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Célébration de mariage abusive.

Le conseil soussigné, qui a vu copie de l'acte de célébration de mariage du 19 septembre 1726, entre M. le comte d'Hautefort et mademoiselle de Belingant de Kerbabu; copie des lettres écrites par la demoiselle de Kerbahu et par madame sa mère, tant à M. le marquis d'O qu'à M. le marquis d'Hautefort, les 6 et 9 mars, 22 avril et 14 mai 1727; expédition de l'acte passé entre feue madame la marquise de Surville et ses enfans, devant notaires à Paris le 2 mars 1725, dans lequel M. le comte d'Hautefort, lieutenant-général des armées navales, qui y stipule en qualité de tuteur de M. d'Hautefort, est dit demeurant à Paris, rue Neuve-des-Bons-Enfans; l'original du bail sous signature privée, passé entre M. le comte d'Hautefort et M. le marquis de Putanges le 11 avril 1725, par lequel le marquis de Putanges a loué à M. le comte d'Hautefort une maison à Paris, rue de Varennes, pour trois années et neuf mois, moyennant 1,300 livres par an, à commencer la jouissance à la Saint-Jean 1725; une quittance du 23 novembre 1726, donnée par M. de Putanges à M. le comte d'Hautefort pour six mois de loyer échus à la Saint-Jean de ladite année; trois quittances du commissaire des pauvres, de la taxe que devait M. le comte d'Hautefort comme demeurant sur la paroisse de Saint-Sulpice, des 4 décembre 1725, 6 novembre 1726, et 25 janvier 1727; ensemble l'avertissement et quittance de capitation de ses domestiques pour l'année 1726: Est d'avis que M. le marquis d'Hautefort est bien fondé à se pourvoir par appel comme d'abus contre l'acte de célébration de mariage. Non-seulement cet acte n'est revêtu d'aucune des formes

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prescrites par les lois du royaume, n'étant inscrit que sur une feuille volante, et non sur le registre, contre la disposition de l'ordonnance de 1667, titre 20, articles 8, 9 et 10, et n'étant assisté que de deux témoins, au lieu que la même ordonnance, confirmée en ce chef par l'édit du mois de mars 1697, en exige quatre; mais un moyen qui met l'abus dans tout son jour, est que ce prétendu mariage n'est célébré par le propre curé ni de l'une ni de l'autre des parties.

La nécessité indispensable de la présence du propre curé est établie par toutes les lois du royaume qui ont suivi le concile de Trente, et singulièrement par le même édit du mois de mars 1697, qui ordonne, dans l'article 1er, que les dispositions des saints canons et les ordonnances du royaume concernant la célébration des mariages, et notamment celles qui regardent la nécessité de la présence du propre curé de ceux qui contractent, seront exactement observées; dispositions si rigoureusement observées dans la jurisprudence, que l'on juge tous les jours que le mariage est nul et abusif si les curés des deux parties n'ont pas concouru, l'un la célébration, et l'autre par son consentement.

le

par

Dans le mariage dont il s'agit, on ne trouve ni présence ni consentement du curé d'aucune des parties. M. le comte d'Hautefort avait toujours été domicilié à Paris où il est né, et où il avait passé toute sa vie, hors temps de son service et de quelque délassement qu'il prenait quelquefois dans ses terres. Il paraît, par les pièces représentées, qu'il avait une maison louée à Paris plus d'un an avant la date du prétendu mariage, dont le bail a subsisté après sa mort; qu'il payait la capitation de ses domestiques à Paris, et qu'il payait la taxe des pauvres sur la paroisse de Saint-Sulpice. Ainsi son propre curé était constamment celui de Saint-Sulpice à Paris, qui n'a eu aucune connaissance du mariage. Il en est de même du curé de la demoiselle de Kerbabu; c'était celui de Saint-Quentin dans le diocèse d'Avranches. La demoiselle de Kerbabu, qui était mineure, n'avait point d'autre domicile que celui de sa mère remariée au sieur de Saint-Quentin; elle demeurait avec lui dans la

COCHIN. TOME I.

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paroisse de Saint-Quentin. C'était donc le curé de SaintQuentin qui était le propre curé de la demoiselle de Kerbabu. Cependant il n'a eu aucune part au mariage; c'est' le curé d'Argentré qui l'a célébré, lui qui était étranger au comte d'Hautefort et à la demoiselle de Kerbabu. Les saints canons et les lois du royaume réclament également contre ce mariage, et en démontrent l'abus.

