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·M. Lacave-Laplagne, ministre des finances. Je regrette que l'honorable préopinant n'ait pas bien compris les motifs qui m'ont porté à déclarer que le gouvernement ne pourrait pas prudemment donner sa sanction à la loi tant que le traité ne serait pas conclu; cela ne tient nullement aux dispositions de l'article 1er, cela tient à toutes les autres dispositions de la loi. L'article 1er serait retranché, que le gouvernement serait toujours dans la même résolution, car qui a pu lui inspirer les motifs de cette résolution? c'est la crainte qu'on ne vînt lui dire « Nous vivons sous l'empire de la législation nouvelle. D'après les articles de cette législation, nos conditions ne sont plus les mêmes ; et c'est par votre fait qu'est rompu le contrat, et que nous sommes privés d'un traité qui doit avoir, selon nous, de grands avantages; par conséquent, vous nous devez donner de larges indemnités. >>>

Ainsi, que l'article 1er soit voté ou non, le retard de la sanction doit toujours avoir lieu; il faudrait donc, pour satisfaire l'honorable M. Dufaure, non seulement ne pas voter l'article 1er, mais remettre à la session prochaine toute la loi.

M. Liadières. Cela serait beaucoup mieux! M. Laurenee, rapporteur. Beaucoup plus mal!

M. Lacave Laplagpe, ministre des finances. Que l'honorable député des Basses-Pyrénées, qui croit que son département peut avoir à se plaindre de la loi, en désire l'ajournement, je le conçois; mais j'espère cependant qu'il comprendra que les intérêts de son département, ainsi que ceux de tous les départements, sont ménagés comme ils doivent l'être par les dispositions qu'elle contient.

Mais ce dont il s'agit ici, c'est, non pas d'un département, mais de tous; et lorsqu'il est certain que la législation actuelle laisse de grandes facilités pour frauder, pour se soustraire au paiement des droits, lorsqu'il n'existe, par exemple, aucune disposition légale qui interdise le transport des eaux salées, source d'une fraude très considérable, je demande s'il n'est pas urgent de voter, sans retard, des dispositions qui doivent avoir pour résultat de remédier par une loi à un pareil état de choses, et de ramener à l'égalité devant la loi, la plus désirable de toutes puisque c'est l'égalité de ceux qui exécutent la loi comparativement à ceux qui la violent ouvertement. Je répète que la marche que j'ai indiquée à la Chambre me paraît de nature à concilier tous les intérêts, c'est-à-dire à créer une législation forte qui assure le recouvrement des droits du Trésor, et en même temps, à éviter les inconvénients qui pourraient résulter de la faculté qui serait donnée à la compagnie des salines de prétendre que ses droits ont été méconnus, et que le contrat a été rompu par violence.

D'après cette explication, l'honorable préopinant doit comprendre que la question élevée par le premier paragraphe de l'article 1er n'est pas celle qui doit motiver le retard de la sanction.

Je passe au second paragraphe.

M. le rapporteur vous a dit que j'avais demandé que la rédaction fût modifiée. Le paragraphe portait que les propriétés seront ven

dues. J'ai demandé qu'on dise seulement que le ministre des finances est autorisé à les alié

ner.

Si j'ai demandé cette autorisation, ce n'est pas que je ne trouve qu'il est convenable, qu'il est très nécessaire de les aliéner. Je vais en expliquer les raisons. Ces propriétés ont, envisagées abstractivement de leur destination, ces propriétés ont une certaine valeur ; mais ee serait une valeur morte, si elles ne pouvaient pas continuer à être employées à la destination qu'elles ont maintenant, c'est-à-dire à rester des fabriques, des usines dans lesquelles on fabrique du sel. Eh bien! il est évident que du moment où on veut entrer dans un régime de concession, le gouvernement doit aliéner ces propriétés, car il ne pourrait en rien faire s'il ne les aliénait point. Il doit les aliéner avec une concession attachée à ces propriétés ; sans cela remarquez dans quelle position se trouverait le gouvernement ou il louerait ses propriétés à un individu à qui il donnerait une concession, et comme les concessions sont perpétuelles, à l'expiration de la location ces propriétés seraient sans nulle valeur, excepté pour le concessionnaire, en sorte que le gouvernement serait à sa discrétion et se verrait obligé de les lui donner à un vil prix, ou le gouvernement les aliénerait sans concession, et alors ce serait aussi à vil prix qu'il les aliénerait.

