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tions relatives à la perception de l'impôt, et les dispositions qui ont pour objet d'autoriser la libre fabrication? Si elles peuvent se distinguer, comme je le crois, la Chambre pourra voter les dispositions relatives à la perception de l'impôt et ajourner les autres.

M. Laurence, rapporteur. Je réponds à l'interpellation de l'honorable membre; je prie M. le ministre des finances de me le permettre. Dans ma pensée, l'article dernier de la loi est devenu l'article 1er; et dans le travail de la commission, toutes les dispositions de la loi sont inséparables les unes des autres. Pour pouvoir voter isolément, il faudrait s'attacher d'abord à la disposition la plus importante, qui est celle de la libre fabrication. Toute la loi est fondée sur ce principe: si la libre fabrication n'est pas admise actuellement, il est évident qu'il n'y a pas de loi ; quant à moi, je regarderais le rôle de rapporteur comme fini, si vous rejetiez l'article 1er. M. le Président. Je vais donner lecture de l'article 1er.

M. Laurence, rapporteur. Je demande la division paragraphe par paragraphe.

Art. 1er.

« Paragraphe 1er. Le ministre des finances est autorisé à consentir la résiliation du traité passé, le 31 octobre 1825, avec la Compagnie des salines et mines de sel de l'Est, en exécution de la loi du 6 avril précédent. »

(Ce paragraphe est mis aux voix et adopté.) « Paragraphe 2. Il est également autorisé à vendre les propriétés domaniales comprises dans le bail, et qui seraient remises à l'Etat. » (Adopté.)

« Paragraphe 3. Les paiements ou restitutions qui pourraient être mis à la charge de l'Etat seront effectués sur un crédit spécial qui, en l'absence des Chambres, pourra être ouvert par une ordonnance royale, laquelle sera convertie en loi dans la plus prochaine session. » (Adopté.)

M. le Président. Voici le paragraphe additionnel proposé par M. Laurence:

« Les articles suivants de la présente loi ne seront exécutoires dans les 10 départements de l'Est, compris au traité ci-dessus mentionné, qu'après la résiliation autorisée par la première disposition du présent article. » M. Parant. Je demande la parole.

M. Laurence, rapporteur. C'est la commission qui le propose.

M. Parant. C'est-à-dire une partie de la commission.

Messieurs, il y a bien des années que les départements de l'Est se trouvent sous un régime exceptionnel, tout le monde le reconnaît; tout le monde reconnaît aussi la légitimité des plaintes de ces départements, et cependant, aujourd'hui que le gouvernement provoque pour eux une position plus favorable, aujourd'hui que la Chambre paraît disposée à acquiescer aux propositions qui lui sont faites, M. le rapporteur de la commission propose un amendement qui a précisé2a SÉRIE. T. CXI.

ment pour résultat final de mettre encore les départements de l'Est sous une nouvelle exception. Ainsi, partout en France il y aura la libre fabrication ; je crois, et c'est ce que j'ai cherché à établir dans les précédentes séances, que déjà ce régime de la libre fabrication résulte de notre législation actuelle ; vous ne ferez que le confirmer. Au moins qu'on nous laisse jouir à notre tour des avantages de ce droit consacré par la législation actuelle, et qui va l'être de nouveau par la loi que vous êtes appelés à voter.

Voilà cependant ce qu'on nous refuse. Et en effet, Messieurs, lorsque les autres départements vont user de leur liberté, les départements de l'Est seulement seront tenus en interdit aussi longtemps que le bail qui a été passé en 1825 ne sera pas résilié; en sorte que s'il s'élève des difficultés sur la résiliation, comme le gouvernement en définitive ne serait pas bien pressé d'en finir, les départements de l'Est pourraient indéfiniment rester sous le régime exceptionnel dont je viens me plaindre à cette tribune.

Je dis que le gouvernement ne serait pas pressé d'en finir; voici pourquoi. En vertu du bail de 1825, l'Etat doit recevoir un fermage. Ce fermage était de 1,800,000 francs. Il a été réduit, en 1830, à 1,200,000 francs, indépendamment d'une forte part dans les bénéfices de la compagnie. Aussi, pour l'année 1836, l'Etat a-t-il reçu, et pour son fermage et pour sa participation dans les bénéfices, une somme totale de 1,625,000 francs.