Quoique ce moyen soit incontestable, rien n'empêche que le marquis d'Hautefort ne soutienne subsidiairement que ce mariage ne pourrait jamais produire aucun effet civil, quand il subsisterait comme sacrement. Le moyen est évident, ce mariage n'ayant jamais été déclaré pendant la vie du comte d'Hautefort, et ayant même été tenu secret et clandestin jusqu'après sa mort, comme il paraît par les lettres de la demoiselle de Kerbabu. Il est dans le cas de toutes les lois du royaume contre les mariages clandestins, c'est-à-dire de l'article 40 de l'ordonnance de Blois, et de l'article 5 de l'édit de 1639. Il ne faut pas craindre de proposer ce moyen comme s'il affaiblissait l'appel comme d'abus; au contraire, quoiqu'ils soient décisifs, pris séparément, ils se prêtent cependant un secours mutuel. Le mariage est nul et abusif luipar même; il a été d'ailleurs tenu secret, et par conséquent ne peut produire d'effets civils. Ces deux moyens, de se combattre, se soutiennent l'un l'autre ; il faut donc les réunir. Délibéré à Paris, ce

loin

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POUR JEAN-BAPTISTE RAPALLI, trésorier de France en la généralité de Paris, défendeur.

CONTRE GILLES GERMAIN, contrôleur des rentes de la ville, tuteur ad hoc d'ÉLÉONORE-THÉRÈSE DE LORME, épouse dudit sieur RAPALLI, demandeur.

ET encore contre ladite dame RAPALLI, en son nom, demanderesse.

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Si la crainte de manquer une fortune, ôte la liberté à la personne qui se marie contre son inclination.

LE mariage ne formerait plus une union indissoluble, si, pour rompre ses noeuds sacrés, il suffisait d'alléguer en termes vagues un prétendu défaut de consentement et de liberté.

Une âme sensible au plus léger dégoût, ou follement éprise de quelque passion, se saisirait d'abord d'un moyen si spécieux; elle saurait avec art déguiser ses premiers sentimens, exagérer les inquiétudes trop ordinaires aux approches d'un si grand engagement, la faiblesse de l'âge, la timidité du sexe, la crainte respectueuse que la nature inspire pour ses parens, tout deviendrait pour elle une preuve de contrainte et de violence.

La dignité du sacrement, le repos des familles, l'honnêteté publique, ne permettent pas de donner légèrement dans de telles idées; et s'il est juste de rompre un engagement formé sous les noirs auspices de la contrainte, il faut au contraire maintenir avec une sainte fermeté les mariages formés par le concert paisible des parties et de leur famille.

Il y en a peu où cette heureuse harmonie ait plus régné que dans celui des sieur et dame Rapalli. La demoiselle

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de Lorme instruite plusieurs jours avant la signature du contrat de mariage, de la personne qu'on lui destinait pour époux, loin de faire éclater ses refus, n'a pas n'a pas même fait entrevoir de répugnance; elle a reçu les empressemens du sieur Rapalli avec la sagesse et la retenue qui convient à une fille bien née, mais sans chagrin et sans indisposition; aux pieds des autels, elle s'est engagée solennellement avec toute la tranquillité qui convient dans une affaire réfléchie depuis long-temps.

Depuis ce moment décisif, elle a traité le sieur Rapalli comme celui que le ciel venait de lui donner pour époux. Présent, elle lui a prodigué ses faveurs; absent, elle lui a exprimé sa tendresse dans une lettre où règne l'ingénuité, et où la nature se développe sans art, mais avec toute la modestie qui convenait à son sexe et à son âge. Présens, habits de noces, tout a été reçu publiquement et avec reconnaissance; et après que tout a été consommé, on ne craint point de lui faire soutenir qu'il n'y a eu dans tout cela qu'une cérémonie extérieure! C'est, on l'ose dire, élever le scandale dans l'église. Le sacrement deviendrait-il ainsi le jouet du caprice, et l'inconstance disposera-t-elle à son gré du plus saint de tous les engagemens?

Le sieur Rapalli n'impute point à sa femme leurs malheurs communs; il est persuadé que la demande qu'elle a formée est l'effet de sa facilité, et non de sa corruption. Que l'on rompe le charme qui l'a séduite, et l'on verra bientôt la religion et la bonne foi resserrer des noeuds que l'envie seule s'était efforcée de rompre.

FAIT. Le sieur Rapalli est originaire de Gênes, il est né d'une famille noble.

par

Son père, qui avait recueilli une riche succession en 1696, avait encore augmenté sa fortune le commerce. En 1716, il envoya en France le sieur Rapalli. son fils, pour continuer le même commerce. Sa capacité et sa bonne foi lui en procurèrent bientôt un très-florissant; ce qui le mit en état peu d'années après de se retirer et d'obtenir une charge de trésorier de France en la généralité de Paris.

Le nommé des Batistes lui proposa, au mois d'août

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