Le meilleur moyen est donc d'aliéner ces propriétés avec publicité et concurrence, avec une concession qui y serait attachée. Les individus qui voudraient exploiter les mines très riches situées dans ces propriétés se presenteront aux enchères, et par là on pourra obtenir un prix raisonnable de ces propriétés.

Quant au troisième paragraphe, la compagnie a vivement demandé que lorsque les indemnités seraient fixées, elle pût les recevoir. On conçoit cette demande, elle s'appuie d'ailleurs sur l'article de la Charte qui veut qu'on ne soit pas privé de ses propriétés sans une indemnité préalable.

J'ajouterai que c'est d'ailleurs dans l'intérêt du Trésor qu'une faculté comme celle-là doit être accordée. Les arrangements seront avec eux plus faciles, beaucoup plus avantageux pour le Trésor si le Trésor a le moyen de les exécuter le plus promptement possible, à la satisfaction de toutes les parties intéressées. Voilà quel est le motif qui m'a fait consentir, et je me sers à dessein de cette expression, car ce n'est pas moi qui l'ai demandé ; qui m'a fait consentir à ce que cette faculté fût insérée dans la loi. Je crois, Messieurs, qu'elle doit y rester. Ce n'a été de ma part qu'un consentement qui me paraît dans l'intérêt de tous. Ainsi je ne vois pas de motifs pour ne pas adopter la dernière disposition de l'article. (Aux voix! aux voix!)

(M. Dupin cède en ce moment le fauteuil à M. Calmon, Vice-Président, et monte à la tribune.)

PRÉSIDENCE DE M. CALMON, Vice-Président.

M. Dupin aîné. Je demande à la Chambre la permission de lui soumettre une observation ; et comme il est possible qu'elle entre un peu dans la discussion, et que cela ne puisse pas être considéré seulement comme une posi

tion de question, j'ai mieux aimé monter à la tribune, afin de jouir de toute liberté.

Cette loi me paraît offrir un caractère de singularité : c'est, d'une part, une législation qu'il peut être très utile de faire; et, en tout ce qui touche à cette législation si elle est en effet utile, je n'en demande ni le retrait ni l'ajournement, car je voudrais que le pays pût en jouir le plus tôt possible. Mais ce qui me frappe, c'est que la proposition de la loi se complique d'une question d'intérêt privé et d'une convention. Dans l'état actuel des choses, le gouvernement est dessaisi par un traité.

Dans cette position, il est évident que la compagnie ne peut pas se dégager malgré le gouvernement, et que le gouvernement ne peut pas se détacher de la compagnie malgré elle. C'est un contrat qui, ayant été consenti librement, ne peut être détruit que d'un commun consentement.

Il est évident encore que, par la loi actuelle, nous ne jouirions pas de toute la liberté que doivent avoir les législateurs, si nous traitions sous l'appréhension de porter, par le vote de la loi, une atteinte quelconque aux avantages que le traité assure à la compagnie.

Or, voici en quoi le gouvernement me paraît devoir être, après la loi, dans une situation beaucoup moins avantageuse que celle où il est quant à présent. En ce moment, la compagnie se plaint de l'état actuel de la législation combinée avec la jurisprudence. Son traité lui pèse, elle ne parle que de ses pertes présentes et de ses appréhensions pour l'avenir; car elle a des concurrents sur lesquels elle n'avait pas compté, et, avec l'eau salée, on vient en partage avec elle des bénéfices du sel gemme; en un mot, elle a rencontré un ennemi souterrain là où elle ne s'attendait pas à le voir.

