hui, plusieurs de nos collègues ont cru voir une lacune dans le projet, comme quelques membres de la commission l'avaient pressenti. On a cru utile d'introduire dans la loi le mot complot, d'établir, comme en 1816, que la juridiction de la Chambre des pairs s'étend sur le complot aussi bien que sur l'attentat.

En effet, on comprend que le point de vue s'est malheureusement agrandi, et que l'expérience a pu donner de tristes mais salutaires leçons.

On avait pensé en 1816 que, pour que la Chambre des pairs fût appelée à connaître des complots qui auraient de la gravité, il fallait

que l'un des personnages éminents, nommés dans l'article 2, y eussent pris part; mais on a reconnu que des complots peuvent être très graves, peuvent amener des conséquences très dangereuses, sans qu'aucune des personnes dont nous parlons y ait participé. Ainsi, un complot qui pourrait n'être pas de nature à être jugé utilement par une cour d'assises, parce qu'il embrasserait plusieurs départements dans ses ramifications, ne pourrait pas, dans l'état actuel des choses, être jugé par la Chambre des pairs: car, d'un côté, il n'y aurait pas d'attentat, si l'on avait déjoué les manœuvres des coupables avant l'exécution; et, d'un autre côté, il n'y aurait pas moyen d'appeler devant la Chambre des pairs, parce qu'aucun des personnages qui rendent le crime de sa compétence n'y aurait trempé.

C'est pour cela que quelques personnes ont pensé qu'il était utile d'introduire dans l'article 3 la mention du complot; mais la commission n'a pas cru devoir prendre l'initiative à cet égard; elle a pensé qu'elle devait se tenir dans la limite qui lui était tracée. Maintenant, quelqu'un de nos honorables collègues, ou les membres du gouvernement, penseraient-ils qu'il est utile d'étendre la juridiction de la Chambre des pairs? Nous croyons nécessaire qu'une proposition soit faite à cet égard à la Chambre.

Je ferai remarquer que la proposition de M. Boyer n'est qu'une déclaration plus explicite de ce qui est déjà dans l'article. Quant à ce qu'a dit M. le garde des sceaux, ce n'est qu'une indication. La commission ne pourrait s'occuper d'une question aussi grave que dans le cas où un amendement serait formellement proposé et où la Chambre le lui renverrait.

M. Barthe, garde des sceaux, ministre de la justice. Voici l'opinion du gouvernement, sur l'amendement proposé. Cet amendement introduit dans la loi lê mot complot.

:

Et maintenant l'attentat dans la compétence nécessaire de la Chambre des pairs, il faut reconnaître que, lorsqu'il y a un complot qui a précédé cet attentat, qui est la préméditation de l'attentat, qui se lie au crime exécuté et consommé, il est évident que dans la compétence nécessaire de la Chambre des pairs, dans ce cas particulier, se trouvent à la fois et l'attentat et le complot qui est la préméditation de l'attentat; mais si le complot n'avait pas été suivi d'attentat, dans ce cas, je déclare que l'opinion du gouvernement est de ne pas ranger ce complot sous la compétence nécessaire de la Chambre des pairs. Ainsi distinguons bien le complot qui a précédé l'attentat rentre dans la compétence nécessaire de la Chambre des pairs, comme l'attentat lui-même. Le complot non suivi d'attentat n'est pas de la compétence nécessaire, il est seulement de la compétence facultative; et je crois que, quand il s'agira de la rédaction de l'article 3, il faudra ajouter, et j'en fais la proposition formelle, après les mots des attentats, ceux-ci : des complots. Mais, je le répète, pour qu'il n'y ait pas de méprise, le complot non suivi d'effet ne doit pas être de la compétence nécessaire de la Chambre des pairs. La Chambre des pairs ne peut être saisie d'une manière illimitée de tous les crimes politiques qui feraient de habisa juridiction une juridiction presque tuelle des crimes politiques. C'est précisément

parce que cette juridiction doit être une grande garantie pour la société, qu'il faut ne lui réserver nécessairement que les crimes qui occasionnent un ébranlement toujours inévitable, quand il y a attentat. Quand il s'agit de complot, il faut qu'elle ne soit pas à la merci de toute ordonnance qui viendrait la saisir, et qui imprudemment pourrait compromettre son autorité en prodiguant sa compétence. Il faut donc que le complot, quelque grave qu'il soit, ne soit que de sa compétence facultative.

Ainsi, pour les complots contre la sûreté de l'Etat, elle sera saisie par ordonnance; mais elle pourra dénier sa compétence.

Je résume mon opinion, non pas pour que la Chambre ait à en délibérer, mais pour la soumettre à la commission qui délibérera et fera connaître son opinion particulière. Cette opinion, la voici : point de compétence nécessaire pour le complot simple; mais selon sa gravité, selon son importance, compétence facultative.

M. Villemain. La question est extrêmemement grave. M. le garde des sceaux, dans l'opinion qu'il vient de résumer, et qui est une transformation de l'amendement de M. le président Boyer, va plus loin que ne faisait tout à l'heure l'honorable M. Tripier. En effet, M. Tripier disait Jamais de compétence de la Chambre des pairs pour le complot isolé, le complot non suivi d'attentat. M. le garde des sceaux fait une distinction ; il dit : Point de compétence de la Chambre des pairs pour le complot isolé dans les matières ôù sa compétence est obligatoire, mais compétence même pour le complot isolé, dans les matières où sa compétence est facultative, et où, par conséquent, elle pourra décliner le procès de complot qui lui aura été déféré.

Dans cette manière de voir, la question se retrouve moins étendue, mais toujours fort grave; car il s'agit d'attribuer à la Chambre des pairs, non pas d'une manière absolue, mais d'une manière discrétionnaire de sa part, un droit, je ne veux pas dire un privilège, qu'aucun des projets de loi préparés depuis 1847 n'avait proposé de lui conférer.

Eh bien! je pense qu'aujourd'hui, demander pour la Chambre des pairs ou lui donner plus qu'on n'a voulu lui donner depuis 1817 jusqu'à 1830, c'est faire une chose qui n'est ni régulière, ni politique.

En effet, déjà les attributions de la Chambre des pairs se sont considérablement augmentées en matière politique ; et cependant le principe constitutionnel du renvoi devant le jury de tous les crimes et délits politiques avait été proclamé par la Charte de 1830 avec plus d'éclat et d'étendue qu'il ne l'avait été jusque-là.

Je crains que de ce contraste entre la Charte de 1830, qui garantissait, en les augmentant, les attributions du jury en matière politique, et des lois qui les restreignent au profit de la Chambre des pairs, il ne résulte une contradiction fâcheuse.

Veuillez le remarquer. Depuis deux ans on a beaucoup grossi la compétence de la Cour des pairs. On lui a attribué une classe nouvelle d'attentats déterminés exprès pour établir sa compétence, en se rattachant au mot même d'attentat; on a créé ces attentats de la presse sur lesquels je ne veux pas revenir

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