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battre bien au marteau les bords de l'ent

un,

peigne; à assujettir la seconde semelle sur le soulier, et enfin à enfoncer les clous un à très-près les uns des autres, et cependant à égales distances. Les clous ont ordinairement la forme de petits coins très-allongés. M. Gergonne les découpe à la cisaille, hors d'une lame de tôle de fer doux. On conçoit que la pointe du clou, arrivant sur la forme de fer, après avoir traversé la seconde semelle et la trépointe (si on a jugé à propos d'en mettre une), l'empeigne et la première semelle, se replie ou se rive et serre parfaitement tout l'ouvrage; mais le coup de marteau doit être donné avec assez d'adresse pour enfoncer le clou droit sans le gauchir, et pour que la pointe ne dévie pas.

L'on voit donc, dans cette opération, les deux semelles, l'empeigne et la trépointe attachées fortement ensemble par un rang de petits coins de fer, dont les pointes sont repliées ou rivées en dedans, et dont les bases se présentent au dehors; on voit qu'il est impossible qu'en s'usant ainsi par la base, un clou se détache, lors même qu'il est en partie usé.

Les premiers essais de M. Gergonne furent

imparfaits: il se servait d'abord de clous qu'il achetait tout faits; il eut plus de succès avec ceux qu'il fit lui-même, comme je l'ai dit plus haut.

Les bottes et souliers qu'il confectionne aujourd'hui de cette façon et qu'il a présentés au conseil, sont bien exécutés ; on doit en dire autant de ceux que M. Paradis et M. Monniot, cordonnier, rue Saint-Antoine, no 66, nous ont fait voir. Le premier s'est borné à de simples essais; mais il a apporté un grand soin à bien river chaque clou, et il a réussi; le second se sert de petits clous coniques, et non-seulement il attache ainsi de fortes semelles, mais encore des semelles d'escarpins et de chaussons : quoique l'une ne soit pas plus difficile à attacher que l'autre, il paraît néanmoins qu'il a fait le premier à Paris des escarpins de cette manière. Les clous des souliers, bien fabriqués sous d'autres rapports, que M. Monniot a présentés à la société, ne sont pas rivés très-exactement; nous l'engageons à donner plus d'attention à cette partie essentielle de la fabrication.

M. Gergonne fait des souliers cloués depuis cinq à six ans; le brevet de M. Barnet est expiré; plusieurs cordonniers de Paris, et

même de la province, font des souliers de cette espèce; ce nouveau mode de fabrication est donc devenu une propriété commune, et chacun peut s'y appliquer en toute liberté.

Mais pendant qu'on faisait très-bien, en France, des souliers cloués à la main, un de nos compatriotes, M. Brunel, établi en Angleterre, avait substitué, dans la nouvelle methode, des procédés purement mécaniques à quelques-unes des opérations manuelles; cette idee ne pouvait échapper en effet à un mécanicien dont l'attention était portée sur cet objet. Je ne parle point de deux ou trois opé rations qu'il a cru devoir faire à la machine, et par des moyens connus depuis long-temps, comme par exemple de découper les cuirs à l'emporte-pièce, etc.: opération que le cordonnier fait à la main avec beaucoup d'adresse, et surtout avec beaucoup d'économie. Ce n'est pas en ceci qu'on peut prétendre à aucune invention.

Le rétablissement de nos relations avec l'Angleterre a fait connaître ce nouveau genre d'entreprise, et l'on assure que déjà l'on a demandé à Paris deux brevets, l'un d'invention et l'autre d'importation et de perfectionnement: ce qui se conçoit très - bien,

puisqu'il y a une foule de moyens mécaniques divers, propres à attacher la semelle des souliers avec des clous, seul point sur lequel il y ait vraiment des procédés nouveaux et inconnus à découvrir et à faire valoir.

Ainsi le champ est ouvert à l'émulation des hommes industrieux, et, nous nous plaisons à le prédire, la France ne restera pas plus en arrière sur cet objet que sur bien d'autres.

Je viens de donner une légère esquisse de l'histoire de l'art du cordonnier; j'ai essayé de ramener à son expression la plus simple le nouveau système de fabrication, et de fixer les idées sur son état actuel, en séparant ce qui est connu de tout le monde de ce qui ne l'est pas. Il est temps maintenant d'examiner les qualités relatives des souliers ordinaires et des souliers cloués.

On ne serait pas d'accord avec l'expérience, si l'on prétendait qu'avec de bonnes matières premières, avec de bons cuirs, on ne puisse faire de mauvais souliers; car c'est d'une bonne couture et du choix d'une empeigne bien appropriée à la force de la semelle, que dépend principalement leur solidité. Les cuirs à semelle de même poids diffèrent peu

entre eux, quant à l'user, à moins qu'ils ne soient brûlés ou fort incomplètement tannés; l'un peut être à la vérité plus spongieux que l'autre, et prendre plus facilement l'eau ; mais si la couture, résistant bien, maintient toutes les parties du soulier exactement et fortement assemblées, le cuir spongieux durera en général aussi long-temps qu'un cuir plus ferme, et en apparence mieux préparé.

En outre, il est reconnu qu'une couture bien serrée, d'un fil solide et bien poissé, en un mot bien conditionné de tous points, dure autant que le cuir; et c'est assurément tout ce qu'on peut désirer.

Si au contraire les coutures qui unissent l'empeigne à la première semelle et à la trépointe, et celle-ci à la seconde semelle, sont mal faites, c'est-à-dire, si le point est grand et lâche, et d'un fil sec et mal poissé, ou si la trépointe est trop large, et laisse par conséquent trop de distance entre les deux coutures qu'elle porte, le cuir, à la première impression de l'humidité, se relâche, s'assouplit, le soulier fait soufflet en marchant, l'eau s'introduit entre la première et la seconde semelle, entre et sort avec effort à chaque mouvement du pied, et la couture cède ou

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