Je suis donc étonné que, dans l'état actuel des choses, et pour ainsi dire sans délai, on n'ait pas consenti immédiatement à une résiliation; car le gouvernement n'entend pas tyranniquement retenir dans les liens d'une convention onéreuse une compagnie qui ferait des pertes, quand, de son côté, en la soustrayant à ces pertes par une résiliation, il reconquiert le droit de faire en toute liberté une législation désirée par des départements importants, quand il aurait avantage à libérer la compagnie de son traité pour rentrer pleinement dans son droit de législateur. Je suis donc étonné, je le répète, qu'en vingtquatre heures de temps, la compagnie n'ait pas consenti à la résiliation, afin de se délivrer d'un traité qui lui est onéreux, en même temps que de rendre toute sa liberté au gouvernement. Les deux contractants y gagneraient.

Je crois qu'il y a au fond une ruse d'intérêt personnel que je n'accuse pas, mais que je signale, et à laquelle je ne suis pas obligé de me prêter...

M. Saglio. Je demande la parole.

M. Dupin aîné. Je crois cet intérêt très légitime, parce que, quand on entre dans une compagnie, ce n'est pas pour y perdre, c'est, autant que possible, pour y gagner. Mais, quant à moi, je n'ai qu'un intérêt, c'est que la loi qu'on fait soit meilleure que celle qui existe, et c'est à cela que se borne mon aperçu.

Voici où je trouve que la question serà dans

une situation moins avantageuse pour l'Etat : On va faire un premier article par lequel on autorise le ministre à résilier le traité de 1825, et vous voyez déjà poindre dans le projet ce dont on se garderait bien de parler dans la situation actuelle de la législation, c'est-à-dire une indemnité pour se délivrer d'un traité onéreux ; on parle, dis-je, de voies et moyens pour payer une indemnité éventuelle. C'est donc là notre perspective, et voici où je place, moi, la difficulté :

C'est que la compagnie, qui serait très empressée de résilier si l'on ne changeait pas la législation, pourra l'être beaucoup moins alors que la législation nouvelle sera faite. En effet, dès que la loi actuellement en discussion aura été votée, la compagnie vous dira « J'exige telle indemnité, sinon je reste avec mon traité. » Le gouvernement, quand on aura changé la législation, quand on aura fait une législation de droit commun, qui consacrera la liberté d'exploitation, se verra en butte à des réclamations et à des demandes de tous les côtés pour participer à cette exploitation libre qui va être introduite par la législation. Or, quand le gouvernement se verra pressé par un certain nombre de départements et de députés qui viendront lui dire : « Vous regardez la loi comme bonne, vous l'avez poursuivie comme telle; pourquoi ne la rendez-vous pas exécutoire? » - - « Mais je veux obtenir la résiliation du bail », répondra le gouvernement. «Eh! pourquoi ne la fait-on pas », répliqueront les solliciteurs? Or, on ne la fera pas précisément parce qu'on sentira que vous serez pressés de voir exécuter la loi. Ainsi, le gouvernement se trouvera placé entre les départements et les députés qui lui demanderont la prompte exécution d'une loi qui est utile à une grande portion du pays, et la compagnie qui fera des difficultés, et dira: « Je ne veux pas consentir à la résiliation sans obtenir telle indemnité; je profite de la situation. >>

J'en conclus, Messieurs, qu'il serait d'une importance immense pour le gouvernement de traiter de la résiliation avant que la loi ne soit faite.

