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bien! nul obstacle à ce que la Chambre votât aujourd'hui sur ces mesures, nul doute quant à celles-là, votons-les aujourd'hui, tout de suite, pas d'inconvénient. Mais quant aux mesures qui doivent innover sur la situation de la compagnie, qui ont pour objet de lui créer un droit qu'elle n'a pas et dont on pourrait abuser demain; nul inconvénient non plus, avantage manifeste, au contraire à surseoir. Remarquez ailleurs, selon l'assertion de M. le ministre des finances lui-même, que les dispositions de la loi relatives à la fabrication du sel ne devaient recevoir leur exécution qu'au 1er juillet 1838. D'ici là, nous avons, ce me semble, un intervalle de dix-huit mois environ.

Voix diverses: Vous vous trompez, il n'y a qu'un an !

M. Charamaule. Toujours est-il que nous avons devant nous un intervalle très considérable, pendant lequel les dispositions relatives à la compagnie devront, en vertu de la loi, rester sans exécution. Eh! pourquoi nous hâter de voter sur ces dispositions, puisque les dix départements de l'intérêt desquels il s'agit ne peuvent pas recueillir le bénéfice de cette loi avant juillet 1838? Où serait le mal d'ajourner pendant un, deux, trois mois ou jusqu'à la session prochaine? Avant juillet 1838, le traité de résiliation aura pu être négocié et conclu, et les dispositions relatives à la libre fabrication dans les départements de l'Est librement et définitivement votées par les Chambres et sanctionnées par la Cou

ronne.

Voilà un moyen de concilier tous les intérêts. Qu'on vote aujourd'hui les dispositions qui importent au Trésor pour assurer le recouvrement de l'impôt, et qu'on ajourne celles qui tendraient à changer la situation de la compagnie, et qu'on ne lui crée pas ainsi un droit qu'elle n'a pas aujourd'hui, et dont elle pourrait abuser demain.

Il me paraît donc que le tempérament proposé par M. le ministre des finances, c'est-àdire la saisie de la sanction de la Couronne, outre qu'il serait peu convenable, serait toujours insuffisant, et que, sous peine de placer le Trésor dans la plus fausse des situations, le vote de toute disposition susceptible de changer la situation contractuelle de la compagnie doit être reculé jusqu'après la résiliation librement et contradictoirement débattue du contrat.

M. Laurence, rapporteur. Pour résoudre, si c'est possible, et je crois que la chose l'est en effet, le doute dans lequel l'Assemblée me paraît avoir été jetée par les diverses objections qu'elle vient d'entendre, je crois qu'il est indispensable de rendre compte à la Chambre de l'état des faits.

Le premier projet qui a été présenté sur la matière en discussion n'avait pas pour objet de créer ladite fabrication, encore moins de la régler; au contraire, l'objet que se proposait le ministre des finances était de compléter, en le resserrant, le monopole de la Compagnie de l'Est, et d'augmenter encore le poids des charges exceptionnelles sous lesquelles ployait le dépôt en question. Voilà la pensée, et non pas seulement la pensée, mais les détails d'exécution que révélait le premier projet de

loi.

Cet état de choses a duré jusqu'au dernier projet; il y en a trois successifs dont le caractère n'a pas changé.

:

Mieux que cela le troisième contenait ou pouvait contenir un article par lequel il aurait été accordé un allègement aux départements de l'Est; mais dans le projet présenté sous le ministère de M. d'Argout, cet article a été biffé.

Il était donc bien clair que la pensée du gouvernement n'était ni d'arriver d'arriver au soulagement, mais, au contraire, la liberté, ni de compléter, je le répète, le monopole de la compagnie.

La commission, amenée par ses examens successifs à d'autres pensées, s'est trouvée sur un terrain qui était loin d'être net le gouvernement voulait tout le contraire de ce que la commission a été amenée à vouloir, et il est sensible qu'alors l'administration n'a dû se donner aucun soin pour rendre d'une dissolution facile les difficultés d'exécution qui devaient se présenter.