Tout nous fait espérer qu'en 1837 et 1838, les mêmes avantages reviendront au Trésor, de sorte que, s'il survient des incidents, le gouvernement n'a pas besoin de se presser pour en finir. Les incidents naîtront à volonté, et nous resterons sous le régime exceptionnel.

Que faudra-t-il pour en sortir? Il faudrait, et c'est le conseil donné par l'honorable M. Laurence, que les compagnies qui ont fondé des établissements dans l'Est en 1832, déclarassent de nouveau qu'elles entendent fabriquer du sel. L'affaire arriverait alors devant les tribunaux, et j'ose espérer que les tribunaux feraient justice de la résistance de la Compagnie des salines de l'Est, et que l'administration n'oserait pas, en 1837, comme elle l'a fait en 1832, prêter au monopole l'assistance de la force armée. Voilà ce qui pourrait résulter de l'état des choses que doit faire naître l'amendement.

Je vais plus loin. Indépendamment des compagnies qui ont fondé des établissements nouveaux en 1832, il y a l'ancien établissement de Salzbronn. J'ai déjà eu occasion de dire que sa fabrication est limitée. Je déclare que si j'étais membre de cette compagnie, je proposerais de prendre une décision par laquelle la compagnie déclarerait qu'elle entend fabriquer librement et d'une manière illimitée, parce que telle est la législation actuelle. Si cette compagnie prêtait assistance à celles qui datent de 1832, le monopole des départements de l'Est trouverait une concurrence de plus.

Voulez-vous qu'on arrive à ces moyens ? Voulez-vous qu'on laisse un germe de procès entre la Compagnie de l'Est et l'Etat, d'une part, et les établissements particuliers, d'autre part? Non, Messieurs; ce n'est pas de votre dignité, et cependant ce serait le résultat iné

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vitable de l'amendement proposé, parce qu'il faudrait faire cesser au plus tôt un état de choses qui est intolérable.

M. Bresson. Je demande que le paragraphe qui est en discussion soit reporté à la fin de la loi. Il existe dans d'autres articles des dispositions qui pourront être combattues, il faudrait que ce paragraphe...

M. Laurence, rapporteur. Nous y consen

tons.

(Le paragraphe étant réservé, l'article 1er est mis aux voix et adopté.)

'M. le Président. Je donne lecture de l'article 2 qui est ainsi conçu :

Art. 2. « Le sel est classé parmi les substances minérales auxquelles les articles 1 et 2 de la loi du 21 avril 1810 donnent la qualification de mines.

«Est considéré comme mine, tout gîte existant dans le sein de la terre ou à sa surface, dans lequel le sel se présente, soit pur, soit mélangé avec d'autres matières. >>

M. Luneau propose de remplacer cet article par la disposition suivante :

« Les mines de sel seront concédées aux conditions et dans les formes prescrites par la loi du 21 avril 1810, sauf les modifications ciaprès : »

M. Legrand, commissaire du roi, directeur général des ponts et chaussées et des mines. Je viens demander la suppression pure et simple de l'article proposé par la commission ; cet article me paraît à la fois inutile et dangereux. Il me paraît inutile, en ce sens qu'il ne fait que confirmer ce qui existe. La législation a consacré la classification du sel parmi les substances régies nar la loi du 21 avril 1810; il est donc parfaitement inutile de l'énoncer de nouveau, et je crois que la commission est d'accord avec moi.

M. Laurence, rapporteur. Je vous demande pardon.

M. Legrand, commissaire du roi, directeur général des ponts et chaussées et des mines. Si la Chambre pouvait conserver quelque doute à ce sujet, je lui dirais qu'il existe des monuments judiciaires auxquels il n'y a rien à objecter. Un pourvoi a été formé auprès de la Cour de cassation; la personne qui le formait établissait que le sel n'était pas régi par la loi du 21 avril 1810; la Cour de cassation, par les motifs que voici, a décidé le contraire et rejeté le pourvoi. Voici les motifs de la Cour de cassation :

<<< La Cour,

<< Statuant sur le moyen de cassation puisé dans une violation des articles 1, 5 et 96 de la loi du 21 avril 1810;