Dans cette situation, et si réellement la compagnie est en perte, en vingt-quatre heures, elle peut consentir à la résiliation sans demander d'indemnité, la compagnie sera ainsi délivrée d'un traité qui lui est préjudiciable, et le gouvernement aura sa liberté. Dans le cas contraire, si la Chambre l'autorise à trai ter de la résiliation, avec l'éventualité de payer indemnité, je dis qu'on ne résiliera plus que difficilement. « Je veux bien résilier, dira la compagnie, mais je veux des indemnités. »> Qu'est-ce donc, dira-t-elle, que 3 ou 4 millions pour faire jouir la France d'un tel avantage? les départements de l'Est en paieront sans doute leur part, mais comme ce sont eux qui profitent de la loi, ils seront insensibles à la quotité des millions qui seront imposés au pays. Eh bien! moi, je suis sensible aux intérêts de la France tout entière; si nous pouvons ne rien payer, je suis d'avis qu'on ne paie rien du tout. Je désire que la loi soit portée, parce qu'il y a des intérêts puissants qui la sollicitent; mais je déclare que j'aimerais beaucoup mieux que la résiliation fût faite avant que l'on passât au vote. J'aimerais beaucoup mieux qu'on fit passer une

autre loi, et que la loi sur le sel ne vînt que la semaine prochaine. (Appuyé! appuyé!)

M. Lacave-Laplagne, ministre des finances, monte à la tribune.)

M. de Marmier. Je demande à M. le ministre des finances la permission de dire un mot qui, je crois, pourra faciliter ce qu'il aura à dire à la Chambre. Je dis que, quel que soit l'empressement des départements de l'Est à jouir de la justice qui leur est accordée, je ne crains d'être désavoué par aucun des électeurs qui m'ont envoyé dans cette Chambre, quand je dirai que nous sommes habitués, depuis longues années, à faire des sacrifices pour le pays, et qu'aucun de nous ne trouvera mauvais que la loi ne soit pas sanctionnée par le roi jusqu'à ce que les intérêts du Trésor soient parfaitement à couvert. (Mouvements divers.)

M. Lacave-Laplagne, ministre des finances. Je crains, Messieurs, que dans l'opinion qui vient d'être exprimée à cette tribune... M. Parant. Je demande la parole.

M. Lacave-Laplagne, ministre des finances. Par l'honorable Président de la Chambre, il n'ait été préoccupé par une idée qui ne soit pas complètement exacte; cette idée est celle-ci : C'est qu'il pourrait se présenter telle hypothèse où le gouvernement n'aurait rien à payer à la compagnie. Eh bien! cette hypothèse le rapport de la commission vous a déjà fait connaître qu'elle n'existait pas.

J'ai déjà eu l'honneur de dire à la Chambre que sur une question de ce genre, je ne pouvais m'expliquer qu'avec une grande réserve; mais je crois cependant ne pas me départir des bornes de cette réserve, en disant que la rupture du traité des salines de l'Est obligera l'Etat à faire, non pas des sacrifices, mais des remboursements de sommes que la compagnie a payées à la décharge de l'Etat. Ainsi, la demande de crédit indiquée dans l'article n'a nullement pour objet des indemnités de la nature de celles qui ont préoccupé, avec raison, l'honorable Président; elle a pour objet des restitutions auxquelles personne de ceux q se sont occupés de la question, que je sache, ne peut supposer qu'on puisse se refuser.

Voilà donc sur ce point une explication qui, je crois, suffit pour motiver l'inscription d'un crédit dans la loi ; ce crédit a pour objet, je le répète, non pas de payer des indemnités, des dédommagements qui pourraient être donnés à des gens habiles à défendre leurs intérêts et à obtenir le plus possible, mais de rembourser des sommes dont l'Etat est débiteur, puisqu'elles ont été payées à sa décharge.

Ce règlement, Messieurs, ne laisse pas que de présenter des difficultés; j'ai déjà dit à la Chambre, et je demande la permission de répéter, que, si j'avais eu du temps devant moi, j'aurais désiré n'arriver à la discussion qu'avec un traité tout fait ; je lui ai expliqué comment il était arrivé que je ne l'avais pas fait.