Aussi nous trouvions-nous en présence de ces difficultés dans toute leur grandeur ; et ne pouvant, parce que nous n'administrons pas, les résoudre nous-mêmes, nous avons dû nécessairement chercher à compléter l'une par l'autre les dispositions d'une loi dont vous avez pu voir tout à l'heure que la discussion roule ou roulerait dans un cercle éternellement vicieux. La difficulté serait même telle, que, quant à moi, je la regarderais comme insoluble.

Voici en quels termes la chose se présente : Voulez-vous établir la libre fabrication? mais je vous l'ai dit hier, la place n'est pas nette, le terrain n'est pas déblayé ; vous rencontrez devant vous, pour dix départements et pour 4 millions d'habitants, une compagnie qui se présente et vous dit : « Arrêtez-vous, j'ai un droit; ce droit exclut à un seul la libre fabrication; c'est, dans tous les cas, un point incontestable, et il a été jusqu'ici négativement résolu, il demeure encore avec quelle qu'elle soit les décisions judiciaires sa valeur, appartiennent aux cas pour lesquels elles sont rendues; mais il n'est pas impossible d'obtenir un succès après avoir succombé. Laissezmoi donc mon droit ; je conteste qu'il puisse m'être enlevé. »

Conséquemment, vous n'êtes pas libres, et vous ne pouvez pas régler la libre fabrication tant que vous n'avez le moyen de faire disparaître du terrain embarrassé l'obstacle qui vous empêche de le régir.

Qu'est-ce que vous voulez maintenant? Vousimple. Vous allez donc établir, ainsi que le lez-vous de la servitude? Alors, la question est projet primitif le demandait, que les eaux salées et les mines sont une seule et même chose dans toute l'étendue du terrain concédé, et que l'exploitation des eaux salées est concessible comme l'exploitation des bancs. Que faites-vous alors? Ce que le gouvernement voulait faire. Vous renforcez le monopole, vous augmentez son privilège, vous lui donnez vie quand il va mourir, vous lui prêtez vigueur quand il est sur le point de la perdre, vous lui donnez l'avenir quand il n'a pas même le présent.

Eh bien! vous ne pouvez pas faire cela non plus.

De sorte que vous ne pouvez pas régir la

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liberté, si vous n'autorisez pas la résiliation, et que vous ne pouvez pas autoriser la résiliation si vous augmentez la servitude. Cela est clair, à ce qu'il me semble du moins.

Il en résulte que ces deux parties de la loi sont tout à fait inséparables, et qu'il ne vous est pas possible d'autoriser le gouvernement à résilier le bail sans décider en même temps ce que vous ferez après; car on ne peut pas substituer à un état de choses existant un autre état sans l'avoir réglé.

Mais on fait une objection; on dit : Puisqu'il s'agit d'un fait à consommer, demandez l'autorisation préalable de traiter; faites ensuite le traité, et quand il faudra le faire exécuter, quand il faudra faire les paiements résultant des termes du traité, vous viendrez, le traité à la main, demander à la Chambre les crédits nécessaires.

Je dis que vous ne pouvez agir ainsi ; je dis que la ruine de la fortune publique est au bout d'une semblable disposition; car remarquez que le nouvel état de choses doit se substituer sans interruption, heure par heure, à l'ancien état de choses; vous ne pouvez pas, en un seul jour, éteindre l'activité des établissements de la compagnie; car ce serait 3 ou 4 millions que vous jetteriez par la fenêtre. Vous avez sans doute le pouvoir de le faire, mais vous ne le ferez pas, l'on vous en démontre les conséquences.

Eh bien- c'est précisément ce qu'on vous propose de faire on vous propose de décider qu'on traitera de la résiliation du bail pour une époque ; je ne sais laquelle, et on ne détermine pas ce qui se passera au moment où la résiliation du bail aura lieu.