« Vu lesdits articles de la loi, et attendu que les mines de sel gemme sont par leur nature implicitement comprises parmi les masses de substances minérales ou fossiles qui se tirent de la terre, et que, par la disposition générale de l'article 1, toutes ces substances sont classées, relativement aux règles d'exploitation de chacune d'elles, sous les trois qualifications de mines, minières et carrières; «Que le sel gemme, ne pouvant appartenir

à aucune de ces deux dernières classes, appartient nécessairement à la classe des mines; que les dispositions purement énonciatives de l'article 2 n'ont rien qui déroge, soit à l'article premier, soit à la généralité de la règle prescrite par l'article 5 pour l'exploitation des mines, et qu'on ne peut établir d'exemption là où la loi n'en a pas elle-même établi;

«Que s'il avait pu s'élever quelque doute sur la question de savoir si les mines de sel gemme étaient comprises dans les dispositions de la loi du 21 avril 1810, et par conséquent sujettes à concession, ce doute aurait été entièrement dissipé : 1o par la loi du 6 avril 1825, qui, en autorisant le gouvernement à concéder la mine de sel gemme, objet de cette loi, dès que le domaine de l'Etat en aurait été mis en possession, conformément aux dispositions de la loi du 21 avril 1810, a reconnu que cette espèce de mine était concessible d'après cette loi; 2o par le résultat de la discussion qui, dans les Chambres législatives, a le préparé l'adoption de la loi de 1825, et par rejet des amendements qui tendaient à faire décider que le sel gemme n'était pas même implicitement compris dans la loi de 1810. »

Suivant d'autres considérants, d'où il résulte comme des précédents, que la Cour de cassation a regardé le sel comme régi par la loi de 1810, le sel considéré comme mine, non pas le sel considéré comme provenant de sources salées ou de puits d'eau salée. L'article 1 de la commission n'ayant pas d'autre but que d'énoncer ce que la Cour de cassation a établi d'une manière certaine, je demanae sa suppression; le maintenir, ce serait frapper en quelque sorte d'illégalité tous les actes, soit administratifs, soit judiciaires, qui ont été basés sur cette jurisprudence de la Cour de

cassation.

M. Luneau. Il y a une distinction entre le sel gemme et le sel provenant des sources ou des puits d'eau salée.

M. Legrand, commissaire du roi, directeur général des ponts et chaussées et des mines. La distinction a été établie par la Cour de cassation. La Cour de cassation, en rejetant le pourvoi en ce qui concerne le sel gemme, l'a formellement admis relativement aux sources et aux puits d'eau salée. Toutefois, ce jugement a été rendu dans une espèce, et ne peut être admis comme établissant une règle géné rale. Pour ma part, mon opinion est contraire à la distinction ci-dessus établie. Je partage entièrement l'opinion si bien et si justement exprimée par M. Gay-Lussac sur l'analogie nécessaire entre les mines de sel et les eaux salées; mais il ne s'agit ici que du sel solide. La loi du 6 avril 1825 l'a soumis au régime de la loi du 21 avril 1810; une législation n'est pas nécessaire. Je repousse donc et l'article de la commission et l'amendement de M. Lu

neau.

M. Luneau Mon but, en proposant l'amendement que j'ai présenté, avait été de faire disparaître la rédaction de l'article 1er de la commission, qui pouvait susciter de graves objections sous le rapport scientifique. Ainsi, dans la séance d'hier, l'honorable M. GayLussac nous a fait voir l'inconvénient qu'il y avait à introduire des définitions dans les lois. C'est donc pour faire disparaitre les difficul

tés résultant de la définition introduite par la commission dans l'article 1er du projet amendé, que je lui avais substitué une autre rédaction. Mais du moment que M. le directeur général des ponts et chaussées vient de déclarer qu'il entend que les mines de sel gemme, jusqu'ici, n'avaient été soumises aux dispositions de la loi du 21 avril 1810 que dans les limites fixées par la Cour de cassation, et que par conséquent la loi de 1825, et le traité qui en a été la suite, doivent avoir leur pleine et entière exécution, sans modifications aucunes, et que toutes les contestations à intervenir sur l'exploitation des eaux salées dans les départements de l'Est ressortiront, comme par le passé, de la jurisprudence admise par les tribunaux, je retire mon amendement qui devient sans objet.