M. Parant. Je demande la parole.

M. de Mesgrigny. Eh bien! l'ajournement à huit jours!

M. Lacave-Laplagne, ministre des finances. J'entends qu'on parle d'une remise à huitaine; si j'avais cru qu'un délai de huit jours

fût suffisant, j'aurais demandé moi-même l'ajournement de la discussion; mais il ne faut pas se dissimuler qu'il y a là des questions très graves et très compliquées à examiner, que ces questions se rattachent à des considérations de plus d'un genre, et qu'indépendamment de cet examen, vous avez ensuite à traiter non pas avec un individu, non pas même avec un conseil d'administration composé d'hommes entendant les affaires; mais avec une assemblée générale des actionnaires qui doit donner son consentement aux stipulations à intervenir. Par conséquent, et la nécessité de préparer mûrement l'examen du traité à intervenir, et la nécessité de faire sanctionner ce traité par ceux qui doivent l'accepter, exigent un délai tel, que la remise de la discussion jusqu'au moment où l'on pourrait se présenter avec ce traité serait, je dois le déclarer à la Chambre, la remise de la discussion à l'année prochaine. (Bruits et mouvements divers.)

J'ai déjà eu l'honneur de dire à la Chambre qu'il y avait là des dispositions urgentes, et c'est pour cela que je crois qu'il est de mon devoir d'insister pour la continuation de la discussion.

Un délai à huitaine, je le répète, trouverait la question au point même elle est aujourd'hui. Dès le moment que j'ai étudié la question, je me suis mis en communication avec l'administration des salines, et je déclare que je ne perdrai pas un moment pour arriver à la prompte solution de la question. Elle présente, je ne saurais trop le répéter, de grandes difficultés, et j'ai besoin, par conséquent, de m'entourer de lumières et de l'expérience des hommes qui s'en sont occupés d'une manière plus particulière. J'ai déjà fixé la composition d'une commission qui sera appelée à examiner la question et à s'entendre avec la Compagnie des salines de l'Est. Je ferai tout ce qui dépendra de moi pour que cette question soit résolue le plus tôt possible, mais il y a des délais qui tiennent à la force des choses, et qui ne permettent pas qu'elle soit résolue aussi promptement qu'on en a exprimé le désir, désir bien légítime sans doute, mais qu'on ne peut pas satisfaire. Je prendrais un engagement, qu'il ne me serait pas possible de tenir, ou j'exposerais peut-être l'Etat à des dommages qui seraient le résultat d'une trop grande précipitation.

Je suis donc obligé de revenir à cette déclaration que l'article ne me paraît pas présenter les inconvénients qui ont frappé l'honorable Président de la Chambre, et j'ajouterai que les sollicitations des députés ou d'autres personnes ne seront pas de nature à faire hâter la promulgation.

Il n'y a pas de ministre des finances qui fût assez imprudent pour céder à ces sollicitations, en présence de sa responsabilité.

J'ajouterai que personne n'aura intérêt à les faire. Remarquez que, d'après la loi même, elle doit recevoir son exécution, pour ce qui concerne la libre fabrication, à partir du 1er juillet 1838. Ainsi, jusqu'au 1er juillet 1838, les intérêts qui préoccupent l'honorable Président ne seront pas nés. Par conséquent, le gouvernement aura tout à fait le temps de conclure le traité, et peut-être sera-t-il possible qu'il soit conclu avant que la discussion de cette loi à l'autre Chambre soit terminée.

Je renouvelle la déclaration que j'ai faite : c'est que je prendrai et que j'ai déjà pris les mesures nécessaires pour amener la question à une prompte solution. (Très bien!)

M. Saglio. Je n'avais nul désir de prendre la parole, parce que, comme administrateur de la Compagnie de l'Est, j'avais un intérêt personnel, quoique minime, puisque je ne suis qu'un simple actionnaire; mais les paroles que vient de prononcer l'honorable Président, qui ont toujours une influence très grande et méritée sur la Chambre, me forcent à répondre quelques mots.

