Page images
PDF
EPUB

de sa confiance et de notre puissance, eh bien ! je promets, je jure en votre nom que nous n'imiterons pas nos devanciers, et que nous transmettrons intact à nos successeurs, quels qu'ils soient, le dépôt sacré de la force et de la fortune de la France. (Bravos et salves d'applaudissements renouvelés à plusieurs reprises.)

Un seul mot encore. Les défenseurs les plus indulgents de la constituante peuvent dire, pour l'excuser, qu'elle a recherché la popularité. Ce n'est pas une excuse, ce n'en a pas été une pour elle, ce n'en serait pas une pour nous. Sachezle bien, on n'est pas une assemblée politique, et on n'est pas un homme politique, si ce n'est à la condition de savoir braver l'impopularité. (Très-bien! très-bien !) A vrai dire, dans les temps de révolution, l'impopularité est presque toujours l'apanage des véritables amis du peuple. (Vive approbation.)

UN MEMBRE. C'est Guizot qui disait cela. (Silence done!) M. DE MONTALEMBERT. Nous ne sommes pas des nouveaux venus, des conscrits, des apprentis dans cette funeste carrière des révolutions. Non, nous avons derrière nous une longue et féconde expérience. Nous avons pu y apprendre à quel prix, à quelles conditions on récolte la popularité, et nous savons où elle aboutit, où elle conduit ses plus chers adorateurs. Il y a, du reste, deux sortes de popularité. C'est une vérité banale, un lieu commun de l'histoire; je ne devrais pas la répéter devant vous; mais nous vivons dans un temps où il n'y a pas de vérité assez enracinée pour n'être pas ébranlée, ni assez banale pour n'avoir pas besoin d'être sans cesse proclamée.

Il y a donc deux popularités : la popularité du moment, celle de la passion, celle des masses ignorantes, aveugles, entraînées, celle des révolutions enivrées et triomphantes!

Euvres. III. Discours. III.

22

22

Quant à celle-là, Messieurs, connaissez-vous rien au-dessous du sort qu'elle réserve à ceux qui l'idolâtrent et à ceux qui la courtisent? Ah! je vous défie de trouver dans les annales du monde un exemple, un seul exemple, d'une assemblée ou d'un individu auquel cette popularité-là ait porté bonheur. Je ne vous parle pas seulement de la justice de Dieu, de la conscience intime de l'homme; non! non! je vous parle de l'opinion publique elle-même, de cette opinion publique à laquelle on a souvent sacrifié lâchement sa vertu et son honneur.

Et moi, je vous citerai, à travers les âges, et dans notre temps, et parmi nous, de grands et lamentables exemples de ce que deviennent les courtisans et les idolâtres de la fausse popularité. Oui, on sait comment ils finissent, comment leur gloire s'éclipse et comment leur soleil se couche! (Approbation.) Le plus souvent il ne leur est pas même donné d'expier, par une mort sanglante, les tristes faiblesses de leur vie. (Très-bien! très-bien!) Non; ils sont condamnés à se survivre à eux-mêmes, ils s'éteignent entre l'oubli et le mépris, et ils deviennent ainsi la proie de l'histoire. Et savezvous la place que leur donne l'histoire? La dernière, oui, la dernière, au-dessous même des grands criminels, des grands scélérats... (Rumeurs sur plusieurs bancs.— Vif assentiment sur d'autres.)

Oui, au-dessous! L'histoire les flétrit moins, mais elle les méprise davantage. (Oui! oui! C'est très-vrai! Rumeurs à gauche. — Approbation à droite.)

Dieu merci! il y a une autre popularité, la vraie, celle qu'on gagne en dédaignant la fausse. Il faut la rechercher, Messieurs, d'abord dans la conscience des honnêtes gens, qui sont trop souvent, presque toujours, silencieux, timides, un peu poltrons même (sourires), mais qui admirent chez les

autres le courage qu'ils n'ont pas eux-mêmes (très-bien !), qui finissent par reprendre un jour leurs droits et par rendre justice à qui elle appartient.

Et puis, d'ailleurs, à côté de cette justice timide, mais certaine, du présent, il y a l'éclatante et infaillible justice de l'avenir. C'est là l'éternelle popularité du vrai, du juste, de l'honnête, et j'ajouterai de l'honneur et de la conscience humaine. Mais elle n'est l'apanage que de ceux qui, au milieu des passions révolutionnaires, savent rester debout, qui ne se laissent pas entraîner par le torrent de l'erreur et du mensonge, qui restent inébranlablement attachés aux deux bases de toute vraie politique, le bon droit et le bon sens. Voilà la vraie popularité; c'est la seule que j'ambitionne pour moi, la seule aussi que je souhaite à mes amis, à mon parti et à l'Assemblée où je siége. (Très-bien! très-bien! — Vive approbation sur tous les bancs de la majorité.)