M. Legrand, commissaire du roi, directeur général des ponts et chaussées et des mines. Je n'ai pas dit cela; j'ai dit que la Cour de cassation avait décidé que le sel gemme était régi par la loi de 1810; qu'il était par conséquent inutile de l'écrire de nouveau dans la loi. Quant à mon opinion personnelle sur les sources d'eau salée, j'ai dit qu'elle était conforme à celle de M. Gay-Lussac : mais il n'est pas question encore des sources d'eau salée ; il ne s'agit que du sel solide, et puisque dans les articles suivants vous établissez une législation spéciale pour les eaux salées, vous n'avez pas à craindre qu'on applique à ces eaux la législation de 1810.

M. Laurenee, rapporteur. Il est nécessaire de dire quelque chose à cause du débat qui vient de s'élever. Si nous étions parfaitement d'accord sur le sens qu'il faut attacher à la loi de 1810, je ne verrais aucun inconvénient à ce que cette loi continuât à régir les mines de sel, encore bien qu'elle n'en fasse pas mention, car il est bon que la Chambre sache qu'au nombre des mines dénommées les unes après les autres dans l'article 2 de la loi de 1810, le nom des mines de sel ne s'y trouve pas, et c'est de là que viennent les objections faites en justice et résolues dans le sens de l'opinion de M. Legrand par la Cour de cassation.

Mais précisément parce qu'il a fallu un arrêt pour fixer le sens de la loi, il ne sera pas inutile, au moment où nous nous occupons des mines de sel, de faire parler la loi, comme il n'en coûte pas beaucoup de dire, comme le propose M. Luneau, que les mines de sel seront concédées dans la forme et aux conditions prescrites par la loi du 21 avril 1810. Cette déclaration législative, qui n'a pas l'inconvénient des lois interprétatives, qui règle certainement l'avenir, est non seulement utile, mais elle est indispensable.

Je demande à la Chambre la permission de lui donner une preuve de la nécessité. L'honorable M. Gay-Lussac disait hier que les mines ont ce caractère, que non seulement les substances minérales se présentent à l'état solide au sein de la terre, mais encore se trouvent dissoutes. Il y a des mines, par exemple, les mines de cuivre qui peuvent être exploitées à l'état liquide.

M. Gay-Lussae. Non, non! Il n'y en a pas. M. Laurence, rapporteur. Dans tous les cas, la loi de 1810 ne régit que les mines, les minières, les carrières dans lesquelles les subs

tances minérales sont mélangées; eh bien ! votre loi actuelle statue sur le régime du sel à l'état liquide, et comme il est inutile de renvoyer à la loi de 1810 ou à des analogies plus ou moins exactes que la science pourrait révéler, je demande qu'il soit écrit dans la loi que la loi de 1810 ne s'applique qu'aux mines exploitées, comme mines avec galeries souterraines, et quant aux eaux salées, elles sont régies, pour l'exploitation, par des dispositions particulières. Il est donc nécessaire d'écrire la distinction dans la loi, et je demande que l'amendement de M. Luneau soit mis aux voix.

M. Legrand, commissaire du roi, directeur général des ponts et chaussées et des mines. Puisque vous établissez une législation nouvelle pour les eaux salées, la loi de 1810 ne s'appliquera plus qu'aux mines de sei considérées comme mines, c'est-à-dire qu'au sel solide.

M. de Golbéry. Ce qui abonde ne vicie

pas.

M. Luneau. Du moment qu'il peut y avoir le moindre doute dans les esprits, je maintiens la rédaction que j'ai proposée; il faut que la loi s'exprime clairement, et comme on vient de le dire, ce qui abonde ne vicie pas. La découverte du sel gemme est une découverte récente; en 1810 l'on ne connaissait pas en France de mines de sel gemme; c'est en 1818 que pour la première fois l'on en a découvert dans les département de l'Est et en 1830 dans le département des Basses-Pyrénées. Il n'y a de concession de sel gemme que celle faite à 1, Compagnie de l'Est, conformément à la loi toute exceptionnelle et toute spéciale de 1825.

Eh bien! vous avez vu les graves objections qu'on a faites précisément à ce sujet sur la portée de cette loi. Or, comme l'intention bien manifeste de la Chambre est de ne rien innover, et comme il s'agit d'une proposition qui, ne portant aucune atteinte au passé, ne statuera que pour l'avenir; je ne vois pas comment vous pourriez repousser l'amendement que j'ai l'honneur de vous proposer.