D'abord, l'honorable Président est dans l'erreur s'il croit que la compagnie est en perte; les comptes de la dernière année prouvent qu'elle a encore donné un dividende au delà de 5 0/0. Il est vrai que la législation, qui est très douteuse sur la question des sources salées, a rendu la position de la compagnie très compliquée et très embarrassante. D'abord nous avons eu de grands procès à soutenir; mais il faut dire à la Chambre que le dernier procès, qui était le plus important, a été gagné par la compagnie. La Cour de cassation a confirmé le jugement, et l'établissement de M. Parmentier a été supprimé. Eh bien ! je ne doute pas un instant que si nous voulions procéder de la même manière vis-à-vis des autres établissements qui prétendent exploiter des sources naturelles, nous arriverions au même résultat.

Je pense qu'en fait la compagnie peut se soutenir; elle ne peut pas faire de grands bénéfices, mais elle aura toujours 4 ou 5 0/0 d'intérêt; elle aura un travail considérable; toutes ces entreprises donnent toujours beaucoup de travail et de soin, mais elle ne sera pas au-dessous de ses affaires.

Maintenant qu'est-il arrivé? Le ministre des finances a proposé un projet de loi pour diminuer le prix de vente dans les dix départements, mesure réclamée avec instance, juste en elle-même, et que ni les Chambres, ni le gouvernement ne peuvent pas refuser. Qu'avait à faire la compagnie dans ces circonstances? Elle avait à émettre un vœu sur ce projet, qui a été poussé plus loin par la commission dont M. Laurence est rapporteur, commission qui est allée jusqu'à la libre fabrication. Eh bien! la compagnie n'a pas hésité un instant à se prêter aux exigences de ce projet ; elle a fait connaître à M. le ministre des finances quelles seraient à peu près les sommes qui devraient lui être remboursées ; et je fais observer à la Chambre que la compagnie ne demande que ce qu'elle a vraiment déboursé, les indemnités qu'elle a payées à la décharge du gouvernement, les sommes qu'elle a employées à la construction de nouveaux établissements, qui donnent aujourd'hui une plus grande valeur aux propriétés de l'Etat; elle ne demande pour la résiliation de son bail aucune indemnité pour non-jouissance. Ce sont donc de véritables chimères que l'on vous présente; c'est pour effrayer vos consciences, et pour reculer jusqu'à une époque qui n'est pas appréciable la jouissance dont devraient être en possession les dix départements de l'Est.

Maintenant, comment la libre fabrication a-t-elle pris naissance? C'est l'ancienne commission qui a été chargée de l'examen du projet de loi de l'année dernière qui en a eu l'idée; lorsque l'honor ble M. Duchâtel, an

cien ministre des finances, a présenté le dernier projet de loi, il y a eu une nouvelle commission nommée pour l'examiner. Eh bien! comment a-t-on procédé? On a réuni les deux commissions, et lorsqu'on a voulu connaître le montant de la somme que le gouvernement pourrait encore retirer, tant comme prix de bail que comme part dans les bénéfices que l'avenir pourrait présenter au Trésor seraient si peu considérables, on s'est aperçu qu'il ne valait pas la peine de conserver le monopol: qui n'était plus compatible avec l'ordre de choses actuelles.

Les deux commissions ont examiné à fond la question; on y a mis la plus grande franchise, la Compagnie des salines a donné tous les renseignements que l'on désirait; le ministre des finances a fourni les siens; tout a été très loyalement traité; je ne sais pas à qui et à quoi M. le Président a voulu appliquer son épithète de ruse; je ne puis pas l'admettre; elle a été appliquée ou à la compagnie ou aux membres de la commission : comme membre de la commission, je la repousse; comme membre du comité de l'administration des salines, je la repousse encore plus énergiquement, et je la renvoie à qui de droit. (Très bien!)

M. Charamaule. Puisque des intérêts privés se trouvent impliqués dans les intérêts publics, c'est une raison de plus d'apporter à ce débat l'attention la plus sérieuse; car, autant que la Chambre, nous ne voudrions point servir les uns au détriment des autres.

J'ai été frappé tout à l'heure d'une asser tion que je dois croire loyale, puisqu'elle émane de l'un de nos collègues; mais elle se trouve tellement en contradiction avec tout ce qui nous a été révélé par la commission dont l'honorable préopinant faisait partie, qu'elle n'a pu que m'étonner.

