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se pourrit promptement, parce qu'un soulier ainsi imbibé d'eau ne sèche jamais que trèsdifficilement.

Le grand défaut des souliers est d'être fort mal cousus; aussi s'usent-ils communément par la couture, ou à raison du relâchement du point de couture. L'ouvrier, pour faire plus d'ouvrage, fait de grands ou de mauvais points; le maître s'en embarrasse peu, dès que le soulier a de la grâce et chausse bien; il est bien sûr que le consommateur qui s'y connaît peu, ou ne s'y connaît pas, ne verra pas ce défaut; il faut être d'ailleurs fort exercé pour reconnaître à la vue une couture défectueuse; encore y a-t-il plusieurs moyens de la cacher. Il n'en est pas de même des souliers cloués; ils sont, dans leur espèce, ou tout-à-fait bons, quant à l'assemblage, ou tout-à-fait mauvais; s'ils sont mauvais, c'està-dire, mal cloués, l'œil le moins exercé le reconnaîtra : la semelle se détachera même sans qu'on ait besoin de faire pour cela un grand effort.

C'est la première remarque comparative que j'ai à faire sur ces deux sortes de souliers.

La seconde remarque qui se présente n'est pas, comme la première, à l'avantage de toute 2e Coll. 3.

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espèce de souliers cloués. Tant que l'empeigne dure, on peut ressemeler les souliers cousus, quelle que soit leur espèce; il n'en est pas ainsi des autres; ceux qui sont cloués avec des clous forts et à pointes mousses, comme le sont les souliers anglais que j'ai vus, ne peuvent être ressemelés; car on déchirerait tout le bord de l'empeigne en voulant arracher la vieille semelle. Les pointes mousses des clous sont comme autant de petits emporte-pièces qui entament l'empeigne sur un grand nombre de points; aussi ces clouslà, pour bien tenir, doivent-ils être plus fortement rivés que d'autres : ce qui doit ajouter évidemment à la difficulté d'arracher une vieille semelle pour en mettre une nouvelle. Mais si l'on emploie des clous trèspointus, l'empeigne est peu endommagée ; ces clous se replient plutôt qu'ils ne se rivent, et il est assez facile dans ce cas d'arracher une vieille semelle, et de ressemeler par le même procédé. Je me suis assuré de la vérité de ce fait chez M. Gergonne, qui m'a montré des bottes ressemélées pour la seconde fois.

M. de la Chabeaussière avait pensé que les clous devaient s'oxider et perdre de leur force, dans la durée de leur contact avec le

cuir toujours plus ou moins humide, et il avait raison; car j'ai examiné avec soin les clous d'un soulier usé, et je les ai trouvés tous oxidés et cassans. Je ne crois pas néanmoins que ceci puisse altérer sensiblement la solidité de cette espèce d'assemblage. L'expérience l'aurait prouvé, et je connais plusieurs personnes qui portent des souliers cloués depuis long-temps, et qui s'en trouvent très-bien.

Mais il se présente une question fondamentale sur l'objet qui nous occupe dans ce moment les souliers cloués durent-ils aussi long-temps, ou plus, ou moins long-temps

que

les souliers cousus comme ils peuvent et devraient toujours l'être? Je vais dire, en terminant ce rapport, ce que j'ai fait pour répondre à cette question. Après avoir choisi moi-même une bonne qualité de cuir d'empeigne et de semelle, et le meilleur fil de · cordonnier que j'aie pu trouver, j'ai fait faire sous mes yeux, par un bon cordonnier de village, des souliers cloués et des souliers cousus, sur une forme droite, avec la même qualité de cuir pour chacun; les clous ont été faits et enfoncés avec soin; le fil a été bien poissé, bien proportionné dans sa grosseur avec le trou de l'alène; le point a été

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formé avec toute l'exactitude et suivant toutes les conditions requises. Je porte depuis plus de deux mois, par un temps très-humide, un soulier cloué à un pied, et un soulier cousu à l'autre ; je les change de pied chaque fois que je les mets, et ils ne sont pas aujourd'hui plus usés l'un que l'autre la couture et les clous résistent également bien. Je dois ajouter qu'ils ne prennent l'eau ni l'un ni l'autre. J'aurai l'honneur de rendre compte au conseil de la suite de cette expérience.

:

Quand on a voulu comparer les souliers cloués avec les souliers cousus, on a dit qu'à ceux-ci la semelle était attachée avec des clous de fil, parce qu'une partie du point est emportée en peu de temps par le frottement de la semelle sur le pavé, et qu'à ceux-là elle l'était par des clous de fer. Les termes de cette comparaison ne me paraissent pas exacts: chaque point, dans les souliers bien cousus, fait corps avec la semelle, par l'intermédiaire de la poix, qui est, comme on le sait, une substance très-agglutinative, et qui pénètre fortement dans tous ses points de contact avec le cuir; et lors même que le point est coupé par le bas, la surface d'adhérence de tous ces fils fortement poissés, qui traversent la

semelle sur tant de points différens, est telle qu'il faudrait probablement, sinon plus, au moins autant d'effort pour arracher une semelle cousue qu'une semelle clouée aussi bien qu'elle puisse l'être, en les supposant toutes deux légèrement et également usées. J'ajouterai que je regarde comme certain que l'empeigne, dans les tiraillemens qu'elle reçoit par les mouvemens du pied, conserve moins de force avec les clous qu'avec une bonne

couture.

Quoi qu'il en soit, nous croyons que la société doit encourager, autant que son institution le comporte, ce nouveau mode de confection de souliers, et que le succès que les personnes citées plus haut y ont obtenu, mérite son attention et ses éloges. »

Ces conclusions ont été adoptées en séance le 31 janvier 1816.

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