Mais la compagnie, dans ce cas, ne serat-elle pas intéressée à arrêter immédiatement ses opérations? Que fera-t-elle ? elle évacuera ses matières fabriquées, elle opérera ses rentrées ; et lorsque le jour sera venu, vous trouverez les usines vides et sans valeur. Il faut régler au moment même ce qui devra se passer lorsque la résiliation aura été obtenue. C'est pour faciliter ce passage que nous avons dû, après mûre délibération, mettre en tête de la loi ce que d'abord nous avions mis à la fin. Nous avons considéré et nous considérons encore la résiliation du bail de la compagnie comme une nécessité des choses, comme la conséquence forcée de l'état de choses actuel.

Permettez-moi de confirmer par une simple citation ce qu'en termes énergiques, et dont l'énergie a été en quelque sorte reproduite comme une objection, ce que je disais tout à l'heure de la situation de la compagnie, et de faire comprendre comment cette situation n'a rien qui puisse compromettre le moins du monde les intérêts du pays. J'ai dit que la compagnie était en détresse ; voici comment. Je prie la Chambre de me prêter une attention particulière, parce que la question est tout entière dans ce que je vais avoir l'honneur de dire à la Chambre.

Dans l'état actuel des choses, la compagnie a dans les dix départements de l'Est, à l'exception de l'usine de Salzbrunn qui est autorisée pour 20,000 quintaux, par une ordonnance royale, et contre laquelle la compagnie a vainement réclamé ; la compagnie a, de fait, non pas le droit, le monopole de l'exploitation des eaux salées. Pourquoi l'a-t-elle ? C'est que ceux qui étaient tentés d'entreprendre l'ex

ploitation des eaux salées, et qui, comme je le crois, avaient le droit d'élever des établissements rivaux, ont été arrêtés par le fait administratif qui a dominé le principe. Que vouliez-vous que fissent les fabricants devant la force armée qui était chargée d'assurer l'exécution de l'arrêté administratif, lorsqu'on envoyait chez l'un d'eux 500 hommes avec la baïonnette au bout du fusil? il fallait se soumettre. Je dis ici mon opinion tout haut à cet égard, et je ne crains pas de l'exprimer ni de nommer les personnes, parce que les faits sont représentés par les personnes. Eh bien ! je dis que si M. Prinet Gouhenans, chez lequel 500 hommes se sont présentés et ont comblé militairement les puits, avait voulu renouveler sa déclaration conformément à la loi de 1806, on n'aurait pu empêcher qu'il se livrât à la fabrication du sel, pourvu qu'il se conformât à ce qui a été jugé par la Cour de Lyon, que l'eau douce ne fût pas introduite dans la mine par des moyens artificiels. A moins d'attenter à l'autorité de la chose jugée, l'administration n'aurait pas le droit de s'opposer à cette fabrication. Aujourd'hui pour demain de pareils établissements peuvent s'élever.

Que devient le monopole de la compagnie devant un tel fait? Si M. Parmentier, si M. Prinet de Gouhenans et autres fabricants peuvent continuer l'exploitation des sources d'eau salée, que deviendra la prétendue prospérité de la compagnie? Il est évident qu'en présence de ce fait légal, la position de la compagnie est insoutenable, car elle n'était soutenue que par la violence.

Eh bien voici la conséquence : il faut traiter de la résiliation. Nous sommes deux; l'Etat et la compagnie. La compagnie dit, elle l'a écrit cent fois, qu'elle ne peut faire aucune condition, garantir aucun avenir à l'Etat, aucun prix du bail, si vous ne mettez pas pour toujours le droit exclusif de la compagnie à l'exploitation des eaux salées, à l'abri de toute contestation. Le pouvez-vous? Oserez-vous le faire? Non; vous ne le pouvez pas. En présence de l'exaspération de l'opinion qui s'est soulevée dans l'Est contre le fait administratif, il est impossible d'écrire dans la loi que ce fait devient loi, il est impossible que la loi devienne aujourd'hui plus rigoureuse. Si vous ne le pouvez pas, que dira le gouvernement à la compagnie? Il lui dira: Contentez-vous, si vous pouvez, des lois existantes. Si la justice, en ce qui vous concerne, cst inactive, c'est un malheur. L'administration ne domine pas la justice. Vous avez des lois ; servez-vousen. Si on refuse de leur faire dire ce que vous voudriez, c'est un malheur ; mais quant à une loi nouvelle, je la demanderais, que la législature me la refuserait. Y a-t-il ici un jurisconsulte, un magistrat qui, chargé de juger une pareille contestation, ne dît à la compagnie : Ou résiliez le bail, ou restez comme vous êtes? Si demain deux fabriques s'établissaient, il est certain que la compagnie (qu'on me passe cette expression) serait forcée de passer sous les fourches. Je ne vais pas jusqu'à dire qu'il soit de la grandeur, de la générosité de l'État de réduire une compagnie privée à une pareille extrémité; mais c'est un fait incontestable.