Ainsi, l'honorable préopinant a dit qu'il fallait bien se garder de croire que la compagnie fût en perte; partant de ce point, il est facile de comprendre que, si la situation de la compagnie est avantageuse, elle ne doit pas naturellement être disposée à se départir sans indemnité des bénéfices que l'exécution de son traité pourrait lui faire espérer dans l'avenir. Eh bien en quels termes M. le rapporteur a-t-il peint la situation de la compagnie? En voici le tableau :

« Quant à nous, nous devons être peu préoccupés de cette pensée que nous ôterions de ses mains (les mains de la compagnie) une heureuse et bonne spéculation, « des chances de fortune inespérées. » Il n'en est rien; et la compagnie le sait si bien que, dans les écrits nombreux émanés d'elle et signés de ses représentants avoués, elle dit, en parlant du grand événement de 1825 qui fonda son droit, la compagnie eut le malheur d'obtenir la préférence. Elle regarde comme une calamité d'avoir été admise à traiter avec l'Etat. Elle ajoute que non seulement elle se résigne à la résiliation de son bail, mais que même si la législature ne lui accorde pas de loi dont l'effet certain fût de lui assurer irrévocablement le monopole qu'elle a entendu saisir, elle sera la première à la provoquer. Je crois donc que la situation est claire, et que nous devons avoir peu de scrupule à la rendre en quelque sorte sa situation primitive, en la délivrant d'un boulet qu'elle traîne à son pied. »

M. de Schauenbourg. Parce qu'elle est le le bouc émissaire de la société, et qu'elle veut cesser de l'être.

M. Charamaule. Il est inutile de revenir sur d'autres passages du discours de M. le rapporteur. Il établissait en trois mots la situation de la compagnie : « Son passé fut mauvais, son présent est insoutenable, son avenir serait désastreux. » Tel est le résumé en trois mots, dans la bouche de M. le rapporteur, de la situation de la compagnie.

Mais s'il en était ainsi, si nous sommes en présence d'un avenir ruineux pour la compagnie, on a le droit de s'étonner que la résiliation du bail soit maintenant une chose si importante, si difficile, qu'on n'ait pu, dans un délai moral plus ou moins long, en venir à bout.

M. le ministre des finances nous disait tout à l'heure, et j'ai vu avec satisfaction cette assertion confirmée par l'honorable préopi nant, que la compagnie n'entendait réclamer aucune indemnité sous le rapport des bénéfices qu'elle aurait pu espérer dans l'avenir. C'est déjà un pas de fait, et nous saurons que si une indemnité est accordée à la compagnie, elle ne se grossira pas de semblables éléments.

Mais l'on a indiqué d'autres éléments d'indemnité. Il n'est pas inutile de les examiner. Quant aux sommes payées par la compagnie à la décharge de l'Etat, il n'y saurait s'élever de doute. Si les sommes payées n'ont pas été l'équivalent ou la condition de l'exécution du bail dans le passé, si elles n'avaient été payées qu'en considération des bénéfices futurs, il est juste de les lui rembourser.

Mais on a indiqué encore comme éléments d'indemnité la valeur des constructions que la compagnie a pu faire.

A gauche Demandez-en donc l'évaluation. M. Charamaule. Il ne s'agit pas de discuter l'indemnité, il s'agit de fixer la situation dans laquelle le Trésor se trouvera placé, et en présence de quelles prétentions il se trou

vera.

Pour connaître quelle sera la situation du Trésor, sans discuter le mérite des préten, tions, il faut au moins les connaître.

On disait donc qu'il y aurait des indemnités à réclamer pour les constructions que la compagnie a faites sur les établissements.

Or, une clause expresse du bail déclare formellement qu'il ne serait dû à la compagnie aucune indemnité pour aucune espèce de constructions par elle faites.