M Legrand, commissaire du roi, directeur général des ponts et chaussées et des mines. On a dit que le sel gemme n'était pas connu en France en 1810; je puis citer un édit de 1723 où le sel gemme est cité.

Une voix : On ne le connaissait pas dans le

commerce.

(L'amendement de M. Luneau est mis aux voix et adopté.)

M. le Président. L'amendement de M. Luneau formera l'article 2 du projet. J'en donne de nouveau lecture

Art. 2 (Rédaction définitive).

« Les mines de sel seront concédées aux conditions et dans les formes prescrites par la loi du 21 avril 1810, sauf les modifications ciaprès. »

M. le Président. Je donne maintenant lecture de l'article 3 qui est ainsi conçu :

Art. 3.

« Le ministre des finances sera consulté sur toutes les demandés en concessions de mines.

« Nulle concession de mines de sel ne pourra excéder l'étendue fixée par l'article 5 de la loi du 26 juillet 1791. »

M. Luneau ayant proposé un amendement sur le deuxième paragraphe, je mets d'abord le premier paragraphe aux voix.

(Le premier paragraphe est adopté.) Voici l'amendement de M. Luneau, qui remplacerait le deuxième paragraphe :

་་

« Nulle concession de mines de sel ne pourra excéder 10 kilomètres carrés. »>

M. Luneau. La commission, après un mûr examen, avait reconnu que l'étendue fixée pour les mines en général, par la loi du 26 juillet 1791, était beaucoup trop considérable pour les mines de sel gemme. C'est du reste l'opinion même du conseil d'Etat qui, toutes les fois qu'il est consulté pour des concessions de mines de fer ou de houilles, les restreint dans des périmètres beaucoup plus étroits. Les limites fixées par la loi de 1791 sont de six lieues carrées. Or, tout le monde convient que l'exploitation du sel gemme ne demande pas une si grande étendue que l'exploitation d'un bassin houiller ou d'une mine de fer, et que, dans l'intérêt de la libre concurrence, il faut restreindre autant que possible le cercle de la concession.

Cette disposition est d'une certaine gravité, et dans le fait, qu'est-ce que nous faisons en ce moment? une législation dans la prévision de l'abolition prochaine du monopole dans les départements de l'Est. Eh bien ! ce contre quoi nous devons surtout nous prémunir, c'est contre la reconstitution possible de ce monopole. Il faut que nous prenions tous les moyens d'empêcher cette reconstitution, et pour cela nous devons autant que possible faciliter non seulement l'exploitation des sources salées, mais aussi celle du sel gemme.

Déjà dans le département des Basses-Pyrénées, un nombre très considérable d'usines s'est élevé. Si vous donnez une trop grande extension aux concessions, vous tuerez la majeure partie de ces établissements, et vous nuirez par là aux intérêts des consommateurs, car il faut aussi favoriser le bon marché.

Il y a encore à considérer l'intérêt de l'industrie qui fournit les sept huitièmes de la matière imposable, je veux parler des marais salants. Cette industrie n'est pas susceptible d'être monopolisée, ou même d'être réunie dans un petit nombre de mains.

Elle est divisée à l'infini, autant que la propriété même du sol, chaque marais salant est dépendant du champ voisin dont il n'est pour ainsi dire que l'accessoire; l'industrie des marais salants est donc inséparablement liée à l'intérêt agricole des contrées où ils sont situés; pour la protéger efficacement, il faut la mettre dans des conditions égales, et pour cela il est indispensable d'établir la plus grande concurrence possible.

Lorsqu'un propriétaire veut créer des marais salants, personne ne peut l'en empêcher, et ils peuvent ainsi se multiplier indéfiniment. Dans ce moment les salaires des malheureux ouvriers qui exploitent les marais salants sont réduits à la plus minime proportion. Dans ces derniers temps ils ont été réduits à 20 centimes par jour.

La Chambre paraît disposée à entrer dans un système de liberté : nous y adhérons complètement, quelque préjudiciable qu'il puisse être, sous certains rapports, pour nos marais salants; mais nous le voulons avec toutes ses conséquences. Il ne faut pas qu'après l'abolition de la Compagnie des salines de l'Est, le monopole ressuscite sous une autre forme, puisse envahir nos marchés. En un mot, nous devons subir tous les inconvénients de la liberté, il faut qu'en échange les avantages de la liberté nous soient assurés et que l'on établisse la plus grande concurrence possible pour l'exploitation du sel gemme et des eaux salées.