S'il fallait une nouvelle garantie d'impossibilité, je dis que la compagnie elle-même ne s'est pas fait illusion sur son droit. Voici

les propres expressions textuellement écrites
dans un mémoire qui est joint aux pièces de
la commission :

«Nous accepterons la résiliation de notre
bail avec empressement, à la seule condition
de la restitution de nos capitaux. » Vous
voyez qu'il ne s'agit pas d'indemnité ni de dé-
dommagement; et non seulement nous l'accep-
terons, mais nonobstant la réduction de
600,000 francs qui lui avait été accordée en
1830, nous la provoquerons ainsi que nous
l'avons annoncé, si l'on ne réprime pas toutes
fabrications autres que celles actuellement au-
torisées. >>

Voilà la situation qu'il ne faut pas perdre de vue; et comme cette garantie de répression ne peut lui être accordée, il est clair que la compagnie est non seulement dans la nécessité d'accepter la résiliation, mais qu'elle est même condamnée à la provoquer. Cet écrit est de 1832, mais il a été confirmé dans d'autres écrits de 1833 et 1835.

Ce n'est pas tout. En 1830, sous le ministère de M. de Chabrol, il a été fait avec la compagnie (et M. le ministre des finances tout à l'heure l'a rappelé pour la seconde fois) une transaction par laquelle il lui fut accordé sur son bail primitif de 1,800,000 francs une réduction de 600,000 francs, ce qui réduisit ce bail à 1,200,000 francs; cette réduction fut accordée en considération de ce que la mine de Vic avait été inondée, et de ce que des traités avec l'étranger avaient été faits, et non pas parce qu'on avait porté atteinte au monopole de la fabrication de cette compagnie; mais cette transaction n'a été consentie que pour dix ans; elle part du 1er janvier 1830, et elle expirera le 1er janvier 1840; nous n'en sommes pas bien loin, elle n'a plus que deux ans et demi à courir. Et ce jour-là qu'arrivera-t-il? On dira avec raison à la compagnie : La décharge qui vous a été accordée n'est que temporaire ; vous ne l'avez reçue que pour dix ans, elle n'est pas perpétuelle; il a été présumé que dix années de cette indemnité vous suffiraient pour vous couvrir de vos pertes. Si la conséquence de ces pertes avait dû réagir sur toute La durée du bail, on aurait perpétué l'indemnité autant que le bail.

En 1840, vous devrez payer 1,800,000 francs. Comment pourrez-vous les payer, puisque aujourd'hui vous ne pouvez pas même payer 1,200,000 francs? Cela vous sera impossible. Enfin, comme l'Etat a dû prévoir, et il l'a fait avec sagesse, je puis le dire, car j'ai examiné de près, et depuis quatre ans que j'ai jeté des regards, soit dans l'intérieur du ministère des finances, soit dans les commissions dont je fais partie depuis trois ans, je demande la permission de dire que cette affaire a été de la part de plusieurs personnes l'objet d'accusations que je déclare pour ma part mal fondées. Plus d'un soupçon a été assis sur l'exploitation de cette affaire; ces soupçons étaient injustes. Dans la plus grande transaction qui se soit rapportée à cette immense affaire, tout a été juste et loyal.

Il est possible (je n'en veux à personne) que l'intérêt privé ait éprouvé quelques domma ges dans le passé, et qu'il soit menacé aans l'avenir d'autres dommages. Que l'on cherche à s'en garantir, on ne peut pas en faire un crime aux intéressés; mais, de aux abus auxquels on a fait allusion, il y a loin; et,

pour ma part, ces abus ne m'ont jamais ap

paru.

