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que se diviser entre eux. Eh bien, nommons des rouges. » (Exclamations et rires.)

PLUSIEURS MEMBRES. Cela pourrait bien arriver!

M. DE MONTALEMBERT. Ce qui triomphera donc, ce qui sortira de nos luttes, de nos funestes dissentiments, ce ne sera pas, comme on l'a dit, l'Empire, ce ne sera pas, non plus, le gouvernement parlementaire, ce sera le socialisme (rires ironiques à gauche), et non pas le socialisme insurgé, violent, brutal, par conséquent éphémère et facile à vaincre; non, ce sera le socialisme légal, les ocialisme électoral, c'està-dire un mal irrémédiable, ou pour lequel du moins je ne conçois aucun remède humain. Messieurs, ce n'est pas là une menace, c'est une prédiction. Je descends de la tribune avec la conviction d'avoir rempli un impérieux devoir, et avec une seule ambition, l'ambition d'être un faux prophète. (Vive approbation sur plusieurs bancs de la droite et du Rumeurs prolongées sur d'autres bancs.)

centre.

(Extrait du Moniteur du 11 février 1851.)

M. Piscatory, rapporteur, répondit à M. de Montalembert; il lui reprocha d'avoir, par ses paroles, tendu à déconsidérer l'Assemblée aux yeux du pays; il attaqua particulièrement cette phrase de son discours « Il n'y a de légitime que ce qui est possible. »

M. de Montalembert répliqua par ces mots :

L'honorable rapporteur de la commission a relevé une parole de moi qui paraît avoir été mal comprise. (Rumeurs à gauche.) J'ai dit, et je le répète, qu'il n'y a, dans l'ordre politique, de légitime, c'est-à-dire de souverainement obligatoire, que ce qui est possible. (Exclamations diverses.) Mais je n'ai pas ajouté, et je ne dirai jamais, que tout ce qui est possible soit légitime.

L'Assemblée passa immédiatement au vote.

396 voix contre 294 rejetèrent la demande de dotation.

RÉVISION DE LA CONSTITUTION

Mai-juin 1851.

Le 31 mai 1851, M. le duc de Broglie déposa sur le bureau de l'Assemblée une proposition signée de 233 représentants, au nombre desquels se trouvait M. de Montalembert. Cette proposition était ainsi conçue:

« Les représentants soussignés, dans le but de remettre à la nation le plein << exercice de sa souveraineté, ont l'honneur de proposer à l'Assemblée légis<< lative d'émettre le vœu que la Constitution soit révisée. »

Le 7 juin, l'Assemblée se réunit dans ses bureaux pour nommer la commission à laquelle devait être renvoyée la proposition. Voici le résumé de l'opinion émise dans le premier bureau par M. de Montalembert, tel qu'il fut publié dans tous les journaux du temps:

M. de Montalembert, en répondant à M. Duché, qui avait dit que la révision pouvait mettre en danger non-seulement la République, mais la propriété, la famille et la religion, déclare qu'aucune Constitution, aucune Constituante, ne pourra toucher impunément à ces droits sacrés, et que tout ce qui pourra être fait contre eux serait nul de soi. Il repousse également la fin de non-recevoir tirée de la loi du 31 mai; cette loi n'est pas en discussion. On nous menace de la guerre civile si, d'ici aux prochaines élections, le droit de suffrage n'est pas rendu à tous les exclus. L'Assemblée doit dédaigner cette menace qui, d'ailleurs, s'appliquerait non-seulement aux élections de la future Constituante, mais encore à celles de la Législative, laquelle doit être élue en 1852, si la Constitution n'est pas révisée.

Entrant ensuite au fond de la question, parmi les trois propositions déposées, l'orateur en trouve une insuffisante et une autre inutile.

Il repousse celle de M. Larabit, qui borne la révision à l'article qui interdit la rééligibilité du président, parce que tout en étant vivement partisan de l'abrogation de cet article, il trouve beaucoup d'autres changements utiles à introduire. Il rejette celle de M. Payer, qui n'autorise que la modification de plusieurs autres articles, parce qu'une fois la Constituante convoquée, aucune force humaine ne pourra l'empêcher de faire ce qu'elle voudra de cette Constitution. C'est la troisième proposition, signée par M. le duc de Broglie et par l'orateur avec tant d'autres, qui seule donne à la souveraineté nationale toute sa liberté, en n'imposant aucune restriction au droit de révision.

Quant au but et aux résultats de cette révision, l'orateur ne cache pas que ses préférences et ses goûts sont pour la royauté limitée, mais il croit que la France actuelle est encore trop révolutionnaire pour supporter cette forme excellente.