Je demande en conséquence que les limites de six lieues carrées, fixées par la loi de 1791, soient réduites à dix kilomètres carrés.

M. de Schauenbourg. Messieurs, je suis de l'avis de l'honorable M. Luneau, quand il trouve que la limite des concessions fixées par la loi de 91 est trop étendue. Six lieues carrées sont trop pour que la concurrence puisse avoir des conséquences de bon marché pour le consommateur. Mais la limite trop petite qu'il a opposée à celle de la loi de 91 a, par des raisons contraires, des effets semblables. Il faut, pour qu'une concurrence soit utile, qu'elle ne soit pas trop divisée, car alors c'est une guerre qui s'établit entre des combattants trop faibles et il ne peut en résulter que des ruines. Il faut, pour qu'une concurrence soit utile, qu'elle s'établisse entre des forces assez grandes pour vivre en supportant une lutte.

D'un autre côté, dans la concurrence de concessions trop petites, il y aurait un désavantage évident et que tout le monde saisira, pour le consommateur; c'est que vous avez des fabricants qui auront grand'peine à atteindre le minimum de fabrication déterminée par un autre article de la loi. D'ailleurs, il faut pour arriver au bon marché, que les frais de fabrication se répartissent sur des qualités suffisantes. Je n'occuperai pas plus longtemps la tribune, je crois qu'en doublant au moins la limite fixée par M. Luneau, on se rapprochera de conditions également favorables pour le consommateur et pour la concurrence des industries. J'ai l'honneur de proposer de sousamender la proposition de l'honorable M. Luneau, en mettant au moins le chiffre de 20 kilomètres carrés.

M. de Goibéry. Je crois que la proposition de M. Luneau ne fixe pas de trop petites quantités; seulement il s'agit de savoir si elle peut s'accorder avec l'article qui établit le minimum à 5,000 quintaux de fabrication. Voilà toute la question.

M. Baude. On se trompe beaucoup quand on croit faire une chose utile aux consommateurs en proposant une mesure qui, si elle était appliquée, conduirait à une grande multiplicité de concessions. Cette multiplicité de concessions serait d'abord incompatible avec le minimum fixé par la loi, sans lequel cette loi elle-même ne pourrait pas fonctionner comme loi de finances.

En second lieu, dans tous les établissements du genre de ceux dont nous nous occupons, les frais généraux jouent un très grand rôle. Si donc vous multipliez les établissements, les frais généraux les répartissant pour cha

cun sur une très petite quantité de sel produit, il est évident que les contribuables paieraient le sel plus cher.

M. Lherbette. Et la concurrence!

M. Baude. Avec la concurrence les établissements tomberont; et alors vous n'avez pas besoin de fixer de si petites concessions.

M. Lherbette. Qu'en savez-vous ?

M. Baude. Il faut faire des concessions qui soient dans de justes proportions, entre lesquelles la concurrence soit sérieuse; car les petits établissements que notre honorable collègue M. Lherbette cite comme un moyen de concurrence, n'en sont pas un, puisqu'il a certitude pour ces petits établissements de tomber.

Quant à moi, pour que la concurrence soit sérieuse, je voudrais que chaque établissement eût la force nécessaire pour la soutenir; et je crois qu'en fixant le périmètre des concessions à un maximum de 100 kilomètres carrés, ce qui serait inférieur à la fixation de la loi du 28 juillet 1791, fixation qui d'ailleurs, dans un moment où vous allez vous occuper de nouvelles mesures, a l'inconvénient de se rapporter à des mesures abrogées; je crois, dis-je, qu'en fixant l'étendue à 100 kilomètres carrés ou 10,000 hectares, vous formerez des établissements, dont chacun aura la force nécessaire pour faire efficacement la concurrence; tandis que si vous faites de petits établissements, ils seront renversés.

M. Gay-Lussae. Je vais plus loin que M. Baude, et j'entre tout à fait dans ses considérations. Il faut que les établissements puissent avoir une certaine étendue pour pouvoir lutter entre eux. Il me suffit de faire une simple remarque: un département a environ 400 lieues, je ne saurais trop dire précisément, mais enfin une étendue considérable...