Eh bien ! le gouvernement avait inscrit dans ce traité une condition inévitable, qui sauvait encore le droit ; on disait tout à l'heure, on l'a dit tout bas à mes oreilles: Ecrivez que les conditions sont arbitrées. Eh bien! Messieurs, les arbitres existent, ils sont désignés; les conditions du bail courant en 1825, en exécution de la loi du 6 avril, portent que toutes les fois que, pour quelque raison que ce soit, il s'élèvera des contestations entre l'Etat et la compagnie, ce sera le conseil d'Etat qui les jugera souverainement. Voilà l'arbitre, et cet arbitre, cela tient à l'organisation du conseil d'Etat, cet arbitre est composé d'hommes intègres qui, sans doute, font leur devoir, mais qui sont sous la dépendance de l'administration parce qu'ils sont révocables. Je vous prie de me díre si vous avez à yous occuper des conséquences lorsqu'il doit juger sans appel.

J'en reviens à la question, conme je l'ai déjà posée. Les dispositions du projet de loi sont inséparables; mieux vaut n'en point faire de loi, que de la scinder; l'ajourner est impossible, car si vous voulez que l'avenir arrive, il faut y travailler maintenant, autrement il n'arrivera jamais. Quand même vous ajourneriez, l'année prochaine, il faudra toujours que vous donníez le pouvoir de détruire et celui de fonder en même temps.

Ainsi, à quelque époque que vous ajourniez, la même difficulté se représentera. Tenez-en bien compte, parce qu'il est impossible d'arriver à un autre résultat. Tout ce que vous pourriez demander, s'il n'y avait pas quelque chose de bizarre dans la constatation d'une pareille réserve, ce serait une disposition exceptionnelle; car cette loi étant destinée à contenir quelques exceptions, puisqu'elle en contient relativement aux marais salants à l'égard desquels on maintient la législation actuelle, puisqu'elle en contient à l'égard des salines de la Manche, qu'elle maintient dans un état particulier et personnel, il ne serait pas monstrueux d'y voir figurer une disposition qui s'appliquât aux dix départements de l'Est. Et alors vous sauvez à la fois et le droit législatif et le droit de la prérogative qui sanctionne et le droit de l'Etat vis-à-vis de la compagnie, et le droit de la compagnie visà-vis de l'Etat, en même temps que vous consacreriez dans la loi pour les départements de l'Est l'avantage qui leur est si légitimement dû. Il suffirait d'inscrire à la fin du paragraphe 1er un paragraphe ainsi conçu :

« Les articles suivants de la présente loi ne seront exécutoires dans les dix départements compris au traité ci-dessus mentionné, qu'après la résiliation autorisée par la première disposition du présent article. »

Alors, si vous suspendez la libre fabrication, l'assimilation dans le périmètre des concessions des dix départements jusqu'à ce que le traité qui est exceptionnel ait cessé, alors vous faites tout ce que vous devez faire.

Une voix: Vous organisez le monopole.

M. Laurence, rapporteur. Non, vous êtes dans l'erreur, vous allez voir que non. Il est avéré, je crois, et je pense l'avoir suffisamment démontré, que, dans l'état actuel des choses, ni la législation, ni le traité primitif,

