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ÉCONOMIE DOMESTIQUE.

Rapport fait à la société d'encouragement par M. Christian, au nom d'une commission spéciale, sur les souliers cloués de M. Gergonne.

« Vous m'avez chargé, messieurs, d'examiner les souliers et bottes cloués, sans couture de semelles, qui vous ont été présentés successivement par messieurs Etienne, Gergonne, Monniot et Paradis.

J'ai commencé quelques recherches directes sur l'emploi de ce nouveau système de fabrication; je ne les ai pas toutes terminées, et si j'ai l'honneur de vous soumettre aujourd'hui les premiers résultats de mon examen, c'est que vous m'avez invité à vous faire, dans cette séance, un rapport sur ce sujet. Je ferai usage de quelques observations que M. de la Chabaussière a eu la bonté de me communiquer.

L'emploi des petits clous pour fixer la semelle à l'empeigne, est l'effet d'une de ces con

ceptions ingénieuses qui doit amener dans la confection des souliers une révolution salutaire; c'est en outre le changement le plus remarquable qu'ait subi la mode de fabriquer les souliers de cuir, depuis le temps où l'on se contentait d'attacher des courroies à une simple semelle, jusqu'au moment où, dans le dessein d'envelopper le pied exactement, sans toutefois en gêner les mouvemens, on a cousu deux quartiers et une empeigne avec une ou deux semelles, comme cela se pratique aujourd'hui chez tous les peuples civilisés.

Dans le long intervalle qui sépare ces deux époques de l'histoire de l'art, il n'y a eu que des changemens de formes, dont le principal a été de faire les souliers, l'un d'après la forme du pied droit, et l'autre d'après celle du pied gauche; il a fallu plusieurs siècles pour concevoir et exécuter ce changement raisonnable dans la pratique du métier.

La façon des souliers s'est singulièrement améliorée de nos jours; mais l'art est loin d'avoir fait les mêmes progrès sous le rapport de la bonté, de la solidité de la chaussure. Les cordonniers, dans les grandes villes, surtout, ont cherché à se surpasser les uns les

autres par la forme, par la tournure du soulier; il en est peu qui aient cherché à surpasser leurs confrères, en livrant des souliers de meilleure qualité.

Lorsqu'on examine les métiers dans leur généralité, on remarque deux faits dignes d'attention: 1° que les métiers restent pour la plupart stationnaires, quant aux pratiques fondamentales de chacun; on voit en effet avec étonnement, dans les mains de l'ouvrier, un outil imparfait auquel plusieurs n'ont apporté aucune modification essentielle; l'adresse manuelle, acquise par l'habitude, par la répétition des mêmes mouvemens, supplée à tout; on ne laisse rien faire à l'intelligence; on n'excite en aucune manière les efforts de la raison, qui, pour le dire en passant, perd cette belle occasion de se développer dans le jeune ouvrier aussi les apprentissages sontils d'une longueur excessive, et les pratiques des métiers paraissent machinales, et, s'il était permis de le dire, invariables comme l'instinct; 2° que l'augmentation du nombre des ouvriers, exerçant chacun pour leur compte le même métier, et des métiers tels que le cordonnier, le boulanger, le serrurier, etc., fait plutôt hausser le prix de l'ou

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vrage que de le faire baisser; car plus il y a de maîtres, moins le travail se divise, et chacun doit trouver pourtant des moyens de vivre dans l'emploi bien ou mal entendu de sa journée. Il n'en est pas de même des manufactures ou des métiers qui en sont les parties intégrantes.

Ainsi, du moment que, par une circonstance heureuse, une ou plusieurs pratiques maquelles viennent à être modifiées ou changées, de manière à pouvoir s'exécuter par des machines et un moteur quelconque, le métier prend une marche progressive qu'accélère chaque jour la coopération des lumières, de l'intelligence et de la raison; les produits s'améliorent sous le rapport de la solidité et de la commodité, et ils baissent de prix: ce métier devient une manufacture.

Je me fondais sur ces considérations, lorsque j'ai dit plus haut que la nouvelle manière d'attacher la semelle à l'empeigne, dans le travail des souliers, y produirait une révolution salutaire ; une seule réflexion achevera d'éclaircir ma pensée sur ce point.

L'espèce de point de couture en usage aujourd'hui pour fixer la semelle à l'empeigne, paraît de nature à ne pouvoir être exécutée

par machine, du moins par une machine simple, d'un service facile et d'un emploi profitable; il faudrait, avant toute recherche à cet égard, imaginer un autre point, et je crois qu'il serait difficile, impossible peut-être, d'en trouver un plus solide et plus expéditif que celui qu'on pratique. Or, l'idée de remplacer chaque point de couture par de petits clous rivés, a singulièrement simplifié les principaux problèmes de mécanique que l'on pouvait se proposer dans la fabrication des souliers.

C'est en France, en 1810, que M. Barnet prit un brevet d'importation pour cet objet. Il chargea M. Gergonne, cordonnier, rue du CœurVolant, no 12, faubourg Saint-Germain, de l'exécution du procédé, et l'autorisa, au moyen d'une convention particulière, à poursuivre cette fabrication et à livrer des souliers à la consommation.

Le procédé de M. Barnet est fort simple; il consiste à mettre, à la manière ordinaire, l'empeigne cousue aux quartiers et la première semelle sur une forme de fonte de fer, ou sur une forme de bois recouverte d'une tôle épaisse; à faufiler ou à attacher, d'une manière quelconque, l'empeigne avec la première semelle avec ou sans trépointe; à ra

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