Plusieurs voix : Oui, à l'échéance du bail, au bout de quatre-vingt-dix-neuf ans.

M. Charamaule. Sans doute, à l'échéance du bail. Mais si le bail est onéreux pour vous, si l'avenir doit faire votre ruine, c'est un bénéfice pour vous d'être exonéré le plus tôt possible. Et si dans le cas où la compagnie serait condamnée à subir l'exécution de ce bail, après cette exécution désastreuse perpétuéé pendant quatre-vingt-sept ans encore, elle demeurait sans action pour répéter la valeur de ses instructions, comprendrez-vous qu'aujourd'hui lorsqu'elle obtiendra l'exonération de ce bail si lourd, elle puisse acquérir par cela même un droit que les clauses du bail lui déniaient d'une manière absolue?

Je le répète, nous ne sommes pas ici pour

discuter la valeur et le mérite des prétentions de la compagnie; j'ai voulu seulement les faire ressortir pour constater la situation dans laquelle se trouvera l'Etat vis-à-vis d'elle.

Que vous a proposé M. le ministre des finances? Il vous a proposé comme une garantie pour le Trésor de suspendre la sanction royale jusqu'à ce que le traité de résiliation soit in

tervenu.

Mais, d'abord, vous remarquerez la situation étrange dans laquelle le gouvernement se trouverait placé; le libre exercice de la prérogative de la Couronne se trouverait donc arrêté par les prétentions d'une compagnie privée. La volonté des pouvoirs publics serait en interdit par la résistance de quelques intérêts particuliers! Conçoit-on une situation plus fausse, plus étrange?

M. le ministre des finances, avec une loyauté qui lui fait honneur, et qui d'ailleurs importait à sa responsabilité, a déclaré qu'à ses yeux la loi nouvelle changerait la situation de la compagnie, que ses dispositions créeraient pour la compagnie le droit qu'elle n'aurait pas jusqu'à présent de demander ellemême la résiliation de son bail, et de la demander avec dommages et intérêts. Voilà ce que M. le ministre des finances lui-même, dans la séance d'avant-hier, déclarait en ces

termes :

« Ainsi, Messieurs, je ne pense pas qu'on puisse équitablement admettre que le projet de loi, tel qu'il est formulé par la commission, laisse la compagnie dans la situation où elle se trouve.

« Je ne pense pas qu'on puisse équitablement lui contester la résiliation de son bail.

«Mais si la loi que vous portez innove à la situation de la compagnie, si vous changez la position, si vous établissez des propositions qui nuisent à ses droits, si, en un mot, vous lui créez un motif légitime de réclamer la résiliation de son bail, il faudra que vous lui rendiez justice, que vous lui accordiez une indemnité, puisque vous aurez vous-mêmes rompu le traité par votre fait, par une autorité supérieure. >>

Eh bien! voilà toute la question : est-il prudent de commencer ainsi par innover sur la situation de la compagnie pour plaider ensuite contre elle avec désavantage? Aujourd'hui la compagnie devrait s'estimer trop heureuse d'obtenir la résiliation de son bail. Le lendemain de la loi on dira, par exemple, que la situation de la compagnie n'était pas mauvaise, qu'elle faisait, au contraire, des bénéfices-; et alors peut-être on réclamerait ces indemnités qu'on déclarait tout à l'heure qu'on n'aurait pas l'intention de réclamer. Car, remarquez-le bien, vous n'avez entendu qu'un des actionnaires de la compagnie, qui n'a qu'un très mince intérêt dans l'entreprise; mais ses coassociés se croiront-ils liés par les paroles de leur coassocié? Alors la compagnie se réunira en assemblée générale, et tous les intérêts se donneront carrière, et les paroles loyales que vous avez entendues pourront être désavouées, chacun voudra faire valoir ses droits. Quel intérêt y a-t-il donc à nous placer dans une situation aussi mauvaise?

M. le ministre des finances nous a dit qu'il tenait à l'adoption des mesures ayant pour objet d'assurer la perception des droits. Eh

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