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ni la jurisprudence qui l'a interprété, ne sont en faveur de la compagnie. Qu'est-ce que vous lui donnez? Rien! car en admettant que les dispositions qui suivent l'article 1er puissent profiter à la compagnie, elles ne sont exécutoires, que précisément après qu'elle a cessé d'avoir un droit : il est évident qu'en faisant cela vous ne lui donnez pas un droit nouveau ; vous ne resserrez pas le monopole, vous le laissez dans la situation où il est, et comme je l'ai dit, la seule déclaration exigée par l'article 51 de la loi de 1806 est la seule formalité qu'on exige de la fabrication des sels produits par les sources salées. Il y en a là assez pour que, d'une part, la menace du droit d'autrui, de l'autre, le silence de la législation qui ne le protège plus, amènent ces résultats que je ne sollicite pas comme un acte violent, mais comme un sacrifice commandé par l'intérêt général, et acheté par l'Etat au seul prix légitime qu'il doit en payer, pour que ce sacrifice s'accomplisse. Un mot sur l'étendue du sacrifice on a paru craindre que la compagnie demandât des manques à gagner, comme on l'a dit hier, c'est-à-dire des indemnités, ou des dédommagements pour la longue durée du bail dont elle aurait été privée ; il est clair que ce qu'elle demande c'est la reconstitution de son capital, elle demande à ne pas perdre son capital social, et c'est autre chose que de ne pas gagner.

:

Eh bien! son capital social, M. le ministre le sait comme moi, a été entamé d'une manière prescrite, commandée, ordonnée par l'administration. Son capital était de 10 millions. Elle en a consacré 2 1/2 au fournissement d'un cautionnement qui est encore entier, et qui est déposé dans les caisses de l'Etat. Il en restait 7 1/2; sur ce capital, elle a payé à la décharge de l'Etat, d'abord 2 millions à la Compagnie Tonnelier, inventrice des mines que l'Etat s'est concédées à luimême. C'est bien là un paiement à la décharge de l'Etat.

Elle a payé 1,086,000 francs à la même compagnie pour indemnité de ses frais de recherches et de travaux depuis 1818, époque de la découverte de la mine, jusqu'en 1825, époque où elle en a été dépossédée. Voilà déjà 3 millions et près de 100,000 francs. Elle a payé en outre à l'ancienne compagnie environ 700 000 f. pour indemnité de reprises de services, pour des objets que l'ancienne compagnie lui a abandonnés.

Elle a perdu ensuite sur les prix de l'inventaire à cause de la différence du prix du sel, qui était d'abord au taux moyen de 15 francs et a été porté à 18 francs. La perte est d'environ 400,000 francs.

En sorte que toutes ces sommes réunies payées à la décharge de l'Etat s'élèvent à plus de 4 millions. Une forte partie du surplus a été employée à augmenter dans les établissements qui appartenaient à l'Etat la puissance de fabrication. Elle a fait par exemple à Dieuze une fabrique de produits chimiques, création magnifique qui a coûté plusieurs centaines de mille francs. Ces créations nouvelles faites sur le terrain de l'Etat, et toujours sous l'approbation de l'Etat et sous les yeux des commissaires nommés par l'Etat avec des comptes réguliers présentés à l'Etat, ont coûté environ 1,500,000 francs.

En sorte que si la compagnie ne vivait pas

sur son crédit, en sus des fonds particuliers il lui resterait à peine 6 à 700,000 francs pour les fonds de roulement.

Voilà ce qui résulte d'un état qu'il serait curieux d'examiner.

Lorsque vous voudrez bien réfléchir que le premier mot de la compagnie ne s'est jamais élevé jusqu'à présent qu'à 5,500,000 francs, c'était le chiffre de M. d'Argout; c'est encore le chiffre de la commission d'administration, qui ne demande que 5,400,000 francs. Lorsque vous réfléchirez que la compagnie a payé 4 millions à la décharge de l'Etat et dépensé 400,000 francs sur les fonds de l'Etat, cela fait bien les 5 millions 1/2 réclamés par l'indemnité.

Quant à moi, je suis descendu autant que peut le faire un homme consciencieux dans le détail de cette affaire. Je me suis livré à l'examen le plus attentif des faits, et si le traité de résiliation devait se borner à la restitution des fonds, je n'y verrais qu'une difficulté fort légère qui résulterait de la partie des créations faites par la compagnie, et des fausses manoeuvres. C'est peu de chose; car lorsque la commission nommée par le ministre et la commission nommée par la compagnie auront bien débattu la difficulté, elle n'est pas de nature à durer vingt-quatre heures.