Je veux, dit-il, que la souveraineté nationale se prononce en toute liberté, et si elle se décide pour le rétablissement de la monarchie, je serai le premier à l'en féliciter. Mais je ne pense pas qu'il en soit ainsi; et puisque nous sommes condamnés à la République, je désire que cette République soit la meilleure possible. J'ai toujours travaillé dans ce sens depuis qu'elle a été proclamée. C'est pourquoi je demande la révision de la Constitution, parce qu'elle empêche la République de coexister avec l'ordre et la prospérité publique.

Elle est mauvaise surtout lorsqu'elle empêche le pays de renouveler le mandat du pouvoir exécutif, mais elle l'est encore, parce qu'elle consacre la permanence des agitations parlementaires, le conflit nécessaire entre les deux pouvoirs, le scrutin de liste qui empêche les électeurs de voter en connaissance de cause, etc. Nous invoquons la souveraineté nationale pour qu'elle soit appelée à se prononcer sur le remède à ces maux. Alors que d'autres l'ont proclamée au nom de l'insurrection, nous l'invoquons par la voie légale et

Euvres II. - Discours. III.

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constitutionnelle. Nous posons ce dilemme à nos adversaires : de deux choses l'une, ou la Constitution actuelle, avec laquelle on identifie la République, est conforme à la volonté nationale, ou elle ne l'est pas ?

Si elle ne l'est pas, qui oserait donc l'imposer au pays? Et si elle l'est, comment donc les républicains par excellence refusent-ils pour elle cette occasion d'une confirmation éclatante et suprême ?

Comment se refusent-ils à eux-mêmes la satisfaction de nous confondre et de nous écraser sous une manifestation solennelle du vœu public? Eh, mon Dieu! c'est parce qu'ils savent bien que ce vœu leur est contraire, et qu'ils se réservent, d'ailleurs, de réviser eux-mêmes la Constitution, quand ils seront les plus forts, pour abolir la présidence et les dernières garanties de l'ordre social. En outre, les circonstances où se trouve le pays forment un nouvel et puissant argument en faveur de la révision. La détresse générale atteint des proportions formidables; le chômage devient universel; à tort ou à raison, on impute cette détresse à nos institutions actuelles.

Si on empêche la révision, qu'une opinion de plus en plus nombreuse regarde comme un remède réel ou imaginaire des maux actuels du pays; si on la rend impossible, après qu'elle aura été votée par la majorité numérique de l'Assemblée et réclamée par des millions de pétitionnaires, on n'aura fait qu'augmenter l'impopularité de la Constitution et de la République. Elles seront l'une et l'aure emportées par le flot de la réprobation universelle. Veut-on les sauver, il faut ouvrir la porte, autrement elle sera enfoncée.

M. de Montalembert fut nommé commissaire par 21 voix contre 20 données à M. Failly.

Le 14 juin, dans le sein de la commission, M. de Montalembert soutint la proposition de révision. Voici, d'après les journaux de l'époque, le résumé de son opinion :

M. de Montalembert a commencé par déclarer qu'il était pour la révision totale et légale. Il croit, comme M. Berryer, que l'élection du 10 décembre a été une protestation non pas tant contre la République que contre les hommes et les choses de Février, mais qu'elle n'indiquait pas précisément un retour à la monarchie. Quant à lui, il n'est ni démocrate ni républicain. Il ne croit pas cependant que la France soit encore monarchique. Habitué à se soumettre à la souveraineté nationale, il ne se reconnaît pas la vocation de faire ni de défaire des gouvernements; il les prend tels qu'ils sont; il en tire le meilleur parti possible. Si M. de Montalembert veut la révision, c'est afin de préserver les grands intérêts sociaux sous la République.

L'orateur remarque que personne ne défend la Constitution pour elle-même, mais uniquement comme un boulevard contre le pouvoir exécutif, contre le Président de la République.

On veut enchaîner, dit-il, la souveraineté nationale; je ne la crois ni infaillible ni absolue; mais je ne conçois pas que ses partisans, ceux qui, toute leur vie, ont combattu pour conquérir le suffrage universel, refusent aujourd'hui de le consulter, et de faire consacrer leur œuvre par l'assentiment populaire.

M. de Montalembert pense que l'argument tiré de cette situation ne satisfera pas le peuple français, qui, souffrant sous la Constitution et par la Constitution, en réclame le changement.

On dit que le vœu populaire n'est pas éclairé, n'est pas sérieux. Alors pourquoi a-t-on donné au peuple le suffrage universel et l'exercice de la souveraineté nationale? Si l'on trouve le peuple assez éclairé pour nommer d'ici à quelque temps un nouveau pouvoir exécutif, un nouveau pouvoir législatif, pourquoi ne le serait-il pas assez pour prononcer sur les vices de la Constitution?

Au fond, dans la pensée des adversaires de la révision, la véritable objection est celle de l'inopportunité. Tout est là. On craint la réélection du Président. Or, dit M. de Monta

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