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veulent laisser monter le flot, qui veulent laisser couler le torrent et qui se résignent à ce qu'en 1852 arrive par le cours naturel des choses le triomphe électoral du socialisme; s'il en est ainsi, je vous le dis tout franchement, il vaut mieux en finir de suite, il vaut beaucoup mieux faire ce qu'on faisait au moyen âge, quand on était assiégé dans une place impossible à défendre et par d'indignes assaillants: on mettait les clefs de la place au bout d'une pique, et on les lançait dans le camp des assiégeants. Cela vaut mieux que de mourir d'une mort lente, certaine, qui n'aura pas même la triste consolation d'être la mort sans phrases, qui sera la mort avec phrases (rires approbatifs à droite),... la mort avec ce hideux concert, ce hideux accompagnement de déclamations, de sophismes et d'antithèses, que vous avez entendu hier.

Mais, si vous ne voulez ni vous rendre, ni mourir, eh bien, alors, permettez-moi de vous le dire, à vous majorité, il faut changer la tactique, il ne faut plus rester sur la défensive, il faut prendre énergiquement l'offensive. (Très-bien ! très-bien!-Vifs applaudissements à droite. - Murmures énergiques à gauche.)

PLUSIEURS VOIX A DROITE. C'est cela! c'est cela!

M. DE MONTALEMBERT. Il faut enlever à l'ennemi les positions qu'il a conquises, il ne faut pas souffrir que les lois du pays servent d'arsenal et de repaire au monstre du socialisme, afin qu'il en sorte... (rires et exclamations à gauche; applaudissements à droite), afin qu'il puisse en sortir à son heure, tantôt à pas comptés, tantôt avec un formidable et irrésistible élan, pour fondre sur la société et la dévorer. (Exclamations ironiques à gauche.)

Voilà ce qu'il faut faire.

A DROITE. Très-bien ! très-bien!

M. DE MONTALEMBERT. Nous avons pour nous le droit et le fait, la loi et la force. Je crois que nous avons pour nous le nombre, et je ne veux pas douter un instant que nous n'ayons pour nous le courage. (Interruption à gauche.)

PLUSIEURS MEMBRES DE LA DROITE s'adressant à la gauche. Soyez tranquilles... Vous n'avez pas le monopole du courage. (Bruit à gauche.)

M. LE PRÉSIDENT se tournant vers la gauche. Vous ne vous apercevez donc pas de votre petit nombre, dans vos interruptions... (Rumeurs et exclamations confuses à l'extrême gauche.) Vous avez beau parler tous ensemble, vous n'êtes encore qu'un très-petit nombre, qu'une très-petite minorité...... (nouvelles exclamations à gauche), une très-petite minorité.

M. DE MONTALEMBERT. Je dis que nous avons pour nous le droit et la force, le nombre et le courage. Avons-nous pour nous le temps? Non; permettez-moi de vous le dire franchement: non, nous n'avons pas le temps pour nous, il est contre nous. Déjà nous avons vécu une année, le tiers de notre existence légale. Dans six mois nous serons arrivés à la moitié; la période d'accroissement sera terminée pour nous; nous entrerons dans la période de décroissance; et, pour une Assemblée qui n'a pas beaucoup fait, qui n'a peut-être pas fait tout ce que fait tout ce que le pays attendait d'elle, la période de décroissance, savez-vous ce que cela veut dire? Cela veut dire la période d'agonie! non pas d'agonie légale, mais d'agonie morale. On escomptera notre mort, dont on connaît d'avance le terme; eh bien, avant de finir légalement, nous finirons comme l'Assemblée constituante a fini: nous périrons désavoués et aplatis entre les deux partis qui divisent la France, entre le parti qui veut la ruine de la société, pour lequel nous serons toujours un obstacle, et le parti

qui veut le salut de la société, et qui nous reprochera peutêtre de n'avoir pas rempli son mandat. (Très-bien! trèsbien!)

Messieurs, un dernier mot, un mot qui m'est personnel à moi et à dix-sept de vos collègues on nous a dit dans un journal démocratique, le plus répandu de tous, et qui n'a été désavoué par aucun de ses confrères, que nous, vos dixsept collègues chargés de préparer la loi que vous discutez aujourd'hui, nous avions dévoué nos têtes aux dieux infernaux de la révolution. (Exclamations à gauche. Vive approbation à droite.) Enfin, le niez-vous? l'avez-vous désavoué? Aucune feuille de votre bord n'a désavoué cette

menace.

Or, on sait ce que cela veut dire. L'histoire des hauts faits de vos ancêtres est là pour nous apprendre ce que cela veut dire, ce que sont les dieux infernaux de la révolution : c'est le choix entre l'échafaud de la Terreur, ou le poignard démocratique qui a frappé M. Rossi et que vous osiez nier tout à l'heure. Voilà les dieux infernaux de la révolution! (Approbation à droite.)

Eh bien! ce sort, je l'accepte, et je le préfère, je le préfère mille fois à l'infamie et au mépris écrasant dont la postérité accablera ceux que la France avait chargés de la sauver, et qui l'auront livrée... (très-vives marques d'approbation à droite), qui, en proie à une pusillanimité sans exemple et sans excuse, auront livré la patrie déshonorée, la société trahie, la France éperdue, à la servitude, à la honte et à la barbarie que vous lui préparez. (Bravos et applaudissements prolongés. — Un grand nombre de représentants viennent féliciter l'orateur à sa place. La séance reste quelques minutes suspendue.)

(Extrait du Moniteur du 23 mai 1850.)

Après une réplique personnelle de M. le général Cavaignac, destinée à prouver qu'il n'avait pas changé, qu'en 1848 il avait défendu le suffrage universel audacieusement attaqué dans son expression, et qu'aujourd'hui il le défendait dans sa source, M. Emmanuel Arago répondit à M. de Montalembert en affirmant que, sous le nom de socialisme, il n'avait attaqué que la République, et en l'accusant d'exciter à la guerre civile. Ce discours fut le dernier de la discussion générale.

EXPLICATIONS

ENTRE

MM. VICTOR HUGO ET DE MONTALEMBERT

ASSEMBLEE NATIONALE LÉGISLATIVE.

Discussion du projet de loi sur la réforme
électorale.

Séance du 23 mai 1850.

A l'ouverture de la séance du 23 mai, M. Victor Hugo réclama la parole pour répliquer à M. de Montalembert:

...

«M. Victor Hugo. L'honorable M. Jules de Lasteyrie a dit, et les deux orateurs qui lui ont succédé ont répété après lui, avec des formes variées, mais je prends le fond de ce qui a été dit, et je cite les propres paroles de M. de Lasteyrie. Je vais arriver tout à l'heure à M. de Montalembert. (Nouvelle interruption à droite.)

L'honorable M. de Lasteyrie a dit que j'avais été le panégyriste de plus d'un pouvoir, et, par conséquent, que mes opinions étaient mobiles, et que j'étais aujourd'hui en contradiction avec moi-même; je crois que c'est bien le sens de ses paroles.

M. Jules de Lasteyrie. Je n'ai pas dit que vous fussiez en contradiction avec vous-même.

M. Victor Hugo. C'est également le sens des paroles des deux orateurs qui lui ont succédé.

Messieurs, si les honorables orateurs ont prétendu faire allusion à des vers monarchiques, inspirés, je le déclare, par le sentiment le plus candide et le plus pur, que j'ai faits dans mon adolescence,

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