Voilà, Messieurs, ce que je viens de dire, voilà l'affaire simplifiée autant qu'il était possible de le faire dans cette discussion; voilà ce que d'autres présomptions peuvent n'avoir pas bien laissé sentir. Je dis qu'il faut nécessairement voter l'article 1er, sauf à discuter l'un après l'autre ces divers paragraphes. Vous ne pouvez pas l'ajourner, car vous ne pouvez arriver à une législation qui atteigne les 10 départements de l'Est que quand vous aurez déblayé le terrain. Or, vous ne pouvez le déblayer que par la résiliation, et sans cela vous n'arriverez jamais à rien.

Voilà ce que j'avais hâte de vous dire ; je m'expliquerais s'il le fallait sur les divers paragraphes.

M. Luneau. Et la compensation!

M. Laurence, rapporteur. J'en ai parlé avant-hier, je ne veux pas répéter cela.

M. Dufaure. Relisez l'amendement. M. Laurence, rapporteur. Je relis l'amendement qui terminerait l'article 1er :

« Les articles suivants de la présente loi (ceux qui régissent la libre fabrication) ne seront exécutoires dans les 10 départements compris au traité ci-dessus mentionné qu'après la résiliation autorisée par la première disposition du présent article. »

Je demande la permission de faire remarquer à la Chambre que c'est là une exception qui ne peut être que temporaire. Une fois la résiliation opérée, la loi régnera dans toute son étendue.

Si le monopole continue, le régime actuel lui suffit; mais si la liberté lui succède, il faut nécessairement qu'elle soit régie, et elle ne le sera que par les articles de la loi.

M. Parant. Je voulais parler dans le même sens que l'honorable M. Laurence. Je m'associe avec empressement aux observations qu'il a cru devoir faire en réponse aux objections qui ont été suscitées par la proposition

de l'honorable M. Dufaure, soutenue par l'ho-
norable M. Dupin. Je n'ai rien à y ajouter :
je pense aujourd'hui comme je pensais hier,
comme je l'ai sans cesse professé dans le sein
de nos commissions, que le régime de la libre
fabrication doit prévaloir; mais je pense
aussi qu'il faut auparavant résilier le bail
avec la compagnie.

Il me resterait à parler sur l'amendement de M. Laurence. Je ne puis pas l'admettre, je le crois contraire à la justice et aux intérêts des départements de l'Est; mais ce n'est pas le moment de le combattre il faudrait voter d'abord les trois premiers paragraphes de l'article, sauf à voir plus tard si l'amendement est susceptible d'adoption. (Aux voix! aux voix!)

M. Lavielle. Je voulais examiner la question à son point de départ; mais elle en est si éloignée que je ne sais plus comment l'y ramener. Les observations qui ont été présentées par notre honorable Président tendaient à ce que le projet de loi fût ajourné jusqu'à la résiliation du traité : il n'est pas, en effet, de la dignité de la loi, ni de l'intérêt du gouvernement, que de solennelles propositions d'arrangement soient faites à des particuliers qui pourraient s'en prévaloir. Il y a d'ailleurs d'autres considérations.

La loi ne sera exécutoire que le 1er juillet 1838; or, ainsi qu'on vous l'a déjà dit, d'ici à cette époque, nous aurons le temps de faire cette loi, et de consommer la résiliation dont on a parlé. Vous avez entendu M. le ministre des finances vous dire lui-même qu'il regrettait de n'être pas venu dans la discussion, le traité à la main. M. le rapporteur vous a dit aussi qu'il fallait déblayer le terrain et faire place nette.

Il en est une autre raison, puisée dans l'article 16, qui veut que la quotité du déchet, et par suite de l'impôt, soit fixée, d'après des expériences qui seront faites sur les sels de toute origine. C'est après ces expériences que la loi établira le chiffre de l'impôt; ce qui sera plus constitutionnel que le régime de l'ordonnance.

Ainsi, vous pouvez traiter, d'ici au 1er juillet 1838, avec la compagnie, en toute liberté, et vous pourrez, en même temps, procéder aux expériences qui devront asseoir définitivement le chiffre de l'impôt : je m'associe donc à la proposition de MM. Dupin et Dufaure.