(Extrait du Moniteur du 14 décembre 1849.)

Dans la séance suivante, M. Pascal Duprat répondit à M. de Montalembert et combattit le projet qui fut successivement défendu par MM. Léon Faucher, Charles Dupin, Fortoul, Fould, ministre des finances, et combattu par MM. Grévy, Mauguin, Jules Favre.

Le 20 décembre, 418 voix contre 245 votèrent le maintien de l'impôt.

SUR

LOI

LA LIBERTÉ DE L'ENSEIGNEMENT

ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE.

Première délibération sur le projet de loi relatif à l'instruction publique.

(Séance du 17 janvier 1850.)

Le 31 octobre 1849, M. de Falloux quitta le ministère de l'instruction publique. Son successeur, M. de Parieu, demanda le renvoi à un mois du projet de loi déjà présenté sur l'instruction publique'. Le projet fut renvoyé au conseil d'État pour être l'objet d'un nouvel

examen.

Le 13 décembre, M. de Parieu présenta une loi transitoire sur les instituteurs primaires, qui se faisaient dans un grand nombre de localités les agents les plus actifs de la propagande socialiste. Le 4 janvier 1850, 329 voix contre 300 votèrent l'urgence de cette loi, qui fut adopté le 11 janvier suivant. Le ministre fit en même temps mettre à l'ordre du jour du 14 du même mois la loi organique présentée par M. de Falloux, et dont M. Beugnot avait été nommé rapporteur.

Cette loi, violemment attaquée par la presse révolutionnaire, ne l'était pas avec moins d'ardeur par certains journaux religieux. Le journal l'Univers, qui lui opposait depuis qu'elle avait été présentée la plus vive résistance, publia, la veille du jour où devait s'ouvrir la discussion générale, un article dans lequel il accusait les auteurs du projet de travailler à l'établissement d'un nouveau monopole, et de consentir à «< une transaction sur des principes considérés jusqu'à « ce jour comme aussi absolus que les dogmes de la foi. »

« Jamais, »> disait le rédacteur de l'article, « le détestable caractère « du temps où nous vivons, le désordre, l'impossibilité de tout

Voir plus haut, page 193.

« accord, la décadence de toute doctrine, le dégoût de tout combat « pour la vérité, l'affaiblissement de toute espérance dans le triomphe « de la vérité et de la justice, ne se seront manifestés plus haute«ment et plus tristement. Les catholiques eux-mêmes vont en « donner le spectacle. Ils vont, à leur tour, étaler ces divisions par << lesquelles tous les partis s'affaiblissent, former ces alliances aux« quelles tous les partis s'abaissent, faire ces concessions, recourir « à ces habiletés, proférer même ces reniements qui, dans toute opinion et sous tout drapeau, ont successivement trahi les secrètes « défaillances de la raison et du cœur. »

[ocr errors]

Il terminait en déclarant que « le parti catholique avait perdu « ses chefs, » et en reprochant à ceux-ci de « n'aimer plus autant << la liberté 1. »

La discussion s'ouvrit dans la séance du 14 janvier. Le projet fut atlaqué par MM. Barthélemy Saint-Hilaire, Victor Hugo, Pascal Duprat, Lavergne et Soubies, et défendu par Mer Parisis, évêque de Langres, et par MM. Poujoulat, Béchard et Fresneau. M. de Montalembert prit la parole dans la séance du 17 :

MESSIEURS,

L'honorable2 préopinant a reproché à la loi qui vous est soumise de ne pas dire tout ce qu'elle voulait dire; il nous

'On peut rapprocher de cet article deux extraits du même journal relatifs au même sujet et empruntés aux numéros du 10 février et du 17 mars 1850: < ... O Que les voltairiens terrifiés cherchent un refuge dans les plis de la << soutane; que, demeurant ce qu'ils sont, ils veuillent faire du prêtre de JésusChrist le gardien de leurs maisons, de leurs champs, de leurs écus, nous ne * nous en étonnons pas... Mais que des chrétiens, parce qu'ils ont à redouter << les mêmes dangers, pour leur part des biens de ce monde, acceptent l'al<liance, s'y confient, et consentent à ce qu'on dispose les évêques et les < curés en manière de chevaux de frise pour recevoir le choc des commu<< nistes! Rien n'a égalé d'abord notre surprise, rien n'égale maintenant << notre tristesse... »

<<... Si une loi de liberté est devenue impossible, c'est uniquement parce < que les hommes dont l'Ami de la Religion exprime la pensée n'en ont pas << voulu, c'est parce que, reniant leurs principes et leurs convictions d'un << autre temps, ils se sont unis aux hommes dont M. Thiers est le chef et le < Journal des Débats l'agent, pour empêcher la liberté d'enseignement de passer de la Constitution dans la loi. »

? M. Soubies.

« PreviousContinue »