M. Legrand, commissaire du roi, directeur général des ponts et chaussées et des mines, 400,000 hectares!

M. Gay-Lussac. Comme vous vous en rapportez à l'ancienne législation, et je ne verrais pas pourquoi on voudrait y déroger, en supposant qu'on tînt à la limite posée comme maximum par la loi, il pourrait s'établir dans un seul département de l'Est au moins 50 fabriques, et si elles atteignaient le minimum de 500,000 kilogrammes il en résulterait que les 50 fabriques produiraient beaucoup au delà des besoins de la consommation, et qu'ainsi un seul département serait plus que suffisant, avec l'ancienne législation, pour fournir au delà du sel nécessaire à la consom mation; à plus forte raison, s'il en est ainsi dans les dix ou peut-être davantage, où le sol peut se trouver.

Je demande donc, par les considérations que M. Baude vient d'exposer, afin que les établissements puissent arriver à une étendue qui leur donne la force nécessaire pour soutenir la concurrence, je demande le maintien de l'ancienne législation.

M. de Schauenbourg. Les observations de l'honorable M. Gay-Lussac auraient toute la justesse qui leur manque si, dans un département de 400 kilomètres carrés, il se trouvait du sel partout, si partout il se trouvait des

gisements continus, et si sur ces gisements on pouvait établir partout des fabriques. Mais il faut que vous limitiez ce nombre de fabriques suivant les conditions des terrains où le sel se rencontre, et sous le rapport de l'importance des concessions et sous celui de l'abondance des mines, parce qu'il faut qu'elles puissent se soutenir et soutenir une concurrence utile, et sous le rapport encore du rapprochement, pour qu'elles puissent trouver place sur le gisement salant.

Eh bien, sous ces rapports divers, je prie la Chambre de croire (et je ne suis pas sans avoir fait quelque étude des conditions géologiques et industrielles des pays où le sel foisonne), je crois que la meilleure proportion que la Chambre puisse adopter, est celle de 20 kilomètres au moins et de 30 au plus.

M. Luneau. La loi contient plusieurs dispositions. Les unes regardent les mines de sel gemme, et pour celles-là concession dans les formes et aux conditions déterminées par la loi du 21 avril 1810; les autres concernent les sources d'eaux salées sans aucune distinction d'origine, et dans ce cas il suffit, pour exploiter, de faire la déclaration prescrite par l'article 51 de la loi du 24 avril 1806 : c'est le régime de la plus complète et entière liberté; il n'y est apporté de restriction que dans l'intérêt de l'impôt. Or, remarquez bien que l'on a toujours considéré comme faisant partie de la propriété toutes les sources qui sont sur le fonds, à quelque profondeur qu'elles soient, et comme on le disait il y a quelques jours à cette tribune, à propos du projet de loi sur les sources minérales, les eaux, c'est une partie même du fonds, c'est le fonds lui-même, l'on ne peut y toucher sans porter atteinte à la propriété ; c'est ainsi que les ont toujours considérées et la législation ancienne et la législation nouvelle. Eh bien ! Vous voyez dans la nouvelle rédaction de l'article 3 de la commission que l'on vient apporter une restriction à ce droit de propriété : l'article primitif déclarait sans aucune exception, qu'en dehors comme en dedans des concessions de sel gemme l'exploitation des eaux salées serait libre. Maintenant vous ne permettrez plus l'exploitation des sources salées, même naturellement, dans l'enceinte des mines concédées. Cette disposition nous a vivement préoccupés, parce qu'il faut en convenir, c'est une dérogation au droit commun, c'est une atteinte à la propriété; il faut donc les renfermer dans les plus étroites limites.

L'on a beaucoup parlé hier à cette tribune des principes de géologie, et l'on s'est attaché à démontrer que les eaux salées n'étaient pas autre chose que le sel gemme à l'état liquide, et par conséquent que la mine même. Assurément, Messieurs, j'ai beaucoup de respect pour les principes de la science, et en particulier pour notre honorable et savant collègue qui les défendait hier à cette tribune; je n'examinerai donc pas la question de savoir si ces principes sont susceptibles d'être contestés; je reconnaîtrai même que l'accord des principes de la législation avec les principes de la science est une chose qui ne peut qu'être très avantageuse. Mais cela est-il toujours possible? la science elle-même n'a-t-elle pas ses changements, ses variations?

Les lois sont faites pour pourvoir à des

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