M. Baude. Si la proposition d'ajournement est appuyée, je demande à parler contre... (Bruit... Interruption.)

M. Lacave-Laplagne, ministre des finances. J'ai déjà eu l'honneur de dire à la Chambre quels étaient les motifs, motifs d'une haute gravité, qui rendaient nécessaire la promulgation de la loi. L'honorable M. Lavielle vient de vous dire qu'il n'y avait aucun inconvénient à l'ajournement, parce que la loi ne serait exécutée qu'à partir du 1er juillet 1838. Je lui en demande bien pardon, mais les dispositions qui ne sont exécutoires qu'à partir de cette époque sont celles relatives à la libre fabrication; mais quant à celles relatives à la répression de la fraude en matière d'impôt, elles seront exécutoires dès que la loi sera promulguée. C'est pour cela que je demande à la Chambre de ne pas accueillir la proposition d'ajournement.

Je fais observer d'ailleurs que cette proposition d'ajournement est motivée sur la supposition que cet ajournement donnerait le moyen de terminer les arrangements avec la compagnie, et j'espère qu'ils ne présenteront pas de grandes difficultés ; mais la force des choses est telle, que ces arrangements pourraient n'être pas terminés assez tôt pour que la loi pût revenir en temps utile.

Maintenant, l'honorable M. Lavielle vient de présenter un amendement à l'article 16. Je ferai remarquer que si cet article ne convient pas à M. Lavielle, il pourra le combattre; mais il a confondu deux choses fort différentes l'une, c'est l'impôt; l'autre, c'est le déchet. Il est bien certain que l'impôt est du domaine de la loi; mais la fixation d'une matière qui est sujette à une dépréciation, et dont une partie est sujette à l'impôt, est une chose qui pourrait sans inconvénient, et sans blesser aucune convenance, être en principe laissée dans le domaine de l'administration. Certainement, il pourrait arriver, et il arrive souvent, que lorsqu'il y a dans des entrepôts parfaitement clos des déchets constatés, l'administration en tient compte, parce qu'elle ne peut percevoir le droit que sur ce qui est bien démontré être sujet au droit.

Il est bien certain qu'il n'y a aucun principe violé. Ainsi, sous ce rapport, l'ajournement ne serait pas motivé. Je crois que la Chambre doit discuter la loi, et je n'ai rien à ajouter à la discussion si lumineuse à laquelle vient de se livrer l'honorable rapporteur, mais seulement j'insisterai sur ce point, c'est que la loi contient des dispositions répressives de la fraude dont il est urgent de l'armer.

M. Dupin aîné. M. le ministre des finances pourrait opposer une raison péremptoire, c'est que, s'il ne veut pas l'ajournement, on ne peut pas faire la proposition formelle de l'ajournement d'un projet de loi du gouvernement. Mais on a pu exprimer les inconvénients de voter dans l'état actuel des choses; on a pu exprimer le désir que la transaction précédât la législation, que la question d'intérêt privé fût résolue pour que la question de législation se présentât plus librement aux esprits. C'est dans ce sens que M. Dufaure a présenté son observation, c'est dans ce sens aussi que j'ai essayé de l'appuyer moi-même. Du moment que le ministre résiste, il n'y a pas possibilité d'insister sur l'ajournement ; on doit passer au vote. Mais les observations qui ont été faites peuvent être un motif pour qu'on vote pour ou contre la loi.

M. Lacave-Laplagne, ministre des finances. Je demande la permission de dire un mot. Si j'avais eu le moindre espoir que cet ajournement pût répondre au but des honorables membres, je ne m'y serais pas opposé le moins du monde ; mais puisque je n'ai pas cet espoir, et que le retard aurait de graves inconvénients, c'est le motif pour lequel je n'ai pas appuyé cette fin de non-recevoir qu'a élevée l'honorable Président de la Chambre. J'étais bien aise de montrer que je voulais agir d'après un motif légitime, et non en vertu d'un droit absolu.

M. Charamaule. M. le ministre des finances considère-t-il comme distinctes les disposi

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